Elle vit qu’il hésita quelques courtes secondes et comprenait. Elle n’avait pas côtoyé beaucoup de magiciens mais c’était connu qu’ils ne dévoilaient pas leurs secrets, et c’était normal. S’ils le faisaient, leur profession n’avait aucun futur. Quand il accepta, elle fut vraiment contente. Il n’avait pas changé, Kin était toujours aussi gentil. Elle se pencha un peu vers lui pour regarder avec attention ses mouvements avec la pièce puis écouta les conseils qu’il avait à donner. La manipulation de la pièce ? Elle savait servir de ses doigts plutôt bien, grâce au piano, mais elle ignorait si elle serait douée pour manipuler une pièce entre ses doigts sans la faire tomber. Elle n’avait jamais essayé et n’était pas très confiante, mais ça la tentait. Elle voulait réussir ce tour de magie, qu’il disait si simple. Peut-être que ça lui permettrait de se rapprocher de Kin, comme ils étaient proches avant. Je rigolai en voyant qu’il fit apparaître avec une facilité effrayante une seconde pièce, que je pris dans ma main.

« Montre-moi des mouvements simples et je vais essayer de les reproduire… Ça marche de cette façon-là ? » demandais-je curieusement.

J’étais décidée à réussir, et d’ailleurs, mon sourire avait disparu tant je m’étais concentrée pour bien analyser comment réussir le mouvement ; mais quand je croisais le regard de Kin, je ne pouvais m’empêcher de sourire. Lui et moi étions tellement proches, c’était dommage qu’il ait oublié… ou qu’il fasse semblant d’avoir oublié.

Il était de coutume de dire que les magiciens ne dévoilaient pas leurs secrets. Pourtant, tu t'étais laissé avoir par l'envie d'apprendre de la demoiselle, acceptant de lui montrer comment faire apparaître et disparaître une pièce de tes mains. C'était le premier tour que tu avais appris, et que tu t'amusais à reproduire en toute circonstance. Tu bougeais tes mains de sorte à faire passer la pièce entre chacune d'elle de manière invisible, jusqu'à tendre un second rond de métal à la demoiselle. "Savoir manipuler la pièce est le plus important, en réussissant, tu manipules un peu l'esprit de la personne en face en fait." A ces mots, tu coinçais la pièce entre ton index et ton majeur, le dos de ta main collé à la table. "Si tu regardes de cette manière, tu vois comment coincer ta pièce, par contre, si je retourne ma main, on ne la voit plus." Tu mimais les gestes en même temps pour lui montrer d'une manière aussi simple que possible. "Pour la faire disparaître, il suffit d'arriver à la coincer là, sans te faire voir." En même temps, tu manipulais la pièce de sorte à l'attraper avec ton pouce, et la coincer contre ton index. En retournant à nouveau ta main, elle avait disparu.

Je fixais avec grand intérêt la pièce qui bougeait dans la main de Kin, comme si en analysant avec attention ses gestes, je pouvais les reproduire plus rapidement. Bien que ça semble si simple en le regardant, je me doutais que ça ne l’était pas réellement. Si c’était si aisé, n’importe qui pouvait devenir magicien… et c’était loin d’être le cas.

Je jetai ensuite un regard à ma pièce, celle dans mes mains, en me disant que j’allais très probablement échouer misérablement la première fois. Je détestais échouer, j’avais trop l’habitude de réussir rapidement alors l’échec était frustrant pour moi. Mais là, j’étais celle qui avait demandé qu’il m’apprenne, alors je ne devais pas m’énerver même si je n’y arrivais pas. Je hochai la tête après son explication et j’essayai de positionner la pièce de la même façon que lui. Chacun de ses gestes, j’essayai de les décomposer pour les imiter mais lorsqu’il retourna sa main, la pièce n’y était plus et je ne parvenais juste pas à comprendre ce qui s’était passé. Je levai le regard vers lui, à la fois surprise et frustrée.

« Même avec l’explication, c’est abstrait… » soupirais-je. « Tu as mis combien de temps pour maîtriser ce tour ? »

Il t'en avais fallu du temps, pour apprendre certains tours de magie. Après tout, cela tenait aussi à la capacité de manipuler l'esprit de la personne en face, ce qui n'était pas toujours évident. Pourtant, alors que tu avais désormais une certaine assurance en faisant certains tours, tu appréciais à chaque fois l'émerveillement de ton public, le fait de pouvoir leur apporter un petit quelque chose de magique et d'inexplicable dans leur vie, le temps d'un instant. Tu n'en oubliais pas la jeune femme en face de toi qui souhaitait apprendre comment faire apparaître une pièce, et un rire s'échappait d'entre tes lèvres à sa remarque. "Il m'a fallu un peu de temps, j'avoue. Mais tu peux y arriver, j'en suis sûr." Tu tentais un sourire rassurant, en lui montrant les mêmes gestes plus lentement, et la manière dont tu faisais passer la pièce entre tes doigts. "C'est pas évident parce que c'est un objet assez petit, mais je pense que c'est mieux d'apprendre comme ça, au moins après, tu peut faire ça avec n'importe quel objet." Tu souriais un peu plus observant finalement les gestes de la demoiselle, continuant toi-même de répéter ce premier geste que t'espérais pouvoir lui apprendre.

