Englishman bromance

Shin Ya, Lenny & Iggy

Un bar populaire au coeur de Séoul, une musique entraînante, légère, faisant danser quelques corps pulpeux au loin, mais pas assez forte pour étouffer les conversations et les rires qui résonnaient dans les lieux. Calmement assis au comptoir, j'observais le barman concocter le cocktail à base de gin que je venais de commander, avec une dextérité presque captivante. Je me demandais comment il faisait pour n'en oublier aucun ingrédient, ni l'ordre qui semblait être le plus important afin que le goût demeure le même. Mais c'était un peu comme moi avec le théâtre, toujours cette question qui revient toujours à mon oreille.. Comment faisais-je pour retenir tout ce texte ? Ces longueurs interminables d'un langage d'un autre siècle, ces monologues vibrants, solitaires qui prennent parfois quatre pages à eux seuls ? La passion, l'envie d'apprendre, et tout finit par rentrer, par s'enregistrer, et on finit par tout faire machinalement, comme cet homme avec son shaker devant moi. Je le remerciais lorsqu'il déposa le verre aux teintes rougeâtres devants moi, l’enivrante saveur de cannelle chatouillant mes papilles en une inspiration, une aspiration. Délicieux. J'attendais Shin Ya, mon cher cousin, à qui j'avais donné rendez-vous ici, persuadé que ce lieu était tout à fait à son image. Un brin élégant, un brin rebelle, avec ce goût de fête qui s'accrochait aux bouches de chacun des convives. On avait tous plusieurs facettes, j'étais très bien placé pour le savoir. Ça faisait quelques semaines que je ne l'avais pas vu, croisé à la Yonsei de loin sans prendre réellement le temps de discuter un peu. Je fis tourner le long verre entre mes doigts. Il commençait à me manquer. De nature distante, j'avais pour habitude de nouer des connaissances, quelques amitiés, mais ceux à qui je tenais le plus, dont l'absence me creusait l'esprit, dont la présence semblait prendre une place immense dans l'espace étroit que j'empruntai.. Oui, on pouvait dire que je les comptais sur les doigts d'une main. Shin Ya, Dambi.. Les rares qui savaient pour moi, et Iggy. Après toutes ces années, même si je m'étais habitué à mentir, à me faire passer pour un excentrique et à couvrir une double personnalité imposante, on pouvait dire qu'être naturel de temps en temps avec quelqu'un qui vous connaissez, sans devoir surveiller ses paroles, ses gestes, ses expressions.. Cela faisait terriblement du bien.

A travers les mots coréens qui heurtaient la salle en une vague géante, je percevais tout à coup une autre langue, ma langue maternelle, ou paternelle devrais-je dire, qui me fit aussitôt glisser mes prunelles caramel vers le groupe d'occidentaux qui entrait dans les lieux. J'en savourais chaque sonorité, ce sentiment familier dans chaque parole esquissée, alors qu'ils passaient derrière moi. Je suivais l'accent londonien, accent chantant d'une femme aux cheveux de blé, accent qui demeurait encore le mien mais que j'avais bien trop étouffé pour me fondre dans la masse dans ma jeunesse. La différence ici était tabou, quand elle était un cadeau sur ma terre natale. Ils s'éloignèrent vers une table, lorsque je repérai Shin Ya qui entrait enfin dans le bar, et je levais le bras pour attirer son attention. « Alors, c'était si difficile à trouver ? L'âge jouerait sur le sens de l'orientation, paraîtrait-il.. J'ai lu ça récemment dans une rubrique scientifique. » lui lançais-je, taquin, avant de lui esquisser un fin sourire chaleureux. « Tu sais, je viens juste de croiser des anglais. Et comme à chaque fois que j'en croise, je me dis que je devrais y retourner, ça fait si longtemps.. » continuais-je, alors que je le laissais se commander un verre.

    
 

FICHE ET CODES PAR BROADSWORD.