Ces derniers temps rien n’allait plus. Ou plutôt tout allait encore moins bien que d’habitude. Aki perdait le contrôle, un peu trop. Il savait d’ordinaire quand s’arrêter pour n’avoir aucun problème à la Yonsei, mais il avait dépassé cette limite quelques jours plus tôt et cela lui avait attiré des ennuis. Il avait même fini dans les bureaux à devoir s’excuser de son comportement. Il était alors si saoul qu’il était incapable de se souvenir aujourd’hui de ce qu’il avait fait. Ses études étaient la seule chose qui rendrait ses parents fier, Aki en était intimement persuadé. C’est pourquoi il se tenait tranquille depuis ce rappel à l’ordre, pourquoi il se concentrait sur la musique. Lui qui sortait six soirs sur sept s’en tenait désormais à trois et il tentait de ne pas perdre le contrôle. C’était plutôt facile, car il avait trois compositions à rendre dans deux semaines et qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir de mauvaises notes. Il se connaissait assez bien pour savoir qu’il ne rendrait de toute façon aucune chanson dont il ne serait pas fier. Cependant, depuis la sanction, bien qu’il se concentre autant qu’il le puisse, Akimitsu n’arrivait pas à écrire. Les mélodies de la ville ne lui suffisaient pas, il manquait toujours quelque chose. Une idée, une étincelle, une muse. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait l’expérience du syndrome de la page blanche et il avait depuis longtemps trouvé une solution imparable. Le public.

C’est pourquoi il s’était installé dans une rue passante de Hongdae avec sa guitare, Storm, son ampli et son micro. Un équipement simple mais qui suffisait à toucher un large public. Il avait pris pour thème du soir les balades rock et avait commencé avec « Smells like teen spirit » de Nirvana et entamait désormais « One foot wrong » de Pink. La musique avait pris possession de son âme, il se sentait dans son élément et les nombreux badauds qui s’étaient arrêté pour le regarder jouer en formant un arc de cercle autour de lui ne l’encourageait qu’un peu plus encore. À chaque note, Aki était un peu plus sûr encore qu’il était fait pour ça, que c’était ce que le destin avait prévu pour lui, que ses parents seraient fiers. Enivré par le fait de jouer en direct, sans d’autre accompagnement que sa précieuse Storm, il redevenait Insik. Ce garçon si sage, si sérieux. Le garçon que personne n’aurait imaginé être source de problème. Jouer, chanter, c’était pour lui dire tout ce qu’il ne savait pas énoncer, tout ce qu’il avait sur le cœur et qu’il voulait évacuer sans même parfois s’en rendre compte. La musique est le reflet de l’âme, c’est une façon d’être faible que les gens ne comprennent souvent pas. Alors qu’il commence « Breathe » de Lee Hi, Aki se rend compte qu’il étouffe, qu’il crie à l’aide tout en sachant qu’il n’y a pas d’issue. Cette chanson est spéciale à ses yeux, elle l’est aux yeux de beaucoup. Elle est trop lourde aussi, alors il change son programme et décide de faire connaître au petit monde devant lui une de ses compositions. Il commence alors « Hug me », ses yeux se ferment, ses doigts suivent naturellement les accords qu’il a longuement imaginé et il s’abandonne entièrement à la musique. Plus rien ne compte sauf les notes et les bruits de la ville qui l’accompagne en un chœur délicat.

OOTD + Le travail était ce qu'il était, pas le travail le plus périlleux du monde, pas le plus difficile non plus, mais il y avait toujours quelque chose à faire. Raon ne comptait plus le nombre de fois où il avait pensé avoir terminé avec un cas pour ensuite réaliser qu'il manquait des papiers ou des justificatifs, et il se retrouvait à le faire dans l'urgence, amassant ainsi du retard et davantage de difficultés. Peut-être que les choses seraient différentes si Raon était un peu plus organisé, il était vrai qu'il n'était pas le plus brillant pour ça. Mais il parvenait toujours à s'en sortir, comme on dit « quand on a pas de technique, faut y aller à la zob » et c'était exactement ce que le coréen faisait au quotidien. Il n'empêchait qu'il ressentait régulièrement une certaine pression mais surtout une grande lassitude. Et pourtant, il se levait tous les jours pour aller au boulot, assumer et faire tourner la maison.

