L'homme prend son mal en patience, un carton après l'autre et passe le dos de sa main sur son front. « Hm-m. Posez-le ici avec les autres... - Eo, ya ! Jeon Han Yul ! » Elle s'exclame en faisant sursauter le chauffeur de taxi qui termine de débarquer ses affaires comme un pantin. Elle pose le téléphone contre son oreille, agacée de tomber (encore une fois) sur la messagerie. « Arrête de filtrer mes appels, je sais que t'es là. J'ai besoin de toi pour m'aider à porter deux-trois trucs. C'est absolument non rémunéré mais j'te paye à déjeuner si t'es là dans moins de cinq minutes... s'il te plait ? » Mais c'est juste pour la politesse. Elle sourit, il ne le verra pas mais il pourra l'entendre à son timbre enjoué lorsqu'elle raccroche.
Elle regarde ses affaires, ses "deux-trois trucs" qu'elle prétend être pour ne pas l'effrayer à la vue de ses deux grosses valises et de la série de trois cartons sur-emballés qui vient avec. Y'a pas vraiment de raison pour laquelle c'est lui qu'elle appelle et pas un autre, et pas une copine, et pas son meilleur ami. Mais elle se dit qu'à cohabiter sous le même toit et qu'à œuvrer sous les mêmes couleurs, Han Yul c'est le gars idéal pour l'aider à se familiariser avec les lieux. Puis vu qu'il a déjà pris l'habitude de se familiariser pas trop mal avec ses cours d'économie, lui mieux que personne devrait comprendre ce concept oh so magic du donnant-donnant. A bon entendeur.
Les mains posées à ses hanches, l'air d'attendre qu'il se matérialise un bon samaritain, un prince charmant avec des skills en déménagement, elle voit la petite tête d'un chauffeur mal à l'aise qui entre dans son champ de vision pour lui refiler la note. C'est salé. Elle fait la grimace en tirant son portefeuille de son tout nouveau sac. Elle le laisse filer non sans un pourboire supplémentaire à celui qui s'est farci le chargement et le déchargement de ses affaires sans qu'elle ne l'aide vraiment, et le flot de ses conversations téléphoniques incessantes pendant tout le trajet qu'elle a passé à côté de lui (en lui imposant sa chaîne de radio) parce que les banquettes de derrière étaient encombrées par ses cartons zébrés à l'outrance de scotch "fragile" comme si un gamin de huit ans s'était amusé avec une nouvelle plaquette d'autocollants. Il repart heureux et le dos en compote... c'est que loin d'être riche comme elle le prétend, So Yi est aussi loin d'être radine.
Et vu le temps qu'il met à venir, le Han Yul, elle se demande si sa générosité ne la conduirait pas à lui offrir une montre au vu de sa ponctualité. Elle ne va quand même pas se farcir tout ça toute seule ?!
s.o.s. (belle) demoiselle en détresse + hanyul le déménageur
Un cri de fillette résonne dans la salle de bain alors que je fais gicler malgré moi le shampoing qui restait dans mes mains. Je ne comprends pas pourquoi la température de l'eau a baissé d'un coup, mais il est clair que je fais partie de ces requins qui aiment les eaux chaudes des océans ou des mers, que sais-je. Je me retrouve alors dans une position très délicate et me demande si c'est uniquement cette douche qui fout mes plans en l'air. Car ouais, en plus de l'interruption du service eau chaude, c'est aussi la musique provenant de mon téléphone qui a le droit à des coups de mou. Je finis par comprendre l'origine de cette situation, quand, après avoir regardé à droite et à gauche tel un passage piéton, je sors nu comme un ver de ma douche pour vérifier le cellulaire. Je vois une série d'appels manqués qui, à leur tour, me rappelle la douleur que j'ai pu ressentir en sentant l'eau gelée glisser sur mon corps chaud et sexy. Bon en attendant, je ne suis toujours pas rincé, d'où mon changement de direction pour la douche de droite. Il me tarde d'être en cinquième année pour éviter de partager ce genre de trucs avec les autres sangos. Par chance, on évite pour les gros crados et j'espère que cela ne changera pas avec So Yi... Cette petite princesse ne sait pas à quoi s'attendre, et d'ailleurs, je prends plaisir à lui montrer un avant-goût de la chose en la laissant dans sa merde, avec ses cartons un petit moment.
C'est donc au bout de plusieurs et très longues minutes que je finis par me vêtir comme toutes les personnes casanières du dimanche. Aucun effort. Est-ce que c'est aussi un avant-gout de la journée de mon semblant d'amie ? Je l'ignore et ne comptez pas sur moi pour le découvrir rapidement. Contrairement à ce que je laisse croire, ma patience est sans limite. Quant à la sienne, je suppose que cela ne fera pas partie de nos points en commun. Esquissant un doux sourire, je m'approche de la fenêtre du premier étage et guette la demoiselle, blasée, juste à mes pieds. Cette image me plaît bien. Or, elle ne risque pas de perdurer. " Tu n'as pas pu te payer des domestiques pour faire le sale boulot ? " dis-je, ironique. " Ne me fais pas de scène mais j'ai eu un imprévu. T'sais, le dortoir est tellement grand que rejoindre l'entrée me demande beaucoup d'efforts. " Je pose ma main sur la joue, le coude contre la rembarre du balcon (et les cheveux mouillés). " Ta chambre est en haut à droite. Je t'attends !"
