Je suis née sans mon père. Ça ne parait pas forcément important, car des millions d’enfants sont malheureusement dans le même cas que moi, mais parfois je me dis que s’il avait été là, tout se serait passé différemment. Quand on y pense, c’est sans doute une possibilité infinie de jours qui auraient pu arriver mais n’arriveront jamais. C’est pourquoi j’y pense rarement. A quoi bon ? Ma mère m’a élevée toute seule et je trouve qu’elle s’est très bien débrouillée. De ma naissance à… notre séparation. On vivait seules dans une toute petite maison près d’un parc. C’était assez exigu et parfois, on manquait cruellement d’espace, surtout avec ma sale manie de ramener à la maison tous les animaux abandonnés que je croisais. Mais on y était heureuses. Ce qui n’était pas gagné, déjà à l’époque.

Et puis, quand j’avais six ans, le docteur de ma maman lui a annoncé un mot dégoûtant. Un mot comme « métastase ». Je ne comprenais pas ce que c’était, et ma mère me protégeait de la vérité. Peut-être n’aurait-elle pas du autant me cacher la vérité et aurait mieux fait de me préparer à son départ, à la place. Un jour, j’étais à l’école quand la directrice elle-même est venue me chercher en classe. Elle avait visiblement pleuré mais je n’ai pas tout de suite penser à ma mère jusqu’à ce qu’elle me fasse assoir dans sa voiture et me dise. Da Hye, c’est ta maman… Il va falloir que tu sois très courageuse à partir de maintenant. Courageuse, je pense l’avoir été. Je n’ai pas pleuré à l’enterrement car je sais qu’elle aurait détesté ça. Je n’ai pas pleuré quand on m’a expliqué que j’irais dans une famille d’accueil si ma tante ne voulait pas de moi. Je n’ai pas eu le temps de faire le deuil, de lui dire une dernière fois à quel point je l’aimais et à quel point j’étais heureuse d’avoir eu la meilleure maman du monde. Malheureusement, ma tante a accepté de me récupérer et de m’élever avec son mari et leur fille. Et à mon arrivée chez eux, j’ai compris que la vie avait encore quelques claques à me mettre.

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J’ai alors vécu durant de nombreuses années avec cette horrible famille. Ma tante, la soeur de ma mère, ne cessait de se moquer de nous, de notre mode de vie, de sa soeur. Quant à mon oncle, il a rapidement été évincé car ils ont divorcé peu de temps après mon arrivée. Et ma cousine, cette petite peste, ne cessait de me reprocher mon physique, de se moquer de ma nature renfermée et hostile. Elle avait honte d’être vue avec moi à notre arrivée à l’école car j’étais la paria, celle avec qui il ne faut pas trainer. Et ce de mon arrivée dans ma nouvelle école primaire jusqu’à la moitié du collège. La vie ne cessait de préserver l’étincelle de l’espoir pour mieux l’étouffer avec mes larmes. Je n’avais pas l’impression d’avoir d’avenir autre qu’un avenir malheureux et solitaire.

Arrivée à mi-parcours du collège, j'ai enfin commencé à me faire des amies. Trois soeurs en réalité, toutes plus âgées que moi, Yoo Bin, Yoo Na et Yoo Jin, ainsi que celle qui allait devenir ma meilleure amie, Jin Hye. Le hasard a bien fait les choses, direz-vous. Nos prénoms sont quasiment similaires, de même que nos tempéramment. C'est grâce à elles quatre que je me suis forgée telle que je suis aujourd'hui. Ce sont ces trois soeurs qui m'ont aussi introduites au gang. L'entrée était simple, se faire tabasser. Pour ce que ça m'importait. Ma "famille" ne se préoccupait pas de ça. J'avais beau rentrer souvent avec des bleus et des coupures, ça ne les a jamais alarmés. Peu m'importait, je n'avais plus besoin d'eux. J'avais trouvé ma famille et nous étions les terreurs de l'établissement au point que les professeurs avaient complètement abandonné notre éducation. Que nous étions là ou pas, ils ne s'en souciaient plus.

C’est au lycée que j’ai rencontré mon sauveur. Kang Théo. Sans doute l’homme de ma vie. Je n’en suis pas amoureuse — ou du moins je ne pense pas — mais il m’a sauvée et je lui en serais à jamais reconnaissante. Premièrement, il était le seul à accepter de m’approcher et de me parler pour tenter de faire tomber les murs que j’avais mis tant d’années à ériger autour de moi. J’ai fini par l’aimer comme un frère. Jusqu’au jour où j’ai craqué. Je ne pouvais plus supporter les reproches et les moqueries de la femme qui m’avait adoptée et de sa fille. Alors un soir, pendant le diner que j’avais préparé consciencieusement — sans doute en espérant qu’un jour, ces deux monstres viendraient à m’accepter si ce n’est m’aimer —, je me suis levée de table et je suis partie faire mes affaires dans ma chambre. Je ne possédais presque rien et toutes mes affaires rentraient dans un seul sac de sport. Puis je suis partie, sous leurs yeux ébahis et un bol de riz que ma cousine avait jeté à ma tête. Je suis partie et j’ai appelé la seule personne qui m’aiderait à coups sûrs.

Théo… J’ai besoin de toi.

Comme je l’ai dit, Théo m’a sauvée. Pas parce que sa famille m’a adoptée, non, mais parce qu’il m’a amenée dans la famille de sa cousine Eun Mi et qu’ils ne m’ont jamais plus demandé de partir. Eun Mi était la petite fille la plus mignonne et la plus gentille qui soit et c’est elle qui a fait fondre mon coeur de pierre. Elle m’a adoptée tout de suite et a aussi calmé la tempête qui faisait rage en moi. Eun Mi, je l’aime d’amour, d’un amour profond et sincère que rien ni personne ne pourra comprendre. Quand je la regarde, je ressens l’amour qu’éprouve une grande soeur pour sa cadette. Elle est tout pour moi. Elle et ses parents m’ont tout de suite adorée et m’ont permis de rester chez eux le temps de terminer le lycée et de trouver un appartement. J'ai quitté le gang très peu de temps après mon arrivée chez les Kang, promettant à Théo, Eun Mi et à moi-même que j'allais enfin réussir quelque chose dans la vie. Je n’ai plus jamais eu mal, ni peur. J’étais heureuse. J’ai retrouvé un bonheur que j’avais perdu, celui d’avoir une famille et d’être aimée comme quelqu’un d’à part entière.

Puis, une fois le lycée terminé, j’ai postulé à la Yonsei. La plus grande université de Corée du Sud. Franchement, je n’y croyais pas. Je n’avais pas beaucoup d’espoir en passant les examens d’entrée. Alors quand on a reçu la lettre d’acceptation, Théo était à la maison ce jour-là, et je crois qu’il a hurlé plus fort que moi. Ils se sont tous réjouis pour moi lorsque j’ai reçu ma bourse d’étudiante. Je n’y croyais toujours pas en m’installant dans ma chambre d’étudiante, dans le luxueux dortoir de la fraternité des Pyobeom, les panthères. Certes, je perdais ma douce Eun Mi mais je savais que je la retrouverais bientôt, mais je retrouvais également Théo. En l’espace de quelques années seulement, j’avais trouvé deux familles. Celle que je considérais comme ma vraie famille, les Kang, et ma famille de coeur, les Pyo. Puis, en début de cinquième année, j'ai fait le choix de quitter la fraternité pour prendre un appartement avec Jin Hye. Vivre avec ma jumelle de coeur. Le bonheur.