Enfin, il trouvait du réconfort dans les beaux jours de retour et les sorties qu'il s'accordait. Entre potes, en charmante compagnie, tout était bon pour relâcher la pression. D'ailleurs, c'était un sourire aux lèvres qu'il marchait dans les rues de Hongdae. Il venait de boire un café entre deux affaires qui accaparaient son ami Jung Wan. Le quartier était loin de chez lui, et il appréciait ce « dépaysement » si on pouvait l'appeler ainsi. Les mains dans les poches, il marchait tranquillement, profitant de l'agitation autour de lui qui lui permettait de ne pas trop s'appesantir sur des pensées qui le troublaient. Au détour d'une rue, un petit attroupement attira son attention, autant que la musique qui lui parvenait. C'était une des choses qu'il aimait assez dans ce quartier, les musiciens qui venaient partager leurs musiques. Lui n'avait aucun talent et ne pouvait prétendre à en faire autant un jour, mais il admirait ceux qui savaient mettre leur talent artistique au service des autres. Il s'approcha davantage et se trouva un petit coin qui lui permit de bien observer la personne en train de performer. Et en apercevant le jeune artiste, Raon ne parvint pas à cacher sa surprise, lâchant une petite exclamation alors que sa bouche restait en « o ». Il l'avait vu il y avait peu de temps à l'université, dans son bureau alors que le chargé d'administration lui faisait part de la décision de l'université à son égard. L'étudiant était une forte tête, mais Raon ne lui jetterait pas la pierre, ce n'était ni son rôle, ni son ambition. Et à le voir là, derrière ce micro à gratter sur sa guitare, il se disait qu'il y avait plus à voir que ce qu'il savait sur ce jeune homme. Il le regarda enchaîner les chansons avec confiance et talent, et à la fin de sa performance, Raon fut parmi les nombreux badauds à applaudir. Alors que le musicien commença à remballer, la foule se dissipa, et Raon se rapprocha, un sourire aux lèvres. « Je te sens plus à l'aise derrière ce micro que dans mon bureau. » Dit-il d'un ton taquin, se permettant d'être plus familier qu'au sein de l'université, il n'était pas le chargé d'administrion pour le coup, juste lui, Yeo Raon.

 

Aussi étrange cela puisse-t-il paraître, Aki ne prêtait que rarement attention aux visages de la foule qui l’entourait lorsqu’il jouait. Il faisait attention aux expressions, aux regards, mais il ne se souvenait ensuite que de ceux-ci, pas des visages à proprement parler. Il s’inspirait des émotions, de l’ambiance qui se créait lorsque des personnes inconnues entre elles, inconnues à lui-même, se mêlaient dans un seul et même espace. Il arrivait bien sûr parfois qu’un visage se dénote, soit par sa grande beauté, soit par une émotion se reflétant sur les traits faciaux. Ces émotions souvent tristes lui revenaient aussi parfois lorsqu’il avait besoin de décrire un sentiment qu’il ne ressentait pas à l’instant.

Ce soir, Aki jouait majoritairement les yeux clos. Il avait besoin d’y voir clair dans son propre esprit, de pouvoir classer chacune de ses idées dans une catégorie de sentiment, dans un genre de musique, dans des notes ou des paroles. Le public semblait être réceptif à cette rétrospective personnelle et les applaudissements qui se firent entendre lorsqu’il joua sa dernière note le firent sourire de manière mélancolique. La musique avait décidemment quelque chose de magique qu’il ne pouvait s’expliquer et il se sentait désormais plus léger ou du moins, il y voyait plus clair dans les méandres de son esprit. C’est donc d’une humeur plutôt positive qu’il commença à ranger sa guitare dans son étui, puis à enrouler les câbles ayant servie à sa représentation. « Je te sens plus à l'aise derrière ce micro que dans mon bureau. »  Bae se retourna vers cette voix très vaguement familière et il fut étonné de trouver face à lui, souriant et visiblement de bonne humeur, le chargé d’administration qu’il avait eut le malheur de côtoyer plus tôt cette semaine. « Je suis toujours plus à l’aise lorsque je suis dans mon élément, sans brides. » Répondit le révolté d’un ton semi-provocateur. Aki se savait pertinemment être en tort quant à sa situation à la fac, il ne l’avouerait cependant pas. Face au sourire sympathique de l’homme qui se tenait face à lui, Akimitsu ne resta pas sur la défensive plus de quelques secondes.

