Ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti ça, cette envie de sortir de mon petit confort pour les retrouver, pour la retrouver. Cette envie indescriptible de me jeter dans leur bras, puis de m’excuser mille fois pour tout ce que j’avais pu faire depuis petit. Toutes les conneries faites, toutes les insultes dites, toutes les trahisons. Oui il m’arrivait parfois de vouloir demander pardon. Est-ce que je le faisais pour autant ? Pas vraiment, ou alors à ma manière. En fait, si on y réfléchissait de plus près, c’était souvent lors des périodes de noël, lorsque l’hiver s’installait, que la neige sortait son manteau, que mes peines resurgissaient d’un coup. Comme si, j’étais physiquement plus apte à demander pardon à ma famille en hiver plutôt qu’au printemps. Ou peut-être était-ce tout simplement parce que mes cauchemars se faisaient plus nombreux à cette période de l’année. Et qui disait cauchemar, disait crise existentielle assurée, accompagnée d’une crise de panique pour bien vous gâcher la nuit. Les moments les plus solitaires de ma vie.

Et c’était bien ça mon souci. C’était bien ça l’élément perturbateur de tous mes rêves : le jour où on m’annoncerait le début de mon règne. Le jour où tout ce que mes parents et aïeux avaient battis me reviendraient de droit. Le jour où ma figure maternelle et paternelle s’en iraient. Le jour où d’un coup, je deviendrais l’aîné pour de bon. Alors est-ce qu’il fallait que je demande pardon maintenant ? Avant qu’il ne soit trop tard ? Avant qu’ils partent ? Est-ce qu’il fallait que je leur dise cette fichue phrase qu’ils attendaient ? J’avais essayé des dizaines de fois. A chaque fête, à chaque anniversaire, des tas de lettres écrites puis jetées à la poubelle. Comme s’il était si compliqué de dire à ses parents qu’on les aimait. Comme si c’était compliqué de dire à sa mère qu’on avait besoin d’elle plus que n’importe qui. Oui. Ça semblait définitivement impossible pour moi.

Mais ce n’est pas ça qui allait m’arrêter, et cette année j’allais essayer, tant bien que mal de rendre heureuse ma mère. Et quoi de mieux que ma propre jumelle pour aller m’aider à chercher un cadeau pour elle ? C’est donc ainsi, que je pris le volant de ma voiture pour aller rejoindre ma sœur, à la sortie de son travail, mission, trouver un sapin, et un cadeau pour la maman. Ça me ferait aussi une occasion de parler avec NaYeon.

C’est donc étrangement avec quelques minutes d’avance que j’arrive devant le travail de ma cadette. Ayant descendu la fenêtre côté passager, je guette, attendant qu’elle ne fasse son opération puis finalement je vois la grande perche débarquer. Elle m’a vu ? Elle m’a pas vu ? Elle fait semblant de pas me voir ? «Hey, excusez-moi, vous prenez combien pour la soirée ? »

OOTD | Il y a des moments où l'on sait que l'on ne doit rien dire, que l'on ne doit pas protester ou même insister. Certaines personnes ne savent pas avoir ce sixième sens, d'autres l'ont à merveille. Pour Na Yeon... Et bien, la jeune femme était un mélange de ces deux cas. Plutôt aveugle aux réactions et aux limites des autres, lorsqu'il s'agissait de ses frères ou de sa sœur, son radar était infaillible. Même si elle ne pouvait pas voir leur expression, elle savait, elle sentait. Un sixième sens aiguisé, presque télépathique, presque surnaturel. Alors lorsqu'elle avait reçu les messages de Jae In, elle avait un peu tiqué. Était-ce la façon dont il avait formulé ses phrases ? Les mots qu'il avait employé ? Allez savoir, mais Na Yeon le sentait au fond de ses tripes. Alors sans faire de mauvaises blagues, sans faire semblant de ne pas avoir envie, elle avait accepté qu'il vienne la chercher au travail et qu'ils passent du temps ensemble.

