Je ne savais pas pourquoi j’avais accepté. Dans son sms il y avait les deux choses que je détestais le plus aujourd’hui. La danse et la bouffe. Pourtant j’avais dit oui. J’avais dit oui parce que c’était lui et que je me sentais bien en sa compagnie. Qu’il était une des seules personnes que je connaissais bien ici et qui en plus venait du même pays que moi. Malgré mes origines coréennes, je ne me sentais pas toujours chez moi ici. J’avais grandi aux Etats-Unis et j’avais toujours un peu de mal à m’adapter à cette culture.

Chung pouvait plus ou moins comprendre ce que je ressentais. Je devais avouer que je l’admirais, mais jamais je ne le lui dirai. Il était un excellent professeur, compréhensif et il n’avait aucun problème à assumer qui il était. Je n’avais jamais réussi. Il fallait toujours que je m’affiche avec des jolies filles, parce que c’était beaucoup plus simple que de répondre aux questions des autres. De cette façon, on me laissait tranquille.

Je n’avais pas vraiment envie de l’aider à terminer sa chorégraphie. Ma jambe me faisait toujours souffrir et c’était toujours douloureux de voir les autres danser parce que c’était ce qui m’avait sauvé. Je soupirais, j’avais toujours du mal à descendre les escaliers. Je me sentais complètement crispé à l’idée de me retrouver dans la salle de danse. Ce n’était pas loin, mais avec cette foutue jambe il me fallait deux fois plus de temps que les autres pour avancer.

Je suivais le son de la musique avant de m’appuyer contre l’encadrement de la porte. C’était agréable de savoir que l’on comptait pour quelqu’un. Que quelqu’un s’intéressait à vous. Je croisais les bras en attendant qu’il me remarque.

« Salut beau gosse »

En sa présence me rassurait malgré tout. Je ne savais pas comment l’expliquer. J’aurai donné n’importe quoi pour retourner sur la piste de danse. Il fallait que je trouve autre chose. Une autre passion. Mais ce n’était pas gagné.

« L’invitation à dîner, ça ne fonctionne pas trop avec moi je te rappelle. Trouble du comportement alimentaire, tout ça tout ça. »

Il n’y avait qu’à lui que j’avais parlé de mon anorexie, parce que j’avais besoin que quelqu’un sache. J’avais un peu honte de cette partie de mon passé, mais je ne pouvais pas la changer. Je faisais quelques pas pour m’approcher de lui. Je pouvais au moins donner mon avis.

Je n’étais pas facile à vivre, j’avais tendance à être sauvage, et il n’était pas évident de m’apprivoiser. Pourtant il avait réussi. J’étais bien là, et son sourire me faisait me sentir mieux immédiatement. Je le laissais m’étreindre gentiment. Je n’étais pas encore habitué à ce genre de tendresse. C’était étrange comme sensation. La seule personne que j’avais laissé me prendre dans ses bras était Damon. Et j’avais coupé les ponts.

Je me dirigeais les vers les bancs. Il s’inquiétait pour moi et il y avait de quoi. Même si je faisais attention à manger correctement, j’avais toujours quelques soucis à m’alimenter. Grâce à Chung Jae je me sentais important. Je me disais que finalement je valais la peine d’être aimé. Que moi aussi j’avais le droit d’être heureux.

« Ton visage est mon rayon de soleil ! »

Je lui rendais son sourire. Et non je ne l’évitais pas, enfin pas vraiment. J’avais du mal à sortir de mon lit en ce moment. J’avais envie de rester seul à broyer du noir. Ce n’était pas la meilleure idée. J’avais mes phases. Les Etats Unis me manquaient. Il me manquait. Et je me sentais perdu ici.

« Je t’évitais pas, j’étais juste … fatigué. »

Ou, complètement épuise. Autant physiquement qu’émotionnellement. Je haussais un sourcil. Quelque chose à me donner ? Ce n’était pas mon anniversaire, ni Noël. Ce n’était pas non plus une journée spéciale. Et je n’avais rien fait pour mériter un cadeau. Je le regardais sortir une boîte de son sac sans comprendre.

« Qu’est-ce que… Enfin, pourquoi ? »

Je fixais la boite sans oser en retirer le papier. Je n’avais pas l’habitude qu’on m’offre des cadeaux, encore moins sans aucune raison valable. Je posais la boite sur le banc et détachait le nœud. Mes mains tremblaient.

« What the …. »

J’attrapais la paire de chaussures pour la regarder de tous les côtés, sans vraiment comprendre. Je me doutais un peu, mais mon esprit ne voulait pas l’accepter. Je les remettais dans la boîte en faisant extrêmement attention.

