« Et c’est comme ça qu’on fait les bébés. »

Cette phrase avait chevauché le claquement sec du livre qu’il avait refermé d’une main en même temps. Assis sur le coin d’un bureau qui n’était non pas le siens, mais celui d’une des classes du laboratoire audio du département des langues, Kanesuke avait terminé son cours sur cette phrase qui n’avait rien à voir, mais comprise par tous ses étudiants. Il faut dire qu’ils commençaient à bien le connaître après, pour la plupart, une année déjà passée en sa compagnie. Ce groupe-là était composé d’étudiants en langues qui avaient une option en japonais. Des étudiants pour la plupart plus brillants que la moyenne qui visitait ses classes. Il appréciait leur donner cours, c’est vrai. Ils étaient intéressés. Mais bon. Kanesuke restait Kanesuke et alors que tout le monde se lève pour quitter, lui lançant quelques shitsurei shimasu. Sauf une gamine qui semble vouloir jouer d’aegyo en lui lançant un très gamin sensei sayônara auquel il répond par un petit coup de son bouquin sur ses doigts en passant !

Puis, son regard se pose sur le seul élève qui semblait décidé à ne pas quitter son poste informatique. Il l’observe un long moment sans rien dire, appréciateur peut-être. Le jeune homme était occupé, encore, yeux fixés sur l’écran et écouteurs sur les oreilles. Avait-il seulement écouté la dernière partie du cours ? Ah ces gosses… Mais si Kanesuke le regardait avec autant de plaisir, ce n’était pas pour éventuellement lui faire la morale. Il savait que certains professeurs en jouissaient presque à l’avance quand une telle situation se présentait. De vrais détraqués. Non, il n’était pas très moralisateur, pour sa part. Par contre, Niemi Antti était tout simplement superbe et ça, ça attirait son regard ! Plus petit que lui -cliché, mais ça lui plaisait comme ça-, délicat, des traits tellement symétriques que ça l’avait saisi un peu la première fois qu’il l’avait vu… Il avait un joli accent peu importe qu’il parle coréen ou japonais qui lui venait du nord de l’Europe. Ça lui avait plût immédiatement, lui rappelant à quel point il avait aimé la Finlande pour la petite année qu’il avait passé là-bas. Et quand il se perdait dans ses pensées, à demi couché sur son bureau, il avait un petit air rêveur qui se lisait dans son joli regard étiré sur les tempes et qui lui allait comme un gant.

Kanesuke sort de ses songes en se relevant. Il s’avance lentement dans la pièce, contourne le jeune homme… puis laisse tomber le bouquin près de lui pour le faire sursauter ! Un petit nuage de parfum doux lui flotte jusqu’aux narines, lui faisant pousser un petit soupir de contentement. Kanesuke n’avait jamais été obnubilé par qui que ce soit si ce n’était sa petite personne. Et il croyait qu’avoir ce garçon lui permettrait de se le sortir de la tête. Il ne savait juste pas s’il allait vraiment se mettre en chasse. Bref. Sa nouvelle position lui permet de voir par-dessus l’épaule du jeune homme qu’il était en fait sur YouTube !

« Tu te regardes ? », demande-t-il avec un peu d’amusement et un peu de moquerie tout à la fois. Mais c’était bel et bien Antti qui parlait à la caméra, bien qu’il n’entende rien à cause des écouteurs branchés au poste de travail. « Eh bien, aurais-je trouvé plus égocentrique que moi ? »

Sans gêne, Kanesuke tend la main pour débrancher les écouteurs, entendant enfin la voix en… finnois. Il écoute un moment sans rien dire. Et  finalement, une petite grimace sur le visage, il convient dans cette belle langue elfique :

« Je suis rouillé une peu…. Beaucoup. »

Il s'était ravisé parce qu'il fallait bien l’admettre…! Redescendant son regard sur son élève -celui qui était bel et bien avec lui et non pas les petits pixels sur l’écran !- Kanesuke a un rire bref. Surpris ?