Ça la tracassait un peu même, alors elle avait travaillé d'un air un peu distrait. Jae In et elle se ressemblaient sur tellement de points. Ils allaient bien physiquement, mais tous les deux partageaient un mal-être mental qu'ils exprimaient peu. D'ailleurs, depuis que Jae In avait donné un de ses reins à Ae Yeon, la seconde de la fratrie n'en parlait plus avec lui. Elle était la seule qui n'avait pas à se plaindre après tout. Alors elle ravalait sa culpabilité, elle ravalait ses complexes, elle souriait, elle râlait, mais surtout, elle était là pour eux, comme ce soir-là pour Jae In.

Après sa journée pas franchement productive, elle coupa ses logiciels, son ordinateur et sortit du bureau, quelques étages plus bas, elle était enfin dehors. Et, à sa grande surprise, Jae In était déjà là. Offrant un rictus à son frère, elle se pencha pour lui répondre par la fenêtre du véhicule, sans y entrer. « Trop chère pour toi mon chou. » Elle fronça les sourcils. « Mais t'as l'air d'en avoir bien besoin, alors je vais être sympa pour ce soir. » Finalement, elle sourit en faisant la moue, et ouvrit la portière pour monter dans la voiture. Elle attacha sa ceinture de sécurité et s'affala dans le siège, soufflant enfin. « Juste pour te prévenir avant toute chose : j'ai la dalle. Je pourrais bouffer un... Un yack ! » Rien que ça. Elle bouffait comme quatre et restait irrémédiablement maigre, pas moyen de gagner un peu de cul, monde cruel. Et vu la mission pour laquelle il voulait l'embarquer, autant qu'elle ait le ventre plein pour avoir assez de force, les connaissant, la mission n'allait pas être chose aisée. « Tu sais qu'en participant pas au cadeau commun pour maman tu nous fais passer pour des rats ? » Surtout elle, vu qu'elle était la seule à bosser à plein temps. Encore une fois, Na Yeon n'avait aucune excuse...

« Genre t’es trop chère pour moi, même gratuitement personne te prendrait t’façon » dis-je en guise de bonsoir à ma sœur, avant de lui remonter la fenêtre au nez, tandis qu’elle rentre dans la voiture. On a jamais appris à être sympa l’un envers l’autre. Sauf dans des cas extrêmement rares que je ne pourrais citer à l’heure actuelle par manque de preuve. « Tain mais t’as toujours faim toi en fait ?? La nana elle fait deux mètres et dix kilos et elle a constamment faim. Pourtant tu vas pas tant que ça aux chiottes à ce que je sache ! » commençai-je en démarrant la voiture. « Même moi j’ai moins faim que toi » ça c’est du gros mito. J’ai toujours faim, et dans cette famille on est ouvertement de gros daleux. Mais ça c’est pas notre faute, c’est notre métabolisme qu’est comme ça et ouais. « Bon on va bouffer et après on va voir pour les cadeaux là. Pizza ? Burger ? Juste tu me fais pas bouffer des végétaux j’ai faim de gras en ce moment merci. »

Je savais bien qu’avec mon seul rein en moins fallait pas que je mange trop de gras, mais genre j’allais arrêter de vivre et bouffer des plantes juste pour aller mieux ? T’façon je crèverai à un moment alors autant bouffer mes bonnes vieille frites. Tant que ça satisfaisait mes envies et mon cerveau, moi je prenais. Et à l’heure qu’il est le fenouil sur son lit de céleri, ça me faisait rien à part me donner la gerbe.

