wearing. une nouvelle fois échappée, bagheera avait cette impression folle que son coeur n'allait pas tenir la cadence. c'était comme si tout s'effondrait autour d'elle, sans qu'elle ne puisse le contrôler. faible, désemparée, seule, elle avait ce sentiment de revenir deux ans en arrière, à ce jour qui avait détruit son existence. ce n'était pas faute d'avoir fait confiance, d'avoir voulu croire qu'elle n'était plus seule, pourtant, lui aussi était parti. pas de la même manière, mais tout aussi brutalement. le seul à qui elle avait choisi d'ouvrir son coeur l'avait abandonnée sans qu'elle ne puisse le voir venir, sans qu'elle ne puisse le comprendre. et elle se retrouvait là, à nouveau seule face à elle-même. elle s'était enfuie pour tenter de trouver des réponses, en vain. comme une habitude qui reprenait place dans son quotidien, elle avait disparu des radars sans rien dire, en silence. elle était devenue invisible pendant plusieurs jours, à chercher le sens de ce qu'il venait de se produire dans sa vie, sans y parvenir. elle tournait en rond bagheera, sans baeju pour lui expliquer l'attitude des autres, la façon qu'ils avaient de voir le monde. ça lui manquait plus encore à chaque jour qui passait, mais elle ne pouvait plus rien y faire. le déni avait laissé depuis peu place à la colère d'être à nouveau seule, mais elle n'arrivait pas à comprendre ce sentiment, d'où il pouvait bien venir. elle tentait de savoir pourquoi tout était devenu plus noir encore, mais restait bloquée au point de départ. celui où elle ressentait, mais n'arrivait pas à l'expliquer. alors elle s'était décidée à rentrer, à tenter de voir si retourner dans un environnement rempli d'autres personnes pouvait y changer quelque chose, même si elle n'était pas vraiment sûre. elle avait repris la route de la maison, elle allait reprendre sa routine éternelle, sans savoir ce qui l'attendrait le lendemain. la tête baissée, le regard perdu sur le sol, elle marchait, se faisant petite, voulant continuer à rester invisible aux yeux des autres. puis elle était arrivée à cette intersection, son regard s'était finalement posé sur un visage familier, un visage apaisant. elle avait attendu d'être à sa hauteur pour lancer un "bonjour seong hee" amical, malgré sa voix cassée par ces nuits passées en extérieur. elle n'osait pas pour autant ajouter quoi que ce soit, elle avait peur d'être devenue celle dont la présence était une corvée pour chacun, et s'apprêtait déjà à repartir, si tel en était le souhait de la demoiselle.

Le temps semblait doux et clément ce soir, enveloppant tous les oiseaux de nuit d'un cocon protecteur et apaisant. Beaucoup de personnes devaient le ressentir, tout le monde paraissait dehors, à profiter de cet instant de répit dans leurs vies toutes plus agitées les unes des autres. Parmi cette foule, se trouvait Seonghee. Comme beaucoup, elle n'avait pu résister à cet appel prometteur de sérénité et de légèreté, la poussant à sortir et profiter d'un moment seule avec elle-même pour se perdre dans le méandre de ses pensées. Elle avait quitté le dortoir Gumi calmement, sans empressement pour aller marcher un peu en ville. Pour une fois, la multitude d'être humains ne s'intéressait pas à elle. Elle ne sentait pas de regards braqués sur sa personne, craignant qu'elle ne percute un lampadaire, tombe ou alors se fasse renverser par une voiture. Voilà vingt-trois ans – bientôt 24 ce 25 mai – qu'elle foulait de ses pas le monde et à la suite de la perte de sa vue, elle avait appris à se débrouiller seule. Elle n'avait pas non plus eu le choix, il faut dire. La famille d'accueil qui l'avait recueillie n'était pas horrible, ils ne la maltraitaient pas, non, ils l'ignoraient. Elle mangeait à sa fin, allait en cours normalement, pour une aveugle, et pouvait voir ses amis. Mais ils ne se préoccupaient pas d'elle, un peu comme la vieille poupée que l'enfant aurait délaissé la jugeant trop inintéressante. C'était pourtant une gamine débordante d'amour, qui ne demandait qu'à donner son affection et une figure parentale pour l'aider à s'en sortir dans ce monde inhospitalier. Elle n'avait eu aucun des deux, apprenant à vivre avec ce handicap qu'était sa cécité. La voilà maintenant arpentant seule les rues, trop pleines de monde pour un soir, d'une grande ville qu'elle connaissait presque comme sa poche. Voulant profiter un peu plus de la tranquillité de la soirée, elle se décida à bifurquer dans un quartier plus serein. Avant de pouvoir faire quelques pas de plus, voilà qu'elle entendait son prénom. Prénom prononcé par une voix qui ne lui était en rien inconnue et qu'elle appréciait beaucoup. « Bagheera. » Un tendre sourire se dessina sur son visage délicat. « Bonsoir, comment vas-tu ? » question rhétorique ; la blondinette avait de suite ressenti un trouble profond chez son interlocutrice. Si cette soirée semblait délectable pour elle, il semblait que ce ne fût pas le cas chez son amie.