Sans même que je ne le remarque, un immense sourire naquit sur mes lèvres en entendant son rire. Combien d’années ça faisait, que je ne l’avais pas entendu rire de cette façon ? Ça me faisait retomber dans des souvenirs aussi beaux que souffrants. C’était une dure période, sans doute ; mais je l’avais surmontée parce qu’il avait été là. J’avais continué ma vie parce que je me rappelais de lui. Mais… il ne semblait pas se rappeler de moi.

« Merci. », lui dis-je simplement.

Je le remerciais pour m’apprendre son tour, je le remerciais pour ne pas prendre patience même si je ne comprenais pas, mais je le remerciais tout simple d’être encore là, d’aller bien. Je le remerciais d’avoir été là en primaire et au collège. Je le remerciais d’avoir pris mon parti dans ces temps si difficiles. Et même s’il semblait avoir oublié, même si mon « merci » pouvait résonner pour lui que comme un remerciement à propos du tour de magie, je savais qu’un jour ce mot prendra une signification plus profonde. Le jour où il se rappellera de moi. Si un jour il s’en rappelle.

Sans m’attarder plus longtemps dans de tels souvenirs, je fixai de nouveau les gestes plus lents et tentai de les reproduire.

« Ne t’en fais pas, je vais y arriver. »

Je disais ça autant pour moi que pour lui. J’allais y arriver. Après la répétition de ces gestes près d’une dizaine de fois et un nombre d’échec aussi grand, je parvins finalement à faire passer la pièce et à la faire disparaître – ou plutôt, à bien la cacher. Moi-même étonnée, je relevai mes yeux brillants vers Kin.

« J’ai réussi !! », m’exclamais-je.

Il y avait une certaine douceur dans ton regard alors qu'elle te remerciait simplement. Quelque chose que tu n'aurais pas su expliquer, mais qui te faisais sourire avec cette pointe de chaleur humaine dont tu avais l'impression parfois de manquer cruellement. Et ça te faisait du bien. Parce que depuis cet accident, tu t'étais beaucoup trop fermé aux autres, par peur de faire une bêtise, par peur de blesser quelqu'un que tu serais incapable de reconnaître. Mais tu effaçais bien vite ces pensées pour continuer de lui montrer comment faire pour réussir ce simple tour de magie. Tour qu'elle finit par exécuter au bout de plusieurs tentatives vaines. Tu étais resté attentif à ses gestes, et te retrouvais finalement à écarquiller les yeux, agrémentant cet étonnement d'un nouveau sourire alors que ton regard se posait sur elle. "J'en étais sûr !" t'exclamais-tu, partageant cette réussite avec la demoiselle. "Une fois que tu as capté le truc, ça va tout seul. Tu réessaies ?" demandais-tu enfin, voulant la voir arriver une seconde fois à faire disparaître la pièce d'entre ses mains. Tu avais beau connaître ce tour par coeur, l'habitude de l'exécuter sans difficultés, c'était un émerveillement que de voir une autre personne le faire à son tour, surtout en sachant que tu étais celui qui lui apprenait, au beau milieu de la cafétéria, pendant la pause déjeuner. La situation n'était pas des meilleures, mais cela te faisait rire. Comme une coupure dans le temps, un moment qui réchauffait le coeur avant de continuer cette journée.

Pouvoir le regarder droit dans les yeux et pouvoir y lire cette lueur était un immense cadeau, pour moi. Très peu de gens, pour ne pas dire personne, savait combien il comptait à mes yeux et combien mes souvenirs en sa présence étaient précieux pour moi. J’avais espéré le revoir si longtemps et c’était arrivé. Dans des circonstances bien différentes que celles que j’imaginais, mais ce n’était pas si important. Pour m’avoir oublié, il avait sans doute des raisons que j’apprendrais plus tard si je devais les connaître. Pour le moment, le simple fait de le voir sourire me suffisait. Je fus la première surprise de ma réussite. Je n’étais pas très douée en ce qui concernait les tours de magie – voire pas du tout – et ça avait beau être logique, c’était une science qui m’échappait autant qu’elle me fascinait. Comme il me le conseillait, je réessayais. J’échouai une nouvelle fois avant de réussir deux, trois, quatre fois d’affilé. Je regardai mes doigts, ne croyant pas à la souplesse qu’ils avaient adopté pour réussir autant de fois.

« Ouah, pour que j’y arrive aussi vite, ça ne veut dire qu’une chose, tu es un excellent professeur ! », m’exclamais-je, en riant.

Ce n’était pas un compliment vide. Je savais combien j’étais nulle en tour de magie, alors je pouvais affirmer avec certitude que si j’y étais arrivé aussi vite, c’était parce qu’il avait su me l’enseigner correctement. Je levai une nouvelle fois mes yeux vers les siens en souriant.

« C’est classe comme talent, les tours de magie ! Tu as dû en ébahir plus d’un avec ça. »