«Hey mais ! » m’exclamai-je d’un coup en freinant sec à un feu. « Tu te fous de ma gueule là ? Je viens tranquille pour toi, pour te voir tout ça pour faire genre je vais passer du temps avec toi, et toi tu m’engueules pour le cadeau de maman en disant que je veux pas y participer ??? T’as cru que je t’emmène pourquoi ? Pour me toucher la nouille ? Tain pour une fois que j’voulais être gentil, et offrir des super cadeaux à ma famille, ça bitch. Tu me soules Nayeon je te jure » râlai-je en reprenant la route. « En plus tu me fais passer pour le type qui veut pas participer là. Alors que justement j’ai dit que cette année j’allais participer ! Puis déjà si cette conne offrait la même chose à tout le monde peut-être que je serai moins réticent à lui offrir un truc groupé. Elle fait sa meuf bah je fais mon mec c’est tout. En plus, qu’est-ce que ça peut bien faire, la meuf, je lui offre pour son anniv, pour la fête des parents, et pour noël ! Vous voulez quoi de plus ? Ok c’est ma mère mais c’est bon. J’suis pas Tae In.  Je suis son fils que quand elle veut, bah c’est ma mère quand je veux c’tout. »

OOTD | Okay, pas besoin d'être un génie pour comprendre que Jae In était de mauvais poil. Lui et Nana étaient habitués à se lancer des fions, mais là, elle ne pouvait même pas en placer une qu'il s'emballait tout seul. Elle se demandait si des fois son frère se fatiguait tout seul rien qu'à s'écouter parler. Elle le regarda donc d'un air blasé faire sa tirade, il était de mauvaise foi en plus ce con. Parce que s'ils faisaient un concours du plus gros bouffeur, la compétition entre eux deux serait rude (bon évidemment elle serait gagnante parce qu'elle était la meilleure mais bon). Finalement elle haussa les épaules lorsqu'il fit une pause pour respirer, enfin ! « Dans les burgers y a de la salade et des tomates, c'est bon non ? » Elle allait la jouer tranquille, parce que vu l'énervement de son frère, il serait capable de la shooter parce qu'elle a osé respirer un peu trop fort. Et d'habitude elle serait du genre à lui rentrer dedans, mais après une journée de boulot c'était plus la même chose.

L'instinct de Na Yeon était bon, toujours, elle était géniale après tout. Jae In avait un problème (bon ça c'était pas nouveau) ce soir-là, dispute avec Tae In ? Avec sa go ? Ou un mec un peu plus grand l'avait regardé de haut ? Allez savoir avec lui... Ce drama king. Elle le laissa rager comme un dingue, prenant sur elle de ne pas lui claquer la tête contre le volant pour lui remettre les idées en place. Quand enfin (et c'était pas trop tôt) il la boucla, elle soupira légèrement. « T'as l'air tendu... » Souligna-t-elle, on ne peut plus ironique. Bien qu'assise et attachée, elle se positionna de façon à être tournée vers lui. « Bon, on en parle maintenant ou on attend d'être assit avec de la bouffe pour que tu me dises c'qui te fout dans cet état ? Quoique, j'ai pas envie de te laisser avec un couteau pour le coup. » Elle savait qu'elle prenait le risque de l'énerver encore plus, mais sérieux, s'il avait décidé de la prendre pour un punching ball, autant qu'elle descende au prochain feu rouge. « Si t'as décidé de te défouler sur moi Jae, le burger c'est toute seule que j'vais le prendre. Si t'es pas capable de gérer une pauvre plaisanterie, j'passe pas la soirée avec toi. J'sais qu'ça va pas, fais pas le mec j'le sais ! » Elle se tourna à nouveau vers la route en croisant les bras. « Soit tu chill et on parle tranquillement, soit on laisse tomber ! » Elle était là pour lui, à toute heure de la journée et de la nuit, mais pas pour qu'il s'en prenne à elle putain !

« J’ai l’air tendu ! j’ai l’air tendu ! wow captain obvious ! c’est toi qui me rend tendu avec toutes les bullshit que tu dis jour et nuits là ! Tu veux savoir ce qui me fout dans cet état ? C’est toi ! C’est eux ! C’est vous ! C’est vous tous !!! » Le ton de ma voix augmente. J’imagine déjà la main de mon père venir gifler ma joue mais pour le coup, mon père n’est pas là, dans la voiture avec nous. Il y a juste elle et moi, mais pourtant, elle a le don de m’énerver. Elle ouvre la brèche et après elle demande pourquoi c’est ouvert. Elle me blesse et elle me demande pourquoi je saigne, elle est conne ou comment ça se passe en fait ?