« J’ai habité la Finlande un an. », explique-t-il en coréen tout en s’assoyant avec nonchalance sur le coin du bureau du poste informatique. « J’ai même connu un Niemi. Toute une furie… »

Il n’en avait plus connu des comme ça… Dommage qu’ils aient été extrêmement incompatibles sur tous les aspects possibles, si ce n’était pour avoir une franche amitié, parce que dieu, ça l’allumait ce genre de caractère bien trop rare ici !

Officiellement Antti était en cours. En général il était plutôt attentif pendant ces derniers histoire de justifier auprès de sa famille un minimum de l’utilité et du sérieux de ses études. Mais aujourd’hui il s’était laissé distraire et pour une fois la source de sa distraction n’était pas le prof en lui-même ! Recevant diverses notifications sur son cellulaire, Antti avait finalement mit le nez dedans et une fois la moitié du cours passé il avait sortit ses écouteurs pour les brancher au pc et aller sur une page sans aucun rapport avec le cours : YouTube.

C’était vers sa propre page qu’il s’était dirigé. Et même vers une de ses dernières vidéos. Il y en avait assez peu des comme celles-là… Des tout en finnois. Mais ça lui arrivait parfois quand il avait besoin de prendre un bol d’air « bien de chez lui ». Il se lâchait sur le finnois et paf, ça faisait parfois une vidéo. Elles étaient étonnamment bien perçues par sa communauté… Et la seule demande qui ne cessait de pleuvoir c’était la traduction de tel ou tel passage. La distraction étant de toute façon de mise à ce moment là, Antti avait décidé de se lancer dans un travail de traduction « maintenant ».

La faille, évidemment, c’est qu’il n’entend pas la fin du cours arriver. Et concentré sur l’écran comme il l’est, il ne perçoit pas tellement le mouvement autours de lui non plus. Antti avait tout un tas de défaut mais lorsqu’il se concentrait sur quelque chose il y était pleinement plongé au moins. Sauf qu’alors qu’il s’y attend le moins, cherchant une façon judicieuse de traduire du finnois à l’anglais une expression qui n’avait pas son pareil dans la langue de Shakespeare, on laisse tomber près de lui un lourd livre de classe !

Antti sursaute, retirant sa main de la souris à vitesse grand-V, des fois qu’un autre livre tomberait un peu plus à gauche ou quelque chose comme ça ! Son regard courroucé remonte jusqu’au maladroit… Et ne s’apaise que très peu en voyant que c’était leur joli et rebelle professeur de japonais. Un natif, pour le coup.

« Attention là... »

Antti grommelle un peu, retirant un écouteur, jetant un vague regard à la vidéo qui continuait de tourner avant d’en revenir au professeur Aizawa. C’était un homme grand et à en croire les photos de son instagram -il avait été voir oui!- les années n’avaient fait que l’embellir. On disait de certains hommes qu’ils étaient comme le bon vin et Kanesuke Aizawa était définitivement comme ça.

Quant à son égo, Antti hausse les épaules. Ça aurait pu lui retirer cette idée de la tête peut être que de lui expliquer qu’il ne faisait qu’un travail de traduction mais puisqu’il était orgueilleux de nature de toute façon ça n’aurait fait que déplacer le problème en réalité.

Ses écouteurs son débranchés de l’ordinateur… Et Antti a un petit regard d’ennui pour le japonais… Puis de surprise alors qu’il bredouille quelques mots dans sa langue natale. Toujours un peu soupe au lait, il constate :

« Plutôt beaucoup ouais. »

Mais bon… En vrai il était impressionné. Parce qu’il savait à quel point sa langue était difficile à apprendre… Et qu’il avait parfaitement comprit ce que Kanesuke avait essayé de lui dire. Et puis finalement, entre leurs deux langues, à Kanesuke et à lui, il y avait au moins une similitude… Elles faisaient partit de la même famille, celle des langues agglutinantes. Bref.

« Vraiment ? »

Ça c’était pour l’affirmation à propos de la vie en Finlande pendant un an !