« Je peux pas. Je peux accepter ça. T’es dingue ou quoi ? »


Pour moi, danser c’était terminé. Je n’étais absolument pas prêt à réessayer. Je devais me trouver une autre passion moins dangereuse pour moi. Je ne supporterai pas un autre échec. Je commençais à me faire à l’idée je ne pouvais pas espérer à nouveau. Je ne pouvais pas.

« C’est vraiment gentil mais c’est fini la danse Chung. Terminé pour moi. Faut que je passe à autre chose et tu le sais.»

Je ‘en revenais toujours pas qu’il m’ait acheté une de ces paires de chaussures. On ne m’avait jamais fait un si beau cadeau.

Je savais que je pouvais compter sur lui à n’importe quel moment, mais je devais aussi me débrouiller seul. Je ne devais pas me reposer sur lui à chaque fois que je me sentais un peu mal. Il fallait que j’apprenne à gérer mon mal être et mes douleurs seul. Il fallait que je m’endurcisse. Je pouvais surmonter ce genre de petits passages à vide, des coups de blues, rien de bien méchant. C’était tout de même rassurant de savoir qu’il était là en cas de besoin. Il s’occupait de moi presque aussi bien que ma mère et c’était assez impressionnant. Je ne donnais pas ma confiance à n’importe qui, mais lui l’avait à 100%. Belle victoire.

Il me connaissait vraiment bien, peut-être qu’il se retrouvait en moi, quand il était plus jeune. Nos histoires étaient assez similaires après tout. Je l’écoutais parce que je savais qu’au fond il avait raison. Que je ne devais pas renoncer, tout essayer pour y arriver. Mais je ne pouvais pas. Non, je ne pouvais pas nourrir un nouvel espoir, c’était ce qui m’avait fait sombrer quelques années plus tôt. L’espoir.

Je regardais ma jambe. C’était de ma faute. Si j’avais continué à manger correctement, si j’avais gardé mes forces, je me serai pas blessé, ou peut être beaucoup moins violemment. Danser avec été une partie de moi, mais je devais la laisser partir, tourner la page. Je massais mon genou instinctivement.

« Jae. Je sais que tu veux m’aider, que t’es prêt à tout pour le faire et t’imagines même pas à quel point je suis reconnaissait. Mais j’ai envie de hurler quand je marche parfois tellement j’ai mal, alors, danser, non. Je peux même pas courir. »

Parfois, il valait mieux laisser le passé enterré. Je tirais sur mon pull, trop large pour moi. Chacun de mes muscles étaient dessinés, mais il me manquait toujours quelques kilos.

« Je suis pas prêt. C’est trop dangereux pour moi, je suis encore trop mince. Et puis, je me suis fait à l’idée tu sais, je commence vraiment à me dire que y’a pas que ça dans la vie. Que je peux être doué pour autre chose. »

Et j’étais doué pour autre chose. J’étais doué pour le piano. J’avais toujours eu des facilités, mais j’avais laissé tomber au moment de mon hospitalisation. J’avais tout laissé tomber à ce moment-là. Je laissais mes mains dans les siennes et lui offrit un de mes plus beaux sourires.

« Aides moi, mais sans te ruiner. Je sais pas ce que je ferai sans toi. J’en serai sûrement pas là d’ailleurs. C’est toi qui me fait relativiser, voir la vie autrement. Mais tu dois aussi accepter mes choix. Plus de danse. Plus jamais. »

C’était difficile d’y renoncer, mais nécessaire pour ma santé mental. J’avais trop ruminé, trop déprimé pour cette foutue passion.

« Si je t’ai toi, j’ai pas besoin de la danse. »

Je m’asseyais enfin sur le banc, je n’en pouvais plus. Je tendais ma jambe pour la soulager. Je n’avais plus peur maintenant.

Je ne voulais pas le vexer, surtout pas. Son attention était exceptionnelle et c’était moi qui avais décidé de refuser ce cadeau. Je l’avais fait pour mon bien. Je savais qu’il aurait un peu de mal à comprendre, mais avec un peu de temps il y arriverait. Il avait toujours peur pour moi, et je m’en voulais de le faire autant s’inquiéter. Il avait sûrement peur que je replonge, que j’arrête de manger ou que je fasse une connerie. Je devais avouer que parfois je me faisais peur aussi, mais je m’accrochais et je commençais à bien remonter la pente. Il me manquait une chose. Ou plutôt une personne pour que tout aille bien. J’allais devoir apprendre à faire le deuil de cette personne. Il ne reviendra pas.

Je ne pouvais m’empêcher de sourire en l’entendant. Je ne sais pas comment il pouvait croire que j’étais doué pour énormément de choses. Il me surestimait tellement et j’avais toujours peur de le décevoir. Je voulais lui faire plaisir, lui rendre tout ce qu’il m’avait donné. Il le méritait.

