Encore un rendez-vous, encore des heures de perdues. Assis sur une chaise dans la salle d’attente, je garde mon livre à la main mais n’arrive pas vraiment à zieuter ses pages. Nerveux ? Pas vraiment. Non, pas vraiment. Ce n’est pas comme si j’avais quelque chose à craindre du corps médical ou d’une quelconque annonce. Mais je n’ai plus envie de rester ici encore et encore. Cependant, lorsque Myung m’en a parlé, je me suis dit : Pourquoi pas. Oui, pourquoi pas, si ça peut aider des autres, permettre à des animaux de moins souffrir aussi. D’arrêter de souffrir en fait. Si ça peut aider à une vraie évolution, alors je viendrai ici tous les moins jusqu’à ce qu’on comprenne que la douleur peut rendre fou…. Mais qu’on peut la contrôler après avoir perdu la raison. Lorsque mon nom se fait appeler, je les rejoins et passe un entretien avec le médecin titulaire avant d’aller voir une infirmière qui m’installe dans un fauteuil confortable. Il commence à provoquer de la douleur, regardant les réactions de mon corps et mon cerveau. C’est progressif, supportable. Mon regard se pose sur le jeune interne dans un coin et je soupire un peu. « Et sinon, on peut discuter pendant l’expérience ou c’est prohibé ? »

Et voilà, encore une journée à l’hosto. C’est la dernière de l’année... Enfin t’espère. Ils vont quand même pas te prendre ton noël et ton jour de l’an ? De toute manière tu ne seras pas là, tu seras tranquillement en train de te balader dans les rues de Berlin, une collante mais charmante Japonaise à tes côtés. C’est d’ailleurs cette vision qui t’as presque poussé à arrive tôt au CHU. T’as même eu le temps de fumer une petite clope. Oh oui tu sais que c’est pas bon, tu sais que tu seras le premier à le déconseiller aux patients, mais c’est comme ça on a tous ses vices. Bonne nouvelle, pour aujourd’hui tu vas pouvoir assister à une expérimentation pas comme les autres. Tu vas même pouvoir y participer,et prendre toutes les notes que tu veux. Y a qu’a voir par ton sourire intérieur que t’es content d’avoir un minimum de choses à faire dans cet hosto. C’est pas facile d’être stagiaire pas vrai ? Vivement que tu sois médecin titulaire.

Bref, expérimentation sur les réactions à la douleur du sujet, ou plutôt patient. Est-ce qu’il va avoir mal, est-ce qu’il ne va rien sentir ? Est-ce qu’il contrôle ? Est-ce qu’il ne contrôle pas ? Adossé dans un coin de la salle, tu laisses le médecin titulaire tout t’expliquer, avant que le patient ne vous rejoigne. Il s’installe, et tu comprends rapidement que tout va se passer très lentement. Ça t’as jamais dérangé la lenteur de toute manière. Lorsque le patient lui-même demande s’il peut discuter, et qu’il semble d’ailleurs te parler tu hausses un sourcil en le fixant avant de balayer la salle du regard, jetant au passage un coup d’œil vers les médecins. « Oui je suppose… » Tant que ça ne le déconcentre pas un maximum et qu’il ne bouge pas ça devrait aller. Le fait qu’il pense à autre chose et qu’il ne se concentre justement pas sur la douleur ne sera que meilleur pour l’expérience. C’est bien connu que la douleur est toujours plus forte et soudaine quand on s’y attends pas. « Je m’appelle Loïs, Loïs Zimmer, et je suis en 6e année de médecine…Tu as des hobbies ? Quelque chose dont tu veux parler en particulier ? » Tu emploies volontairement le langage familier. De un pour qu’il se sente un peu plus en confiance et qu’il se détende au cas où ce n’est pas le cas. De deux parce que vous semblez avoir à peu près le même âge.