« De quel côté ? »

Il était agréablement surprit… Et lui qui avait eu besoin de sentir un peu le vent frais de son pays natal sur son visage récemment le vivait un peu comme ça à cet instant précis, d’en parler de cette manière.

« Qu’est-ce qui vous en a fait partir ? Le froid ? »

C’était souvent ça. Parfois aussi le fait que les Finlandais étaient difficiles d’approche, surtout au niveau de leurs bulles perso ! Et pourtant ils étaient des gens très chaleureux au-delà de ce genre de considérations. Quant à avoir connu un Niemi :

« C’est un nom assez répandu. »

Et d’ajouter, possédant un minimum d’autodérision :

« Et puis le caractère « furie » l’est au moins autant. »

« Sale petit caractère. », ricane Kanesuke tout haut, pas du tout perturbé à l’idée de froisser Antti, voire de s’attirer carrément ses foudres. Il avait toujours préféré les étrangers de par leur manque de réserve là où, selon lui, les Asiatiques en avaient toujours trop ! De toute façon, il le méritait bien… parce que son élève ne se prive pas pour tacler sur son finnois un peu approximatif, hein ! Kanesuke arque les sourcils, s’intéressant à une de ses mains, caressant de son pouce le tatouage qui décorait un de ses doigts. C’était les seuls qu’on voyait lorsqu’il était à l’université, devant porter des chemises longues pour le reste. Pas ses fringues favorites alors il restait au plus simple : chemise blanche rentrée dans un pantalon noir -généralement un jeans n’en déplaise à ses collègues- et ceinture pour retenir le tout autour de sa taille étroite. « En même temps, si tu avais une langue qu’il est possible d’apprendre, ce serait autre chose, mais là… »

Bam ! Sur le museau, sale petite bête ! En même temps, le finnois était vraiment réputé pour être une des langues les plus difficiles à apprendre au monde. Les Finlandais eux-mêmes blaguaient beaucoup à ce sujet. Les cours de finnois là-bas étaient souvent annoncés de façon assez rigolote à ce propos ! Il savait de quoi il parlait, hein… Mais bon, le reste de la conversation semblait quand même un peu moins sous le signe des coups bas et relevant son regard bridé vers Antti, Kanesuke acquiesce donc à sa question, calmement.

« Ouais. Vraiment. Pendant une année. C’était génial. », admet-il sans hésiter, pouvant concéder à ce pays d’être une vraie expérience positive dans sa vie. « J’ai commencé à Helsinki, la base. Mais j’ai vite bougé mes miches à Turku. En fait j’y étais allé un weekend pour une exposition au musée qui m’intéressait et je suis tombé sous le charme alors deux jours plus tard, je m’y trouvais un appartement et yolo, comme on dit. »

Oui bon, Kanesuke intégrait assez rapidement les expressions de jeunes, généralement sans même que ça semble déplacé ! Par contre pour le froid, le Japonais a une petite exclamation presque outrée !

« Certainement pas ! J’ai passé les vingt dernières années de ma vie entre Sapporo, le Canada et le nord de l’Europe. », assure-t-il vigoureusement ! Il pousse un petit soupir, un peu songeur avant de finalement expliquer : « Mon visa de travail a juste expiré et je n’ai pas pu le renouvelé parce qu’on ne voulait pas accepter mes diplômes canadiens et japonais. Surtout les japonais, en fait. Donc j’ai bougé encore une fois. Puis plusieurs autres après. »

Il était globe-trotteur… et il savait fuir ses problèmes de façon presque professionnelle, à ce stade… Il a un petit clin d’œil à propos des furies de ce monde, surtout de celles de Finlande. Ça, ça l’amusait…

« Mais on disait à Turku que le caractère des Niemi était légendaire et qu’aucun ne l’avait plus que Matti Niemi… et pour ce que j’en ai vu, je le crois allègrement ! », ricane-t-il amusé, sans se douter une seule seconde qu’il parlait à une autre branche de cette noble famille d’enragés ! Il a un petit clin d’œil taquin pour son élève, en revenant pour le coup à l’écran de l’ordinateur. « Alors, Youtubeur ? Ça marche bien pour toi ? »

Kanesuke réfléchit un instant avant de finalement taquiner à nouveau, mais cette fois dans le but de titiller un peu la fierté du garçon et d’obtenir ce qu’il voulait !