Putain de sœur à la con.

« Tu mérites que je te fasse descendre direct de la bagnole tellement tu me soules, mais on est pas dans un clip de David Guetta et je fais pas confiance aux automobiles alors tu vas rester là sagement. Mais si t’as envie de me lâcher parce que ma compagnie t’embête bah écoute, bon vent Na Yeon ! »

Est-ce que j’ai le seum ? Non j’ai pas le seum putain. C’est juste qu’elle me casse les couilles cette fille. Elle croit que parce que je suis son frère je dois tout lui dire. En plus elle m’oblige à lui parler alors que putain, elle c’est une carpe quand on lui pose une question. « Je t’expliquerai plus tard ».

Et plus tard arrive un peu trop tôt à mon goût. Après un long moment de silence dans la voiture, nous voilà garés devant le restau qui attend simplement de voir nos beaux fessiers se poser sur leurs sièges. « Tu vois le problème de cette famille, c’est que vous pensez tous que je suis un mec qui fait son drama et qui ressent rien ! Vous pensez trop que je suis un putain de mec superficiel et que parce que je montre pas mes sentiments comme un pd direct je mérite pas la même attention que les autres ! Ou alors quand je montre mes sentiments on me prend pour un drama. Vous savez quoi ? Vous faites tous chier dans cette famille. En plus vous me pensez incapable de faire des efforts. Et encore je vois pas pourquoi je devrais moi en faire et pas les autres. Mais regarde là, direct, tu sais qu’on va acheter des cadeaux de noël pour la famille, et toi qu’est-ce que tu me sors ? Que je vous fais passer pour des rapiats a pas faire de cadeau groupé je sais pas quoi ! ALORS QUE JE VIENS EXPRES ! Je suis là ! Dans cette putain de bagnole avec BIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIP merde le klaxon. Je suis là dans cette putain de voiture avec toi, pour acheter des cadeaux, pour partager du temps avec toi, et TOI tu me dis que je vous fait passer pour des crevards ? Alors que je fais un effort et que j’ai décidé de faire le cadeau avec vous ? Puis si t’es pauvre c’est bon je peux le payer le cadeau je m’en tape. Quoi que c’est toi qui travaille à temps plein, c’est pas moi. Bref tu m’as saoulé clairement. »

Les sourcils toujours froncés, je m’allume une seconde clope,tendant le paquet à ma sœur, au cas où elle voudrait fumer elle aussi. « La seule raison pour laquelle j’aime pas faire des cadeaux groupés c’est parce que ça me soule de lui faire des cadeaux de ouf, alors qu’elle voit que par Taein et Aeyeon. Au moins en lui faisant un cadeau à part je me dis « ouais bon peut-être cette année elle va me prendre en considération » mais que dalle. T’sais quoi il a fallut attendre que je me fasse aggresser pour que la meuf elle vienne me voir en mode « mon bébé nananannana» Heureusement j’étais trop stone sinon je l’aurai envoyé bouler. Peut-être toi tu t’en balec, mais moi je m’en balec pas. Entre ça et papa qui me fout la pression. Le mec il a cru j’avais 10 ans. T’sais quoi je pense qu’apres noël je prends mes clics et mes clacs et je me barre définitivement de cette baraque. »

OOTD | C'était pas l'envie de répondre à Jae In qui manquait, mais sa jumelle savait quand il fallait se taire pour que les choses ne s'enveniment pas. Et là clairement... Il ne valait mieux pas qu'elle l'interrompe. Il s'énervait tout seul, on aurait dit un fou. C'est un peu ce qu'il était de toute façon. Elle n'avait même pas à renchérir qu'il faisait des tirades. Pauvre petit Jae In. Mais en vrai, il avait raison. Leur mère avait toujours été bien plus à l'écoute de Tae In et Ae Yeon que d'eux deux. Na Yeon s'en était contentée, et elle s'était enfermée dans son petit monde, devenant plutôt indifférente à sa propre famille (sauf à ses autres quarts évidemment). Mais Jae In lui... Et bien elle avait toujours senti que ça le pesait, sans vraiment le prendre au sérieux. Mais ce soir, le sujet le chatouillait un peu plus que d'habitude. Quelque chose de particulier était arrivé ? Ou il avait juste un pet de travers et ça le mettait en rogne ? Comptez pas sur elle pour le lui demander, pas tout de suite en tout cas.