« Vous avez apprécié ? » Demanda le musicien en plaçant les câbles dans la pochette avant de l’étui à guitare. Il avait l’habitude des applaudissements, ils étaient un indicateur de ce que le public pouvait penser de ses prestations, mais Akimitsu ne pouvait parfois s’empêcher de penser qu’ils étaient aussi le résultat d’une politesse nationale aléatoire. Demander l’avis d’un des membres de son public était une chose à laquelle il n’était pas habitué, il avait toujours cette angoisse de l’artiste à qui l’on dit que son travail est mauvais. Aki aimait ce qu’il faisait, il était fier de son parcours, fier de ses compositions. Il aimait créer des mélodies, des paroles, des chansons qui étaient le reflet limpide de sa personnalité, de son histoire. Cependant, s’il voulait tant faire de la musique, c’était pour propager les émotions, les sentiments, les leçons parfois. Il voulait que le public soit touché par ses compositions. Demander l’avis des spectateurs était donc sans doute le meilleur moyen de juger ses capacités, pourtant il ne le faisait que trop rarement. « La dernière était une composition. » Continue le guitariste, intimant à son interlocuteur que c’est surtout à propos de cette dernière chanson qu’il veut un avis.

OOTD + Des étudiants passionnés par ci ou par ça, Raon en voyait beaucoup à l’université. Il les enviait même un peu, il avait mis ses propres passions derrière lui depuis tellement longtemps, il avait oublié ce que c’était d’en avoir. Par contre, rare étaient les étudiants qui étaient réellement sérieux vis-à-vis de leurs passions. Souvent, c’était un hobby, une échappatoire au quotidien des études et du travail. Mais rares étaient ce qui allaient l’embrasser complètement, s’y jeter et tout faire pour en vivre.  C’était admirable selon le coréen, une prise de risque qui ne lui serait plus jamais permise, ce qui rendait le jeune musicien devant lui plus fascinant. Ça réveillait une certaine émotion chez Raon, une langueur d’aventure, d’envies qu’il ne se permettait plus d’avoir.

Il le regardait jouer les yeux clos, et se laissait bercer par les mélodies. Il ne s’y connaissait pas en musique, mais l’étudiant se débrouillait bien, plus que bien même aux vues des réactions du public. Il semblait même avoir quelques fans déjà, ce qui fît sourire Raon. La performance passa vite, plus vite qu’il ne l’aurait cru, et à la fin, il aborda son étudiant. Sa réplique le fît rire, et le coréen ne put que hocher la tête en riant. « T’en fais pas, moi aussi je suis plus à l’aise en dehors de mon bureau. » En dehors de ce rôle de chargé d’administration pour être honnête. Mais il n’allait pas se plaindre, il ne savait pas comment il vivrait sans ce travail.

Il mit ses mains dans ses poches, hochant la tête, un sourire sincère aux lèvres. « Oui c’était vraiment bien. » Et il le pensait. Raon ne s’y connaissait pas en musique, mais il avait réellement aimé la prestation. « Tu composes carrément ? » Il regarda l’étudiant, les sourcils haussés dans une expression surprise. Akimitsu était réellement sérieux et investi dans sa musique donc. Raon comprenait peut-être mieux certaines choses à son sujet. Il ne prétendrait pas avoir tout compris et l’avoir cerné, mais le voir jouer de façon si passionnée, il comprenait un peu mieux. « Tu joues depuis longtemps ? Seulement de la guitare ? » Ou alors tout ça n’était que la partie émergée de l’iceberg. « Tu sais quoi ? » Enchaîna-t-il sans lui laisser le temps de répondre. « J’te paye un verre et tu m’racontes ça ? » Il pouvait au moins faire ça non ? Les passions des gens l’intéressaient de toute façon, lui n’en ayant pas. « Tu as besoin d’aide pour ranger tout ça ? » Il espérait juste que l’étudiant se rende compte qu’il était juste face à Yeo Raon et non pas le chargé d’administration de sa fac.