« Je suis sûr que tu ne serais pas capable d’en faire une en japonais… », met-il au défi, une lueur d’amusement dans le regard. « Tu devrais me filer l’adresse, que je vois ça. »

C’était une façon comme une autre d’avoir ce qu’il voulait, non ? Kanesuke n’était pas un homme très conventionnel. On lui répétait souvent qu’à son âge, il aurait dû être plus sage, avoir une femme, une petite famille… Mais il s’en fichait bien de ces conventions. Il était excentrique et le vivait très bien. Taquiner un élève de la sorte ne lui semblait pas déplacé !

Antti avait esquissé un simple sourire lorsque son professeur avait un peu mal parlé de son caractère ! Ça va, ça précisément il ne le vivait pas comme une insulte. Il savait bien trop qu’il avait effectivement un très fort caractère pour essayer de simplement le nier. Mais puisque la conversation semble se poser dans un cadre moins officiel que celui du professeur et de l’étudiant, lorsque le premier cherche un peu à vanner, Antti prend un ton philosophe pour répondre à ce petit tacle !

« Ce n’est rien, je comprend. Il faut certaines compétences pour maîtriser les autres langues. On ne les a pas toujours. Mais vous ne vous débrouillez pas si mal en coréen malgré vos lacunes. »

C’était un peu la guerre des coups bas dans le domaine de la linguistique mais bon ! Prof ou pas prof, Antti n’allait pas le laisser gagner aussi facilement ! Ceci étant dit il avait parfaitement conscience de la difficulté que cela représentait d’apprendre sa langue maternel. Et c’était bien pour ça qu’ils en parlaient légèrement et non pas à couteaux tirés actuellement !

En tout cas la suite est plus bon enfant… Et Antti frise légèrement alors que Aizawa lui parle de Turku. Forcément que ça l’interpellait hein… Il ne peut donc d’ailleurs qu’acquiescer dans un premier temps, saluant par le fait même l’endroit où il avait passé la majeure partie de sa vie jusqu’à aujourd’hui.

« Parfois l’hiver de là bas me manque. Ses étés aussi remarquez. »

Pourtant il était du genre frileux. Mais à ce stade ça tenait moins à des manques physiques que psychologique. La température n’avait pas vraiment droit au chapitre du coup.

Par contre un « ho ! » surprit et presque grognon sans réel cause franchit la barrière des lèvres d’Antti. Matti Niemi ? Il avait bien comprit ? Ok il y avait certainement des homonymes ici ou là mais un Matti Niemi à Turku avec ce caractère flamboyant qu’on lui vantait, ça devenait de plus en plus difficile d’en faire une coïncidence hein ! Et du coup :

« Matti est mon frère. »

Et histoire de se tacler gentiment en prévenant néanmoins de la menace qu’il pouvait devenir, Antti ajoute :

« Il m’a apprit presque tout ce que je sais en matière de caractère. »

Et si Kanesuke avait effectivement goûté au caractère de son frère, il devait très bien imaginer à présent !

« Le monde est vraiment tout petit, finalement. »

Plus qu’il ne l’avait imaginé en se perdant devant une mappemonde, préparant dans sa tête son départ de la Finlande pour rejoindre les contrées orientales de la Corée du Sud. Quant à sa chaîne YouTube, Antti vient montrer d’un doigt posé sur l’écran le nombre d’abonnés à sa chaîne. Ça se comptait en millions à présent. C’était donc plutôt bon pour lui.