Elle le laissa vider son sac, rager, crier, s'appuyer comme un con sur le klaxon sans broncher. Ce n'était pas pour autant qu'elle n'avait pas envie de rétorquer, mais elle prenait sur elle, affichant sa fabuleuse « bitch face ». Elle attendit que les minutes passent, qu'il se fatigue et vide son sac pour enfin daigner ne serait-ce que respirer. Parce que dans ces moments-là, Jae In pouvait vous descendre pour un nez qui siffle. « Sérieux Jae ! C'était une blague p'tain, t'as oublié que j'suis de ton côté ou bien ? » Même si, il est vrai, ce n'était pas toujours très clair vu les horreurs qu'ils pouvaient se balancer l'un l'autre. D'un geste de la main, elle refusa le paquet de cigarettes qu'il lui tendait, elle avait plus envie de manger pour se calmer que de fumer. « On est dans le même bateau toi et moi j'te signale. » Comme lui, elle passait au second plan face aux deux autres quadruplés. « Péter un câble là-dessus maintenant changera rien, c'était gamins qu'on avait b'soin d'eux. » Franchement, ils étaient adultes maintenant, pourquoi chialer à cause de ça maintenant ? « Bon, faut qu'on s'grouille d'arriver là, j'ai la dalle, et j'veux savoir c'qui t'a foutu dans cet état. T'as pas réalisé là maintenant qu'elle en avait rien à foutre non ? » Parce que franchement, c'était pas nouveau. « Et m'cri pas dessus putain. On dirait un hystérique. Et vu comment on soignait l'hystérie à l'époque toi t'es pas supposé avoir ce problème ! » Elle avait beau râler, elle ne criait pas, y en avait bien assez d'un énervé. « On est loin encore ? »

Oh vas-y qu’elle me soule. Genre elle est de mon côté. Mon côté mon cul. La meuf elle passe 20 ans à m’insulter de tous les noms et paf elle se dit de mon côté ? Si elle était de mon côté elle m’accuserait pas d’être un gros chieur radin avec sa famille. D’ailleurs je vois même pas comment on pouvait me traiter de rapiat. A ce que je sache depuis que j’étais gosse, c’était moi qui avait majoritairement tout pris pour les deux autres. Puis bon, est-ce qu’il fallait rappeler que j’avais donné un rein à ma jumelle ? Je crois qu’on pouvait pas faire mieux si ? Mais non. J’étais un mec rapiat pour un vieux cadeau de Noël de merde.

Est-ce que j’étais vexé ? of course que j’étais vexé putain. Famille de branleur à la noix qui me saoulent tous autant que les autres. Noël de merde, je vais me casser de cette famille ils vont voir. Toujours à me critiquer là, mais le jour où les parents vont clamser ils vont être là « ouin ouin Jae In vient m’aider » Putain j’aurai dû naître fils unique. Pas de problèmes entre fratrie et en plus à moi le pactole. Mais non j’étais né dans une famille de quadruplés. Putain de quadruplés. Les vieux ils auraient pas pu en faire juste un, il a fallut qu’ils en fasse 4 d’un coup. Dont 2 a moitié réussis. Nature de merde. Et forcément c’est nous qui payons les pots cassés.

