« Droite gauche, droite gauche! » répète inlassablement Jasun depuis des minutes maintenant, concentré sur les gestes de son élève. Son ton se fait brusque, il crie presque pour se faire entendre par dessus le boucan que provoque les coups. « OK c’est bon pour aujourd’hui. » et son élève cesse, il est trempe de transpiration, son front coule l’eau. L’aîné des Yu le gratifie d’un sourire amusé, puis retire les kick pads qu’il portait avant de se tourner pour attraper la serviette du jeune homme et de la lui balancer à la figure. Le lycéen le remercie et tourne le dos à son coach, qui lui, décide de se masser les poignets qui sont un peu engourdis. Il tourne la tête, jette un oeil à l’horloge de la salle de sport: 18h30. Il risque d’être en retard. Il pose les kick pads sur le sol du ring où il se trouve pour finalement attraper sa bouteille d’eau qu’il descend à moitié. Son chef avance à ce moment-là vers lui et le beau brun retire aussitôt la bouteille de ses lèvres, avalant la dernière gorgée avant de s’essuyer la bouche d’un revers de main.

« Tu tombes bien, faut que je te parle. » lance-t-il à l’homme d’une quarantaine d’années. « Profite, je suis là. » Jasun acquiesce et se penche pour poser sa bouteille au sol. Son chef, lui, vient s’appuyer sur les cordes du ring, ne quittant pas des yeux le jeune coach. « J’ai besoin de changer mes horaires de boulot. » Le propriétaire de la salle fronce les sourcils. « Quelque chose ne va pas? » Il doit penser que la vie privée de Jasun n’est pas au top en ce moment, faut dire que quand il a embauché le jeune homme, ce dernier était dans une période difficile, il ne pensait qu’à cogner sur tout ce qui bougeait, mais il ne lui avait jamais dit réellement les raisons de cette rébellion. « Non non, tout va bien. » Jasun penche légèrement la tête pour venir se gratter la nuque, les yeux tournants dans tous les sens, l’air clairement hésitant. Il finit par reposer le regard sur son responsable. « Je vais m’occuper de la rééducation d’une fille qui a perdu l’usage de ses jambes dans un accident de voiture. » Au moins, c’est dit. C’est un peu un pari fou, il a pourtant lui-même employé le mot « perdu », ça veut bien dire ce que ça veut dire. Et son chef ne tarde pas à afficher sa surprise en haussant les sourcils. « Je savais que t’étais fou, mais à ce point… » Jasun ne répond pas, son regard reste rivé au sol, pensif. Il repense à cette tête blonde qu’il a vu galérer à se mettre debout l’autre soir. Il revoit son sourire brisé et son visage penché, et il peut pas le supporter. « C’est perdu Jasun. Ça reviendra pas. » Le brun relève la tête vers le quadragénaire. « Non, moi je crois en elle. » « C’est pas elle qui va décider si ça va revenir ou pas. C’est la science. Et si c’est perdu, c’est perdu. D’autant plus que t’es pas qualifié pour ça, c’est le boulot d’un kiné, ça. » Un silence, plutôt long, durant lequel le brun baisse à nouveau la tête pour river son regard pensif au sol, les sourcils froncés par la contrariété que lui provoquent les mots de son chef. Pourquoi donc ça le contrarie à ce point? Parce que lui, il y croit, du moins il a la volonté d’y croire. Et s’il baisse les bras, alors qui s’occupera de Chanmi? Il ne veut pas la laisser entre les mains d’un autre. S’il a décidé que les choses se feront comme ça alors il n’y a pas d’alternative. C’est pourquoi il redresse la tête et redresse son corps, mettant sa serviette autour de son cou. « Tant pis. Je tente quand même. » Le quadragénaire pousse un soupire et se redresse à son tour, ses bras quittant les cordes du ring. « J’ai besoin que tu me laisses finir à 19h tous les soirs. J’ai rendez-vous avec elle à 20h. » « Et tes cours du soir? » « Annulés. » Il s’en fout, c’est son emploi du temps personnel qui prime, et pour le coup, il a une bonne raison de se permettre l’annulation de ces entraînements du soir.  Il se tourne et commence à rassembler ses affaires. Il est détestable quand il s’y met, c’est une vraie teigne et son chef a comme une envie de lui mettre son poing dans la figure, mais il ne le fera pas. « T’as de la chance que tu sois un bon coach, sinon je t’aurais viré depuis longtemps. »


Il ferme le coffre de sa voiture. Dedans se trouve désormais le fauteuil roulant de Chanmi. Le moteur de sa voiture tourne toujours et la blondinette est assise côté passager. Il lève les yeux au ciel et pousse un soupir qui provoque une buée s’envolant dans les airs. C’est le début d’un combat pour lui comme pour lui, et c’est ce soir que ça commence. Il est temps d’y aller. Alors, il grimpe au volant de sa voiture, ferme la portière et tourne la tête vers la jeune femme à sa droite. « Prête? » il la regarde un moment, avant qu’un petit rictus n’étire ses lèvres. Et il démarre, direction la maison de sa famille dans le quartier de Insadong.


Il gare la voiture dans la cour de la maison et s’occupe d’abord de sortir le fauteuil roulant de la Gumiho, pour finalement lui ouvrir la portière et l’installer sur son siège. L’air est plutôt frais ce soir là, c’est pourquoi Jasun ne tarde pas à conduire Chanmi jusqu’à la porte d’entrée de sa salle de sport personnelle qu’il peut rejoindre par l’extérieur sans même passer par la maison. Il sort son trousseau de clés et pousse la porte, allumant la lumière, donnant vue alors sur une grande salle où se trouvent toutes sortes d’appareils de musculation qu’il utilise régulièrement pour ses entraînements perso. Il se repositionne derrière le fauteuil et le pousse jusqu’à ce qu’ils soient à l’intérieur. D’un geste sec, il ferme la porte derrière leur passage et commence à baisser la fermeture éclair de sa veste de jogging. « Voilà mon coin interdit. » Il esquisse un sourire en baissant les yeux pour la regarder. « Personne n’a le droit d'entrer ici, je suis le seul à avoir les clés de cette salle. » Il lance un regard d’ensemble à cette salle qu’il a construit de ses propres mains à l’aide de ses frères et de son père. « Tu es la première à y entrer. » Enfin, il croit.

CODES LITTLE WOLF.