« J’ai mon petit succès. Je touche un public plus large en faisant mes vidéos en anglais, d’habitude. »

Et retirant son bras pour montrer ce qu’il était en train de faire, soit de la traduction, il complétait un peu son explication sur le visionnage de cette vidéo en particulier. Quant à cette vidéo en japonais qu’il ne saurait faire :

« Bien sûr que je saurais. »

Bon, ça ne serait pas parfait ni rien… Et Antti ne se sentait pas « prêt » à 100 % pour en faire une « maintenant ». Mais honnêtement :

« Dans quelques mois, on en reparlera. »

Et parce qu’il n’était pas question d’admettre que c’était parce qu’il ne se sentait pas tout à fait prêt, Antti ajoute :

« J’ai d’autres vidéos sur le feu avant celle-là. Et il faudra que je trouve un terme à abordé autre que « mon prof de jap’ bizarre voulait que je fasse une vidéo. » ».

Mais avec amusement il ajoute :

« Je pourrais faire une vidéo qui parle de vous quand même. J’appellerais Matti. Il aura peut être des faits intéressants à me donner pour alimenter cette vidéo. »

Kanesuke a un petit sourire plus moqueur qu’autre chose alors que son jeune étudiant le remet un peu à sa place en prétendant qu’il ne l’avait pas du tout avec les langues. C’était amusant, parce qu’on lui avait plutôt dit le contraire quand il avait passé divers tests de QI à de nombreuses reprises, ses parents bien trop fiers d’avoir donné naissance à un prodige pour le laisser en paix avec ça. Il avait une intelligence pour les langues bien au-dessus de la moyenne. C’était son domaine fort alors que dans les autres, il péchait par manque d’enthousiasme !

« Attention… Je pourrais croire que rien que pour me trouver des défauts, tu es prêt à ignorer l’évidence. », fait lentement remarquer le Japonais, ajoutant sans se museler : « La stupidité n’est pas séduisante, Antti. »

En plus, des défauts, il en avait des centaines, si jamais ! Suffisait de piocher dans le grand chapeau que la vie lui avait donné pour y planquer tous ses travers ! Il a toutefois un petit sourire ensuite, acquiesçant lentement. Il comprenait pour l’hiver. Il adorait la saison froide et très, très longue de la Finlande. Ses journées mille fois trop courtes, ses longues nuits glaciales. Le vent qui sifflait aux portes et fenêtres. Décidément, la Corée n’allait peut-être pas le retenir très longtemps. Il avait encore envie de bouger, il réalisait ! Peut-être pour retourner en Finlande. Mais le mal du pays d’Antti réveillait en Kanesuke un sentiment si pas nouveau, qu’il avait néanmoins étouffé pendant de très nombreuses années… Sapporo, ça pourrait être bien, aussi, après tout…

Toutefois, on le tire bien rapidement de ses pensées. Antti arrivait avec une information toute nouvelle et très, très étonnante ! Ils parlaient visiblement du même homme… et après sa première surprise, il a un rire un brin moqueur, mais aussi réellement amusé.

« Pourquoi est-ce que ça me surprend moins que ça devrait ? Enfin… », marmonne Kanesuke tout en montrant Antti d’un geste de la main. Il ne ressemblait pas du tout à Matti, hein ! Il avait probablement été adopté, mais pour le Japonais, c’était une information assez secondaire, alors il ne demande pas. « Tu as été un très bon élève, il semblerait… »

Pour le caractère ! Quoi qu’il en soit, l’attention de Kanesuke est finalement attiré à nouveau par l’écran d’ordinateur, puis la traduction que faisait Antti. C’était un bon exercice, mine de rien. Se relevant, il contourne son jeune élève pour avoir une meilleure vue sur ce qu’il faisait jusque-là, se penchant un peu sur lui pour lire ce qu’il avait écrit.

« Oui, l’anglais est toujours le meilleur choix d’un point de vue « nombre ». », convient Kanesuke, approuvant sans arrière-pensée ce que Antti venait de dire. Par contre à la suite, il relève la tête vers lui, le regard brillant d’espièglerie. En partie parce qu’il allait avoir sa vidéo en japonais, en partie parce qu’il avait réussi à piquer la petite fierté du Finlandais, mais aussi parce qu’il comptait demander des informations à son sujet à son grand frère. Oh, ça allait être amusant…! « J’ai bien peur que ma réputation ne soit alors déjà irrattrapable. Matti et moi sommes aussi amis que nous sommes incompatibles. C’était extrêmement divertissant… Surtout pour moi. Lui, il se fâche bien trop pour trois fois rien, si tu veux mon avis…! »

Et son attitude laisser-aller était clairement une des raisons pour lesquelles ils se disputaient toujours ! Enfin… Matti disputait et lui laissait couler, comme d’habitude !