« Arrête de penser que c’était gamins qu’on avait besoin d’eux ! Des parents c’est des parents putain ! Si t’es pas capable d’élever des gamins t’en fait pas point barre ! Puis c’est bon tu vas te calmer on arrive là ! Et arrête de me dire de pas crier !   » Petit virage, petite marche arrière et nous voilà garés devant le restau. Je sors rapidement et verrouille les portières lorsque Na Yeon a claqué la sienne. Direction le restau, je passe en premier, parce que flemme d’être galant et parce que bon Na Yeon c’est pas ma meuf donc je lui dois rien à ce niveau. Je demande le coin fumeur, puis une fois à notre table, je m’avachis sur la banquette, jambes écartées et coudes sur la table, attrapant alors le menu posé devant moi. « J’ai la dalle putain… » je soulève légèrement mes fesses pour attraper mon portefeuille et compter les billets qu’il me reste. C’est bon, j’ai assez pour payer « Vas-y range tes jambes là, tema trois mètres de jambes tu peux me faire du pied avec le genoux t’sais » je balance à ma sœur alors que nos jambes se frôlent sous la table. « Et commence pas à me bassiner avec le man spreading je sais pas quoi je m’assois comme je veux, c’est à toi de ranger tes jambes.  bon tu prends quoi ? » je demande/l’agresse en approchant le cendrier vers moi. Ouais je sais elle a pas vraiment eu le temps de choisir mais j’ai la dalle de chez dalle et je veux que ça commande vite. Plus vite j’ai mangé, plus vite on aura acheté le cadeau, plus vite je serai parti.

Ça me soule en vrai. Tout me soule. Le fait que je voulais passer une soirée posée avec ma sœur. Le fait qu’on s’énerve. Le fait que ce soit en ce moment toujours des sujets de merde qui reviennent. Faut croire qu’on final on a pas tant que ça à se raconter. Autant avec TaeIn j’ai toujours des milliards de trucs à lui dire. Mais NaYeon je sais pas. C’est comme si j’avais le droit à une jugeuse professionnelle et personnelle qui aurait un truc à me dire sur chaque faits et gestes que je ferai. C’est clair que notre relation était bizarre. C’est comme si on avait jamais réussi à réellement s’aimer. Pourtant je sais très bien que je l’aimais et que si un fils de pute l’emmerdait, je serai le premier à la défendre. Mais dès que ça s’en tenait à elle et moi, y avait tout un tas de négativité qui s’émanait de nos corps respectifs.

Une fois nos commandes prises, je fixe ma sœur qui me fixe aussi. Je sais bien qu’elle attend que je parle mais je vois pas ce que je peux lui raconter. Elle veut quoi que je lui rererereraconte tout ce qu’elle sait déjà ? « Je comprends pas pourquoi tu comprend pas franchement » je sors mon paquet de clope de ma veste et m’allume une cigarette. Le stress. Le putain de stress. Bordel je hais cette famille.

« Tu me dis ouais nyanyanyanyanya qu’est-ce qui te mets dans cet état ! On dirait que toi tu t’en fous ! Genre… » Je tire sur ma clope. « Genre tu t’en fous que nos parents ils s’en foutent de toi ! Mais moi je m’en fous pas ! C’est pas juste ! Et tu sais quoi ? Le pire c’est qu’ils s’en rendent même pas compte ! Est-ce que tu sais à quel point j’ai été jaloux H24 de TaeIn ? Juste parce que le gars il avait tout ce qu’il voulait ? Le mec peut pas marcher on lui file plein de fric, le mec peut pas ceci on lui fait ci on lui fait ça, le mec se fait mal on lui fait des bisous blablabla, le mec il perd 20 000w on lui redonne le double, le mec il a 6 en maths on lui dit que c’est pas grave, il t’annonce qu’il est pd et on lui fait une haie de honneur, on dit « il peut faire ce qu’il veut blablabla » Putain mais moi je dis je suis pd ou que je me suis fait agresser limite on me dit c’est ma faute t’sais. Alors j’en veux pas à TaeIn j’ai rien contre lui, je préfère être moi et avoir deux jambes en état de marche. Et je sais que tu préfères être toi, et pas avoir autant de problèmes de santé que Aeyeon. Mais…ce que je veux dire, c’est que…voilà. Faut pas s’étonner qu’à un moment je pète un câble. On dit que je dois aller voir un psy blablablabla que j’ai des problèmes d’attention blablablabla FRATE ! Même le jour où je pars à l’armée, même pas on me dit c’est bien tu vas devenir un grand homme, on me sort « pourquoi tu nous lâches ? » Sérieux ? C’est quoi cette famille ? Même quand j’ai des bonnes notes on me sort, « ouais t’as triché ou quoi ? » Mais c’est pas que vous c’est tout le monde qu’est comme ça ! Alors imagine si même mes potes ils sont comme ça, et qu’en plus vous les frères et sœurs et même les parents sont comme ça, comment veux tu qu’à un moment j’arrive à être bien. Franchement, je vais te dire la vérité, y a une seule personne au monde, qui me kiffe pour ce que je suis : c’est ma meuf. Et ma meuf crois-moi que c’est la 9e merveille du monde. Puis aus.. » je tapote ma cigarette contre le cendrier pour laisser la cendre tomber avant de reprendre une taffe.

