Elle prend sa dose de café matinale, que dis-je, elle a ce torrent de colère qui coule dans sa gorge. La nuit a été longues, elles le sont toute ces derniers temps. C'est dur de combattre ses démons, en même temps. Et puis y a plus le flingue pour la protéger, désarmée, démasquée elle s'enferme dans sa chambre et se cache dans un coin comme une vieille poupée froissée. Le matin elle ressemble au premier brouillon de la Madone, lavée de tout ses pêchées et de tout ses tourments. Mais dès que les rayons du soleil effleure son beau visage, son cœur s'émiette, à ses pieds, quel gaspillage.
Yon reste là avec son crayon et ses pages blanches à tourner en rond, à fixer le plafond, pensant qu'ici tout la dérange. Alors pourquoi ça sort pas putain, pourquoi ça reste coincé dans la mine, comme ces murmures, ces je t'aime qui restent sagement rangés comme des vieux tas de ruines ?
Un soupir, un sourire, ca y est elle devient folle. Allez, un autre café, encore un peu de cette puissance , ça dégourdira tes guibolles.
Mais au moment de revenir, au moment d'enfin se délecter du breuvage, un abruti la fixe bêtement, lui barre le passage. « C'est quoi ton problème ? » balance-t-elle instinctivement. Elle avait pas reconnu le blondinet, le poète aux beaux yeux bleus.

Heureux fus-je l'homme lorsque cette fille m'avait rendu mon carnet de notes. Carnet bien trop abîmé mais toujours valable. Elle me l'avait rendu mais pas que. Elle y avait laissé des dessins. Et pas n'importe quels dessins. Des dessins représentant ce que j'avais écris. Comme si par un coup de crayon elle était capable de reproduire à l'identique ce que mon cerveau s'efforçait d'imaginer depuis des mois. Elle le mettait sur papier. Et c'était beau. Elle avait fait du bon travail. Un très bon travail. Bon elle aurait aussi pu commenter tout simplement les textes que j'avais rédigé vu qu'elle s'était permise de les lire mais, son dessin était un bon compromis. Effort considérable, pas de comportement exécrable. Mon frère étant lui aussi passionné de dessin, j'en avais profité pour lui envoyé une photo d'un des croquis. Et il avait aimé. Premièrement pensant que c'était de ma main, deuxièmement, mettant en marche ses neurones de jumeaux pour rapidement comprendre que je n'étais pas assez doué pour dessiner d'une telle manière. Non ses dessins étaient épurés, du moins les miens. Ceux qu'elle avait fait l'étaient. Épurés et à la fois puissant. Je pouvais ressentir mon personnage, mon histoire, je pouvais l'imaginer à travers les traits du crayon apposés à la feuille blanche.

Yon. C'était bien son prénom n'est-ce pas ? Il m'avait fallut bien une heure pour trouver quelqu'un qui saurait où la trouver. On m'avait dit l'endroit, dix minutes de plus pour trouver le lieu et voilà, enfin, elle était là café en main. Je crois qu'elle ne m'avait pas vu. Je la fixai, la tête légèrement penchée fixant ses mains en imaginant les coups de crayons qu'elle pourrait donner sur ses dessins. Etaient-ils fins, durs, décidés, hésitants ? Avait-elle besoin d'une gomme ? De raturer ? De chiffonner une feuille et de recommencer ? Toutes ces questions anéanties par sa remarque. Je me raclai un peu la gorge en haussant un le sourcil, un peu choqué par sa manière de s'adresser à moi. Peut-être qu'elle avait ses menstruations. J'avais lu dans un article scientifique que les femmes semblaient changer d'humeur rapidement pendant ces périodes hebdomadaires. « First, calm down... » dis-je en la bougeant mon index dans sa direction. «Je suis juste venu rendre visite à la fille douée que j'ai rencontré y a quelques jours, mais si ça te pose un problème, je peux faire demi-tour ?! » dis-je en pointant cette fois-ci mon pouce dans le sens inverse.

 Elle le fixe, le regard vide. Mais une petite lueur se glisse dans la prunelle de ses yeux lorsqu'elle reconnaît son visage, une peau pâle qui apparaît de derrière les nuages. C'était l'gars qui avait perdu son carnet, ses œuvres. Fallait être un peu perché pour réussir à paumer un objet de telle valeur : ses pages ne connaissent aucune pâleur, gribouillées par des centaines de mots, par une vie débordante et quelques maux. Écrire c'est laisser une trace de sa douleur. Si personne ne sait que vous souffrez maintenant, d'autres s'émouvront de ça plus tard et justice sera rétablie. C'est œuvrer pour son histoire, corner cette page qui semble être la vie. La curiosité malsaine de Yon l'a poussé à lire, et donc à partager pendant un temps ce chagrin, ces silencieux rires. Merde, c'est vrai qu'elle est restée là sans savoir quoi dire, à retourner les mots dans tous les sens. Une imprudence, qui en valait la peine. Assez pour que l'encre coule dans sa peau, et soit recrachée dans les courbes de ses dessins.

« Oh, c'est toi. » dit-elle avec un léger sourire en coin. Elle le contourne, comme pour l'inviter à sa table et sort une cigarette en soupirant, affalée sur sa chaise. « Tu m'excuseras, j'ai passé une nuit... une mauvaise nuit. » Sans rien ajouter, elle sort le briquet allume le cylindre alors qu'il continue de la fixer. Leur regards se rencontrent à nouveau, et ils ont tous les deux l'air pas mal con à discuter sans faire de bruits. « Si tu cherches la fille douée, j'crois qu'elle est partie vomir son repas d'hier dans les toilettes... » La gracieuse se penche un peu au dessus de la table. « On dit qu'elle est un peu fêlée, tu devrais t'en méfier. » Un autre sourire, puis elle fume une latte sur sa cigarette sans le lâcher du regard, continuant sur le même ton posé. « Si t'as un message à lui faire passer, je transmettrai. »