wearing. enfant du monde, abandonnée à ses premières heures, bagheera n'était que le reflet des troubles de la société. pourtant, elle avait grandi auprès de personnes prêtes à l'aider, à l'accompagner sur le chemin d'un avenir serein. elle avait gardé cet espoir pendant longtemps, à passer des heures à imaginer ce qui pouvait bien l'attendre en compagnie de baeju. mais tout avait disparu, plus encore, on l'avait laissée à son propre sort, une fois de plus. et la rosée ne savait pas comment le supporter, comment le commun des mortels pouvait-il être apte à surmonter une telle épreuve. elle se pinçait les lèvres jusqu'au sang à ne plus rien comprendre de tout ce qu'il pouvait bien se passer autour d'elle, sans pour autant le dire à voix haute, sans pour autant trouver le courage de se confier à quelqu'un. elle doutait de la confiance qu'elle pouvait donner aux autres sans le savoir, et ce trop plein de sentiments néfastes était bien trop difficile à emmagasiner pour une demoiselle qui était si facilement déstabilisée par de telles situations. elle avait beau savoir que s'échapper n'était pas une solution, que de se retrouver seule n'était qu'un moyen de plus pour les autres de s'éloigner d'elle, c'était plus fort qu'elle, bagheera continuait inlassablement de disparaître à travers la foule le temps de quelques heures, quelques jours. sans penser à ceux qui pouvaient s'inquiéter pour elle. seule au monde, c'était de cette façon qu'elle se sentait, un voile devant les yeux lorsqu'elle se retrouvait en face d'une personne qui se souciait d'elle. comme seong hee, finalement, alors que le regard de la rosée s'était posé sur elle. elle ne savait plus comment réagir face aux autres, soufflant un simple "ça va..." dénué de sens. elle ne voulait pas être un poids, elle ne voulait pas s'approcher autant des autres de peur qu'on l'abandonne encore, qu'elle se sente seule une fois de pus. elle avait bien trop peur de perdre les seuls qui osaient poser leurs yeux sur elle. et malgré ça, elle était incapable de parler, d'exprimer ce qui n'allait pas. "les derniers jours ont été compliqués, mais ça va." finit-elle par assurer à la jeune femme en face d'elle, si peu assurée. "et toi ?" qu'elle enchaîna, préférant se concentrer sur les autres plutôt que sur elle même, en fin de compte.

Si en ce début de soirée, tout lui paraissait beau et calme, cette sérénité avait bien vite quitté Seonghee. La mélancolie qu’apportait Bagheera l’avait saisie à la gorge et elle ressentait ce besoin irrépressible de l’aider et comprendre ce qui n’allait pas. Elle savait son amie souvent perdue avec ses sentiments, mais l’avait rarement sentie dans un tel état de détresse. Elle ne voulait pas non plus trop insister et la braquer alors elle décidait d’y aller en douceur. Sa curiosité mêlée à sa sensitivité lui avait bien assez souvent causé des problèmes alors avec le temps elle avait appris à contrôler tout ça et ne pas noyer son interlocuteur de questions. « Je vois, que dirais-tu d’aller s’assoir sur un banc au parc pour profiter de cette belle soirée ? Il n’est pas loin et nous aurons le temps de discuter un peu sur le chemin. » Le mieux à faire pour le moment était de prendre un peu de bon temps, de se décontracter. Respirer l’air frais n’a jamais fait de mal à personne. En proposant cela, la blonde ne savait évidemment pas que son amie avait passé déjà plusieurs jours dehors. Elle déposait maladroitement sa main sur l’épaule de la jeune femme face à elle et affichait un doux sourire cherchant à la rassurer. « Je vais bien, merci de t’en inquiéter. » Comment aider Bagheera à se confier sans pour autant lui mettre la pression ? Là était tout le dilemme, mais elle ne se décourageait pas et attrapait doucement le bas de la manche de celle-ci pour commencer à avancer vers le parc. Elle ne connaissait que trop bien le chemin pour y aller alors sa cécité ne la gênait pas vraiment. Quand il nous manque un sens, on essaie de pallier avec ce qu’il nous reste. En l’occurrence, s’il y avait bien quelque chose qui ne faisait presque jamais défaut à la non-voyante, c’était sa mémoire. Le trajet durait environ cinq minutes à pieds alors elle en profita pour doucement aborder le sujet sensible. « Bagheera ? J’ai bien senti que quelque chose n'allait pas.. Est-ce que tu aimerais qu’on en discute un peu ? Tu sais que je suis toujours ouverte à toute discussion et t’aider me ferait vraiment plaisir. » dit-elle doucement pour ensuite enchaîner « Si jamais tu ne sais pas trop où tu en es, ni par où commencer, partons du début d’accord ? » Sa voix n’était que velours et douceur. Le problème de son amie l’inquiétait plus qu’elle ne semblait le remarquer. Laisser quelqu’un dans la détresse n’avait jamais été sa tasse de thé.