« Je peux toucher ? » Rien ne l’en empêchait, mais il avait peur. C’était si petit et si fragile. Depuis plusieurs jours, il savait que quelque chose avait changé. On lui disait qu’il était devenu grand frère. Il ne savait pas trop ce que ça voulait dire mais il aimait l’idée. Quand sa mère déposait sa petite sœur dans son berceau ; il allait chercher le petit escabeau qu’il utilisait pour atteindre l’évier de la salle de bain ; il arrivait à peine à se pencher au dessus d’elle pour la regarder dormir, jouer avec son hochet ou rire aux grimaces qu’ils lui faisaient. Il avait un peu plus de 4 ans quand elle entra dans sa vie.

A 9ans il avoua à ses parents qu’il avait trouvé la femme de sa vie. Elle s’appelait Ailis, elle avait 8 ans et 9 mois et elle était dans sa classe. Une gentille fille, blonde aux yeux bleues et étant la meilleure élève. C’est ce qui lui plaisait : malgré son jeune âge, elle était forte. Elle le battait à la course et aux concours de pog. Une vraie femme quoi. L’enthousiasme et la détermination du petit en annonçant la nouvelle à ses parents les fit sourire. Ils trouvaient ça touchant. Donc pourquoi cette amourette les dérangerait-ils, si ça rendait leur fils heureux ?

La crise d’adolescence… Personne n’y échappe, pas même le plus heureux des jeunes garçons. C’est les hormones en folies, et la tête pleine d’idéaux que Carrick s’isolait de sa famille rêvant d’indépendance. Chaque conversation était sujette à des polémiques et disputes. Aujourd’hui il ne se rappelle même plus les raisons de ces querelles, alors qu’à l’époque il prenait tout tellement à cœur. Il envoyait paitre sa petite sœur chérie et elle lui rendait bien. Aussi buté qu’une autruche, il agaçait ses parents. Et pourtant, parfois, il en vient à regretter cette époque.

20 ans. Considéré comme assez vieux, mais clairement trop jeune. La disparition de ses parents changea tout. Plus rien ne serait jamais comme avant. Cette idée l’insupportait, sa vie était désormais scindée en 2 : un avant et un après. Même des personnes qui lui étaient inconnus s’octroyaient le droit de lui dire à quel point cette tragédie était une immense perte pour tout le monde cependant personne ne répondait à ses questions. Comment allait-il subvenir aux besoins de sa sœur ? Pourquoi les meilleurs partent-ils toujours en premier ? En quoi c’était... Juste ?

Tout s’enchaina rapidement. La nouvelle, l’hôpital, l’enterrement, le notaire. Il ne s’entoura de personne, ce sont les vautours qui vinrent à lui. Il pouvait malgré tout compter sur le vice président de l’entreprise, l’ami de son père, une source de soutient intarissable qui pourtant l’amena à prendre la pire décision de sa vie. Il envoya sa sœur dans un lycée prestigieux d’Angleterre. C’était pour son bien. Il se sentit si seul après son départ. Etant à présent le PDG de l’entreprise il ne voulait pas de ces responsabilités, mais un dirigeant qui ne dirige pas n’augure rien de bon. En peu de temps il a fallut trouver une solution pour remédier au déclin de l’entreprise. Il ne pouvait pas abandonner ainsi l’œuvre de son père. Comme un seigneur féodal, on lui fit croire qu’il devait se marier pour asseoir et étendre son royaume. Il refusa un temps mais fatigué d’entendre tous les jours la même rengaine, il se convaincu que c’était ce qu’il fallait faire. Alors qu’il pensait ne pas pouvoir tomber plus bas, il se retrouva marié à 22ans.




Aujourd’hui, 11ans plus tard il se sent prit au piège. Il se cache derrière les apparences. Une journée de plus dans ce bureau, elles se ressemblent toutes. Une pile de papiers importants à lire et l’heure de la réunion hebdomadaire arrive. Le conseil décide de manière unanime que cet accord est une aubaine. Le départ de Carrick vers la métropole Sud Coréenne est imminent.