Comment ça, ta chambre est en haut à droite, je t'attends ? Elle garde la tête relevée, tout son poids balancé sur une jambe dans un mouvement de balancier franchement exagéré. Dans l'idéal qu'elle se faisait d'une bonne journée, c'était lui le meilleur domestique dont le prix de la main d'oeuvre défiait toute concurrence sur le marché. « Je suis pas une tortionnaire, personne travaille un dimanche et vu qu'tu fais rien de tes journées, viens plutôt me dire ça en face et prendre un peu l'air ! » Elle fait l'effort de lui répondre en retour. « Ca t'fera pas de mal un peu d'effort ! A part te tourner les pouces tu fais pas grand chose de toute façon alors essaye de changer de zone, remonte progressivement jusqu'aux bras pour étoffer tout ça, tu m'suis ? » Alors c'est pas la déesse de la diplomatie So Yi mais elle a le mérite d'être directe et de ne pas y passer par trois portes quand c'est tellement plus simple de défoncer les murs en y collant le front tête baissée. (Diplomatie je vous dis.)
Alors elle attend. Tel Roméo patiente sous le balcon de sa Juliette sauf que Juliette au moins, elle a pris le temps de bien se saper pour son Montaigu. Elle choisit de se garder sa remarque pour elle, pas certaine qu'elle serve à sa cause, pas certaine non plus qu'elle soit en position de tacler son look de péquenaud du dimanche alors qu'elle lui réclame son aide. Mais vous avouerez que dans l'absolu, il avait déjà le kit du parfait déménageur.
Puis vu qu'on n'est pas aidé dans ce monde, elle entend une porte claquer derrière elle et le moteur de son taxi qui se fait la belle sur l'autoroute de la vie (et du non-respect). « Eeee-sh. » Va lui falloir un plan b comme bon je fais quoi maintenant mais ça sent le bras de fer à plein nez cette histoire. « C'est si grand que ça ? J'ai peur de m'y perdre si j'ai pas un guide. Allez ramène tes pantoufles ! Sois chevalier un peu. » Elle tapote sur le haut de de sa pile de carton avec beaucoup d'entrain. Mais téma la dégaine du chevalier, ça fait pas rêver.
Ce déménagement n'est pas une étape qui m'enchante. Comme le commun des mortels, certains efforts sont délicats à réaliser. Je n'ai aucun soucis avec mes muscles mais disons que les affaires de la jeune femme ne sont serrées dans une seule et unique valise. Emballer, déballer, placer... Je ne sais pas jusqu'à quel moment ma présence est souhaitée et je vais sûrement prendre peur au fil des heures. En effet, du haut de mon balcon, j'aperçois aucune personne susceptible d'aider la demoiselle. J'ai l'impression d'être le seul sango qu'elle connaît dans les parages, chose qui m'étonne un peu. Une jolie fille comme So Yi doit certainement avoir des contacts mais voulant tenter sa chance avec ces derniers, voilà qu'elle ne tient pas à leur demander de s'éprouver physiquement. En tout cas, pas pour un déménagement. Suis-je donc mis dans son cercle d'amis sans aucune considération pour mon sourire et mon physique avantageux ? Je suppose qu'il faut s'y faire. De toute manière, je ne suis pas du genre à mélanger sexe et business. La coquine a de la chance que je ne cherche pas à lui faire changer d'avis. Serrant les dents, je continue de la regarder de là-haut. Les choses se gâtent pour moi mais j'ai connu pire: " Personne ne travaille le dimanche, tu viens de le dire. Pourquoi serais-je une exception ? " Une mine boudeuse sur le visage pour l'attendrir, je ne devrais pas insister. D'ailleurs, quand je vois le chauffeur de taxi l'abandonner aussi rapidement, je sens mon coeur se déchirer en mille morceaux. Retenant une remarque ironique, je lève les yeux au ciel et ignore la moitié de ses jérémiades. " Super. J'aurais un baiser à la fin. " Je referme la fenêtre du balcon derrière moi et descends les escaliers sans me presser. Je vais devoir faire plein d'aller-retour, j'ai donc tout intérêt de garder mes forces pour la suite des événements. Une fois dehors, je m'approche d'elle et tapote doucement son épaule avant de reculer ma main. " Désolé. Je te trouve mignonne quand tu fais la gueule. En tout cas, bien plus qu'à temps normal. " Je regarde vite fait les cartons. " Allez, prends juste un petit carton et comme ça, on pourra s'organiser ensuite. Tu n'as pas hâte de voir ta chambre ? "