« Puis aussi, y a jamais personne qui me demande comment ça va. Genre, on dirait je suis censé aller toujours bien tout le temps, mais y a jamais personne qui vient, pour prendre de mes nouvelles. Parfois je me dis que si j’étais mort ça serait pareil t’façon. Vu que personne vient à mes nouvelles. Je dis pas que je suis un héro et qu’il faut ériger une statue de moi et me vouer un culte de la personnalité je dis juste que parfois, on pourrait demander comment je vais. Quand je serai mort vous allez tous être là comme des fils du pute à faker vos pleurs en mode « ouin ouin je l’adorais il était adorable, et trop marrant blablabla, toujours heureux blabla » bah non fraté. Là je suis pas heureux, j’en ai marre de tous les gros cons autour de moi et voilà. Donc la prochaine fois essaye d’être plus gentille quand je fais des efforts pour toi.  Parce que les gens ils disent je suis chiant blabla que je suis pas généreux HAHA ils vont voir le jour où je vais vraiment faire mon égoïste. Ça va les mener à leur perte. » Dernière phrase avant de venir écraser ma clope dans le cendrier.

Je sais pas trop ce que c’était ce coup de gueule mais je crois que j’en avais besoin. « Franchement je sais pas comment tu fais pour être si…sereine…ou t’en battre autant les couilles. D’un côté je comprends que on puisse rien leur dire. Je vais pas engueuler mes parents pour avoir aidé mes frères et sœurs mais…clairement on a été abandonné non ? Je veux dire, cite-moi une chose que tu fais avec maman ? Une chose que t’as en commun avec elle ? T’as déjà fait du shopping avec elle ? Elle s’est déjà intéressée à tes jeux vidéos là ? La meuf est psychologue mais elle est même pas capable de voir que ses propres gamins vont pas bien. Papa c’est pareil sérieux. Le mec il a fait l’armée, j’ai l’impression de vivre avec mon ancien officier H24 à la maison. Je sais pas quoi faire sérieux…Tu dis que y a rien à faire mais…je sais pas. Je pense pas qu’il y a rien à faire. Ou alors on leur donne rendez-vous ? On leur parle ? Je sais pas putain j’ai faim. »   Trop bizarre cette famille. Et papa qui a toujours son air absent. C’est à croire qu’il a jamais eu les couilles d’assumer les problèmes de sa famille. Faut dire que quatre gamins ça a dû tuer son couple. C’est à se demander s’il a déjà touché notre mère en fait. Certes j’ai trouvé des capotes dans sa bagnole un jour, mais est-ce que c’était pour ma mère…that is the question.