« Il va te mettre en garde. J’ai hâte de voir ce que tu vas en faire. Si tu as vraiment bien appris de lui, ça risque d’être amusant.. », taquine Kanesuke tout en s’éloignant finalement, prenant son livre au passage. « Un Niemi ne se laisse jamais dicter sa conduite, pas vrai ? »

Il n’y avait décidément rien de plus amusant que de les voir aller, ceux-là !

« Je suppose que tu n’as pas entendu le devoir que j’ai annoncé à la fin du cours. », fait remarquer Kanesuke, changeant de sujet avec une rapidité dont lui seul avait le secret. Il a un sourire amusé, s’assoyant derrière le bureau de l’enseignant. « J’espère que tu as des copains dans la classe ! »

Quoi ? Ce serait bien moins drôle de tout répéter…!

Visiblement ils ne comptaient pas lâcher l’affaire ni l’un ni l’autre. Mais Antti ne baisse pas les yeux ni ne détourne le regard. Il était prêt à l’affrontement, s’il le fallait ! Bien sûr qu’il modérait son caractère à l’université et surtout envers le corps étudiant… Mais il y avait des limites à tout !

« Il semblerait qu’au moment de nier l’évidence vous ne laissez pas votre place non plus, Sensei. »

Il avait un peu appuyé sur ce « sensei » qu’il lui devait. Et puis, parce que ce professeur ne devait pas être dupe vu son propre caractère :

« A mon avis, vos « défauts » ont déjà bien assez été montrés par vos pairs, non ? »

Il avait dû en essuyer des remarques en tout genre avec son look de rocker. Dans une université aussi prestigieuse en plus ça faisait désordre aux yeux des gens de ce pays, non ? Il y avait en Asie ce côté conservateur qui lui hérissait souvent le poil, même s’il tombait en de rares occasions en amour avec. Il avait néanmoins encore appuyé sur un mot. Cette fois sur le mot « défaut ». Parce qu’il ne tenait pas non plus à ce que le professeur Aizawa s’imagine qu’il faisait partit de ses détracteurs à ce chapitre.

La conversation dévie de toute façon sur Matti… Et pas que ça le contrarie que son frère arrive sur le tapis mais bon… Il aimait autant éviter de se faire éclipser par ce dernier en général quand il parlait à un bel homme ! Pourtant Aizawa semblait l’avoir très bien connu. Du moins le portrait qu’il en dressait lui était plus que familier. Peut-être que Matti serait heureux de l’apprendre lorsqu’ils en parleraient.

« Bon, ça suffit à présent de parler de Matti. De toute façon je n’ai pas besoin de son avis pour faire quelque chose. »

Sur son petit ton péremptoire qui ne souffrait pas vraiment la réplique ! Et même, parce qu’il ne manquait pas d’orgueil le moment venu :

« Il était question de moi jusqu’à présent non ? Et rien que le fait que je sois là prouve qu’il ne peut que conseiller, pas réellement m’influencer davantage. »

Parce que si le professeur le connaissait si bien il devait connaître son côté papa poule, non ? Alors si Aizawa voulait bien éviter d’y aller de tous les « bons souvenirs » que son frère lui avait laissé ! Et d’ailleurs, histoire de clôturer le débat :

« Avant que vous ne vous mettiez à rêvasser en songeant à cette belle époque : mon frère s’est marié. »

Et il ne voyait plus que la montagne qui lui servait de mari ! Donc inutile de tester la température ni rien du genre ! Et finalement, quand le japonais conclu que dans sa famille on ne se laissait jamais dicter notre conduite, Antti acquiesce.