« Je te montrerai un truc pour lequel je suis vraiment doué. »

Je ne savais pas si je serai capable de jouer un morceau, mais je me disais que c’était comme le vélo. Ça ne s’oubliait pas. Mes doigts retrouveraient chaque touche naturellement. J’y croyais. Je n’avais pas touché de piano depuis plusieurs années, mais il était peut-être temps de m’y remettre. Et Jae serait content. Je me sentais mal de le voir s’excuser, il n’y avait aucune raison. Il n’avait pensé qu’à mon bien et jamais je ne pourrais lui en vouloir.

« Y’a rien à pardonner. T’es un ange. »

Je me retrouvais dans ses bras sans rien comprendre et je me laissais faire, posant timidement mes mains sur son dos. Je n’étais pas doué pour les gestes tendres. Je n’avais jamais appris. J’avais beau me trimballer aux bras de jolies filles, il ne s’était jamais rien passé. Et à part un baiser échanger avec Damon à l’époque, je n’avais plus jamais eu aucune expérience et j’en avais un peu honte. Je n’osais jamais en parler.

« Merci. »

Je lui devais beaucoup de chose. J’avais réappris à sourire et à rire grâce à lui. Il m’avait sorti de de la tempête dans laquelle je m’étais retrouvé sans réussir à en sortir. Je le regardais emmener la boite et je soupirais de soulagement. Il fallait vraiment que je passe à autre chose. Je haussais un sourcil suite à ses paroles.

« Je suis pas un roi, t’as pas besoin de faire tout ce que je veux. T’as le droit de me proposer des choses. Je suis pas en sucre. Je sais que tu crois que je peux craquer à n’importe quel moment. Mais ça va, d’accord ? »

Je voulais le rassurer le plus possible. Je ne voulais pas qu’il passe à côté de certaines choses simplement à cause de moi.

« T’as pas un petit rendez-vous amoureux de prévu ? »

Je lui faisais un clin d’œil, j’aimais bien le taquiner. Il était celui avec qui je me sentais le plus à l’aise. Il y avait cette alchimie entre nous et je n’étais pas capable de l’expliquer.

« Tu peux me montrer ta chorégraphie. Je vais pas pleurer. »

Il m’avait fait venir pour ça, alors avant de bouger, je voulais voir ça.

J’allais devoir m’entraîner un peu avant de lui confier que j’étais un petit prodige du piano. On s’était moqué de moi à la fête de l’école avant que je ne commence à jouer. Je m’étais enfui en courant. Depuis je n’avais plus osé jouer devant personne. Ce serait mon petit cadeau pour lui. Quelque chose que personne d’autre n’avait eu. Notre relation était assez fusionnelle et je ne pouvais pas expliquer comment nous en étions arrivés là. Mais ça me plaisait.

Je ne lui en voulais absolument pas, d’ailleurs je me demandais si un jour je pourrais me mettre en colère contre lui. Je n’en étais même pas certain. Cuisiner ? Pourquoi pas. Je ne pouvais pas promettre de tout manger, mais je pouvais au moins gouter et faire un effort. Son attitude me faisait rire et je baissais la tête pour me cacher un peu. Ça faisait du bien de se sentir entouré.

« Comment pourrais-je refuser ça ? Impossible. »

Le meilleur crabe mariné ? C’était une offre bien trop alléchante et c’était un bon moyen d’occuper ma soirée et de ne pas rester seul. Je me sentais légèrement rougir à ses mots. Son préféré ? Je me sentais vraiment gêné. Même s’il le disait pour plaisanter, je ne pouvais m’empêcher de croire qu’il y avait une part de vérité. Je me mordillais un peu la lèvre avant de le regarder.

« Ça va être compliqué pour les autres de m’arriver à la cheville alors. T’es préparé pour de longues années de célibat ? »

Je lui faisais un petit clin d’œil avant de m’installer correctement sur le banc. J’aimais le regarder danser, il était vraiment parfait. C’était aussi un bon moyen d’essayer de tourner la page. Je me laissais bercer par la musique et hypnotiser par chacun de ses mouvements. Je savais très bien qu’il n’avait pas besoin de moi, c’était une bonne excuse pour me faire sortir. Je ne pouvais détacher mon regard de Jae. Il était gracieux, élégant et quand même assez sexy, mais ça, je le garderai pour moi.

J’en avais presque le souffle coupé. Il était tellement doué, beaucoup plus que je ne l’étais à l’époque. Je l’applaudissais, sans me lever, il pourrait comprendre que je me sentais mieux assis. Je le regardais sans trouver les mots qui convenaient.

« T’es …fantastique. »

Ca correspondait assez bien à ce qu’il était en effet. Je haussais les épaules en continuant de sourire. Il n’y avait pas de mot pour ça.

« C’est mal de mentir. T’avais absolument pas besoin de moi. »

J’étais content d’être venu finalement. Je me sentais toujours mieux à ses côtés. C’était tellement facile d’être avec lui.