OOTD | Na Yeon était le genre de nanas qu'on pensait froide, égoïste et qui se foutait un peu des choses qui se passaient autour d'elle tant que ça ne la concernait pas directement. C'était ce qu'elle aimait qu'on pense d'elle en fait, c'était l'apparence qu'elle se donnait. Elle encaissait beaucoup de chose, observait pas mal de choses qui se passaient autour d'elle, et ce n'était pas parce qu'elle avait l'air de ne pas être concernée ou parce qu'elle donnait l'air de s'en moquer que c'était réellement le cas. Au contraire. Elle voyait, elle observait, et elle tentait de s'en détacher. Parce que clairement, si elle ne le faisait pas, si elle ne s'isolat pas de tout ce merdier qu'était leur famille, elle se retrouverait dans des états semblables à celui de Jae In dans l'immédiat. Alors, on la croyait facilement insensible, mais elle voyait bien la souffrance de son frère. Elle la connaissait bien. Elle ne savait juste pas comment y répondre. Alors elle avait commencé à y répondre avec détachement, humour, sarcasme et agacement, mais clairement, ce n'était pas ce dont Jae In avait besoin dans l'immédiat. Elle savait quand il fallait se taire, quand il fallait écouter, même si son frère pouvait être injuste dans ce qu'il disait, même si elle n'était pas forcément d'accord avec lui, ou qu'elle aurait bien voulu l'interrompre et lui mettre le nez dans son caca, ce n'était pas ce dont il avait besoin dans l'immédiat, et elle le savait bien.

Elle le regarda s'allumer une clope alors que leurs commandes étaient en préparation. Et oui, c'était que même si elle ne parlait pas, même si elle observait, le temps continuait de passer, et ils avaient eu le temps d'arriver au resto, de se poser et de passer commande. Et Jae In, et bien... Il avait eu le temps de vider son sac, encore et encore et encore... Et Na Yeon encaissait tout ce qu'il disait, serrant les mâchoires par moment, mais ne lui coupait pas la parole, parce qu'elle savait que ce serait faire pire que mieux.  

Lorsqu'elle eut fini, elle se mordit la lèvre pour ne pas conclure tout ça par un simple « j'ai faim moi aussi". Ce n'était pas qu'elle ne l'avait pas écouté, c'était plutôt qu'elle ne savait pas quoi répondre. Na Yeon avait renoncé depuis longtemps. La façon qu'elle avait eu de s'isoler dans sa chambre, de se détacher et de se plonger dans ses jeux vidéo pour n'en sortir que rarement, c'était bien la preuve que quelque chose clochait pour elle aussi. Elle ne regrettait pas ses choix, elle ne regrettait pas d'être devenue ce « monstre d'égoïsme" qu'on pouvait lui reprocher d'être, mais elle avait bien conscience que ce n'était pas « normal" (bien que la normalité soit relative). Finalement, elle se leva, et s'assit sur la banquette à côté de son frère, elle poussa un petit soupir non pas parce qu'il la soûlait, mais parce que la situation était tellement compliquée, et ce depuis leur naissance. Elle constatait qu'ils étaient tous épuisés par tout ça, et ça se voyait plus chez certains que d'autres. Elle passa les bras autour de son frère, les étreintes n'étaient pas un phénomène ultra rare chez eux, mais assez peu commun pour que ça souligne que la situation était vraiment particulière. Na Yeon avait bien conscience que Jae In était à bout pour réagir de cette façon, il avait ses limites à être une drama queen. « Je vais voir un psy. » Ce qu'elle n'avait jamais dit à personne. Ça ne faisait pas si longtemps, et elle espaçait les séances, parce qu'elle ne voyait pas de réel changement pour elle. Mais elle ressentait quand même ce besoin de parler à quelqu'un. Jae In était le premier à qui elle l'avouait. Bizarrement, elle savait aussi qu'il serait le mieux placer pour comprendre, aussi chiant puisse-t-il être.

Sur ce, on déposa leurs plats sur la table, et Na Yeon en profita pour se détacher de son frère et retourner s'asseoir à sa place. Elle aurait pu s'énerver elle aussi, lui passer un savon, lui montrer qu'elle n'était pas forcément d'accord avec tout ce qui se passait dans leur famille de dingues mais... Bizarrement, ça serait répéter un peu ce qu'il avait dit, en le mesurant sans doute davantage puisqu'elle s'était détachée de beaucoup de choses. Mais ils se ressemblaient tous les deux, trop, c'était pour ça qu'ils passaient leurs vies à s'engueuler. Avant de siroter une gorgée de son soda, elle fixa son frère. « Alors fais pas comme si personne ne te comprenait. » Parce qu'elle savait, elle avait juste courbé le dos, alors que Jae In restait debout à encaisser.