« Oui je suppose… » Il a un ton monotone lorsqu’il parle et il donne l’impression de se faire complètement chier comme un rat mort. Il a choisi d’être ici ou on lui a imposé ? Ce n’est pas intéressant pour un étudiant de voir ça ou il pense juste que je vais finir par hurler et réclamer à ce que tout s’arrête en suppliant pour un shoot de morphine en plus ? Tsss, je ne suis pas un petit joueur moi, Monsieur. « Je m’appelle Loïs, Loïs Zimmer, et je suis en 6e année de médecine…Tu as des hobbies ? Quelque chose dont tu veux parler en particulier ? » « Cv impressionnant. Ma copine est étudiante en médecine et je me demande encore comment elle fait pour survivre dans votre environnement. Il faut sans doute avoir un grain où je pense pour aimer ça. » Et elle doit sans doute penser la même chose de son côté pour mon boulot. C’pour ça qu’on s’aime et qu’on est fait pour être ensemble. Ya know. « c’est un nom très Deutsche que vous avez là Herr Zimmer. » Il peut s’offenser ou pas, mais s’il est bien allemand, je comprends mieux son côté un peu rigide. « J’aime euh… » Serrant les dents sous un pic de douleur, je ferme les yeux afin de me concentrer sur ma respiration. « J’aime cuisiner et faire l’amour. Et vous ? »

Il te déconcentre avec ses questions pas vrai ? Puis ses remarques non plus tu les aimes pas trop. Peut-être un peu trop direct ? C’est pas très Coréen comme comportement. Tu zyeutes de nouveau son patronyme sur ta feuille. Dawson. « Et vous c’est un nom très British » Tu le fixes un instant avant de reprendre la parole. « Et si les gens comme votre copine ou moi n’étions pas assez cinglés pour aimer ça, la moitié des gens soignés ici ne seraient même plus en vie ». Est-ce que tu étais vexé par ce qu’il avait dit ? Oui un peu. Il y avait des choses que tu ne supportais pas, et critiquer la médecine en faisait partie. Autant dire que c’était tout pour toi. Peut-être un peu trop même.

« L’amour et cuisiner ? » Tu hausses un sourcil avant d’en prendre note. C’est une information inutile mais toute information est bonne à prendre pour faire passer le temps. « Vous avez mal ? » demandes-tu pour ne pas trop t’éloigner du sujet de leur présence dans la même salle. Bien qu’il faut que le patient sois détendu, tu n’as pas envie qu’il oublie pour quoi il est ici. « J’aime étudier les livres, et les cas comme vous » dis-tu sans vraiment réfléchir. « J’aime aussi les voitures. Qu’étudiez-vous ? »

« Et vous c’est un nom très British » « Hn, j’ai plus pris du côté coréen pour le visage mais pas pour le caractère. » Quoi que, je me demande si je suis vraiment british en réalité. Enfin, je veux dire, j’ai un flegme indéniable, beaucoup de charme et un bel accent lorsque je le veux, mais je suis plus révolutionnaire qu’un british peut vraiment l’être. « Et si les gens comme votre copine ou moi n’étions pas assez cinglés pour aimer ça, la moitié des gens soignés ici ne seraient même plus en vie ». J’aime le voir se vexer, au moins, ça veut dire qu’il prend ses études dans ses tripes. Mais j’ai beau aimer Myung du plus profond de mon corps entier, je n’aime pas son métier. Il y en a beaucoup trop qui sont corrompus par les lobbys pharmaceutiques et qui, au fond, contribuent à faire mourir les gens en masse. On est dans une sorte de génocide médicamenteux géant et personne ne semble vouloir ouvrir les yeux. Je préférerai encore qu’elle soit make-up artist avec Nora je crois. Parce que malgré, tout, je me dis qu’elle ne pourra pas vraiment être une évolutionnaire dans sa branche.

« L’amour et cuisiner ? » Je ferme les yeux et déglutis. La douleur est supportable, mais depuis le pic, elle est constante et tape sur les nerfs. Griffant un peu le cuir du fauteuil, je soupire. « Vous avez mal ? » « Je suis là pour ça. Donc… oui. » Myung, vraiment, je t’aime de trop. « J’aime étudier les livres, et les cas comme vous » « Je n’aime pas être un cas. » J’aime être un humain. « J’aime aussi les voitures. Qu’étudiez-vous ? » « Pour un allemand, ce n’est pas original comme passion. » je ris un peu avant de grimacer encore et cherche une position plus confortable. « Je n’étudie plus. Je suis avocat spécialisé en droit des victimes de violence conjugales et familiales. » Et bordel, j’aime mon métier.