« Pas même par un autre Niemi. »

Voilà qui lui sembler clôturer admirablement toute sa petite démonstration. Quant à ce devoir, Antti se lève à son tour, rangeant calmement les quelques affaires qu’il avait sorti dans son sac.

« J’en ai mais ça ne sera pas nécessaire. »

Il avait un culot à toute épreuve. Un trait de famille sûrement là encore… Et de fait, se drapant dans toute sa superbe, Antti s’approche du bureau de l’homme, prenant plus ou moins le chemin de la sortie.

« Vous m’en reparlerez… »

Et avant qu’Aizwa n’ait protesté ou ne l’ai envoyé mourir :

« … Autour d’une tasse de café, demain soir, après le cours. »

Ils étaient majeurs tous les deux… Il pouvait bien l’inviter à boire un café, non ?

Encore une fois, plusieurs auraient fortement jugé s’il l’avait dit tout haut, mais Kanesuke trouvait cette façon rebelle de dire « sensei » assez sexy, pour sa part ! Ça lui met un petit sourire en coin dans le visage, pour le coup, alors que son regard d’encre reste posé sur le petit Finlandais. Quant à ce que certains (plusieurs !) considéraient comme des défauts, il ricane un peu, imperturbable malgré tout. S’il se souciait tant de l’opinion publique, il ne sortirait clairement plus de chez lui, vu comme il n’entrait plus dans le moule asiatique depuis longtemps ! Avant même de partir du Japon, Kanesuke était un produit défectueux, aux yeux des biens pensants. Ça ne lui posait aucun problème. Il n’y avait après tout rien de pire que vivre pour les autres. Il faisait des efforts pour son boulot. Sa tenue en faisait partie. Mais il ne fallait pas trop lui en demander et on ne l’avait jamais vu avec une cravate ou un veston de complet !

Par contre, la suite l’interpelle davantage. Antti semble vouloir couper court la conversation à propos de son frère aîné... et pas nécessairement parce que ce dernier lui était antipathique ! Ça l’aurait de toute façon étonné. Il connaissait le côté mère poule de Matti. Et malgré son caractère épouvantable, il savait comment être présent pour sa famille, comment la garder unie. Ça n’avait pas changé, c’est sûr. Ça devait même être encore plus présent qu’il y a une poignée d’années. Surtout que comme Antti le signale soudainement, Matti s’était marié. Ça le fait rire. Jalousie, alors ?

« Mon ange, ta beauté n’est pas comparable. Inutile d’être si jaloux... », susurre-t-il avec un amusement qu’il ne tente pas de dissimuler, pour la peine ! Il a un clin d’oeil pour Antti, ajoutant : « Ton frère et moi n’avons pas même eu une aventure. Ça ne nous intéressait pas. On savait déjà qu’on se déchirerait avant même qu’elle commence. S’il y a bien une qualité commune que nous possédons, c’est de ne pas être trop con. »

Il glisse son sac à bandoulière sur une de ses épaules, coinçant de sa main libre un livre contre sa hanche, prêt à partir lui aussi. Antti... fait à nouveau preuve de tout le culot du monde, soit celui typique chez les Niemi. À ce qu’il en savait, ils le tenaient de leur mère, pas de leur père. Ils faisaient donc une toute nouvelle réputation aux Niemi, mais cette réputation risquait de tenir pendant plusieurs générations !

« Tu diras à ton frère qu’il a mes voeux de bonheur en retard. », demande-t-il, cette fois sérieusement. Et après un rire bref, l’enseignant sort de la classe, jetant par-dessus son épaule : « C’est ça. Il va falloir travailler un peu plus que ça. Ce serait dommage de ne pas profiter de ton petit culot à 100%... »

Tu parles. Il n’y avait rien dont il n’avait plus envie présentement que de ce café. Mais il ne pouvait pas. Pas comme ça. Peut-être que pour la première fois de sa vie, Kanesuke avait des scrupules. On parlait du frère, presque du fils, de Matti Niemi, après tout...