Je glissai les écouteurs dans mes oreilles et m'élançai sur la piste en ignorant la morsure d'un froid qui finirait par s'estomper. Concentré sur les battements accélérés d'un cœur bruyant, j'allongeai les foulées et me réfugiai dans la musique, dans l'espoir d'échapper aux pensées qui m'obsédaient. Je voulais un aparté, loin de la fatigue, des questions et des problèmes qui me pourrissaient encore la vie. Mais le rock qui résonnait dans ma tête ne suffisait pas à me dissimuler ce fatras d'interrogation que je nourrissais depuis quelques jours. Ainsi accélérai-je, afin d'épuiser un corps que fuyait le sommeil. Le sang battit mes tempes, humidifiés par la sueur, et mon souffle se fit difficile. Les pensées s'évanouirent. Durant quelques secondes, je ne fus conscient que de la douleur qui enflammait mes muscles et rougissait un regard en partit dissimulé par mes paupières. Et je cédais. Ralentissant puis m'arrêtant sur le sentier, j'écrasai mes paumes contre mes genoux et me penchai pour soulager les points de côté qui mordaient mes flancs. Une écouteur chuta. Aish … Quelle idiote. Mon mouvement fut inconscient. Je tournai légèrement la tête et effleurai du regard une jeune fille avachie dans l'herbe. Les doigts enroulées autour de la cheville, elle semblait rager intérieurement. Probablement parce qu'elle se l'était tordue et se retrouvait ainsi coincée au milieu d'un parc désert. Désert ... Je me redressai légèrement en fermant les yeux, les mains posées sur les hanches. Non. Je n'avais pas le temps de jouer les samaritains pour une inconnue, aussi seule soit-elle. Je pinçai l'écouteur récalcitrant des doigts et le replaçai dans mon oreille pour repartir. Mais je n'esquissai qu'un pas. Ma conscience me taraudait et mes pensées, loin des préoccupations qui m'obsédaient depuis quelques jours, me bombardaient avec cette fille. Un soupir effleura mes lèvres et j'arrachai mes écouteurs pour m'approcher d'elle brusquement. « Vous vous êtes tordus la cheville n'est-ce pas ? » l'apostrophai-je sans cérémonie avant de m'accroupir près d'elle. « A quel point ? »Intérieurement, je priai pour qu'elle puisse marcher. Néanmoins, un coup d’œil suffit à me convaincre du contraire. Malgré la paume qui la recouvrait, il était clair que sa cheville avait triplé. Je fronçai légèrement les pommettes. « Venez, il faut aller voir quelqu'un. » Sans plus réfléchir, je lui tendis la main. Était-ce la fatigue et l'envie de fuir qui me rendait subitement imprudent ?