« Lim Ji Hwan. » Elle n’en a rien à faire de leur ton formaliste et des cravates parfaitement nouées. « Monsieur le Président ne peut pas vous recevoir. » Elle lève les yeux au ciel avec un sourire amer. « Monsieur le Président n'a plus le temps de rien en ce moment. » Et sans laisser trace de son identité, elle tourne les talons et s’évapore derrière les portes coulissantes de l’entreprise.
Elle n’est pas habituée à son indifférence, elle qui d’ordinaire pose les limites bien plus qu’elle ne les respecte. Elle ne saurait dire ce qui l’agace le plus. D’être ignorée ou d’être oubliée. Au final, l’insensible Miu aurait peut-être un cœur… première nouvelle. Et c’est là encore, quelque chose qui l’embête beaucoup.
Ses messages restent sans réponse.
Peu importe, elle attendra. Ce n’est pas comme si elle avait des obligations à assumer et des cours à réviser. Si elle avait réussi à définir l’ordre de ses priorités, si elle avait réussi à faire preuve de raison et de discernement, elle n’en serait pas là aujourd’hui, avec une vie dans un état aussi foireux que la sienne.
La nuit tombe et à la lumière d’un vieux lampadaire qui disjoncte, elle reconnaît les pièces parfaitement taillées d’une garde-robe qui ne déçoit jamais. Son pas vif et élancé demeure nonchalant et hautain. Les choses ont changé mais lui n’a pas changé. Et sans bouger de son banc collé aux murs de l’entreprise, Miu le surprend avec ce ton si particulier et qui la caractérise si bien ; cynique. « Tu cherches à échapper à quelqu’un ? »
truth is (ft. jihwan)
Lorsqu’il avait quitté le dortoir des sango, il y a de cela quelques mois déjà, il avait été soulagé d’une chose : ne plus avoir constamment sur sa route la silhouette de Miu, qui lui rappellerait sans cesse combien les sentiments qu’il avait éprouvés pour elle, et qu’il ressentait peut-être encore un peu, avaient été à sens unique. Il n’était pas le genre d’homme à accepter facilement qu’on le rejette, il était en fait celui qui rejetait les autres en temps normal – mais ce qu’il avait encore moins bien accepté que le rejet, c’était le fait qu’elle n’ait cessé de jouer avec lui, avec ses sentiments, pour obtenir ce qu’elle voulait elle sans lui donner ce qu’il voulait lui. Et s’il parvenait à bien cacher ce qu’il ressentait derrière des mots durs, chaque vision de Miu pouvait le faire retomber aussi bas qu’avant, cet-à-dire au niveau où il se sentait soumis à elle à cause des sentiments qu’il avait.
Désormais, ignorer ses messages était devenu bien plus simple qu’avant. Il n’avait plus le risque de la croiser dans la cuisine commune ou devant la piscine, prête à s’amuser avec lui quand ça n’avait jamais été un jeu pour lui. Et pourtant, les secrétaires devant son bureau, la sécurité l’avaient prévenu : depuis plusieurs jours déjà, une jeune fille cherchait à le voir, une jeune fille qui sans aucune honte l’appelait par son nom et son prénom dans le lieu où il était désormais nommé Monsieur le président. Une fille qui pouvait agir ainsi avec lui, il n’y en avait qu’une. Dès lors, il avait tout fait pour qu’elle ne parvienne pas à le rencontrer. Parce que même si ces derniers temps, il l’avait oubliée, on ne savait jamais. Miu avait toujours eu un effet hypnotisant sur lui.
Et ce soir-là, tandis qu’il quittait l’entreprise tardivement afin d’échapper à sa présence, il entendit sa voix qui n’avait pas changé, ce ton provocateur et peut-être un peu agressif qui était le sien. Il ne pouvait pas y échapper et il n’était pas le genre de personne à fuir quand la personne était sous ses yeux. Il posa son regard sur elle et une certaine satisfaction, qu’il essaya de faire taire rapidement, naquit en lui. Elle avait quand même attendu de longues heures simplement pour le voir. Park Miu n’était pas le genre de fille à faire ça, normalement. « Tu cherches à voir quelqu’un ? » surenchérit-il, évitant sa question. Les deux connaissaient la réponse à leur question, et pourtant ils s’entêtaient à la poser.
Persona non grata. Miu était persuadée d'une chose, c'est que si sa tête avait pu être placardée sur les murs du bâtiment pour annoncer sa présence indésirée, le personnel faussement aimable de l'entreprise n'aurait pas hésité une seule seconde à lui en interdire l'accès. Cependant, elle était également convaincue d'une autre chose, celle que Ji Hwan n'aurait jamais supporté sa tendre moue boudeuse en poster dans ses propres locaux.
Elle n'aurait pas été surprise qu'il l'entende et poursuive son chemin. Là encore, elle le savait suffisamment froid, parce que oui, en dépit de tous ses défauts, elle était fine observatrice à la mémoire implacable. Mais Ji Hwan avait ce je-ne-sais-quoi de faible pour elle. Et ça aussi elle le savait, elle en avait joué et pour être tout à fait honnête, si elle n'en était pas fière, elle n'en éprouvait pas pour autant le moindre regret.
Et d'entendre sa voix qui la taquinait presque d'une nouvelle question en réponse à la sienne lui fit lever les yeux au ciel dans un sourire. Ou plutôt qu'un sourire eût-il fallu appeler cela un rictus, parce qu'après tout, Miu n'était bonne qu'à ces répliques et ces moues sarcastiques. « Je ne sais pas. A ton avis, combien de personnes je pourrais chercher à contacter et qui puisse probablement quitter les bâtiments de ton entreprise ? » Elle aurait pu choisir l'honnêteté comme elle aurait pu choisir la moquerie. Et dans sa réponse, un peu de l'un, un peu de l'autre pour se mouiller sans trop se mettre à découvert. Elle lui devait bien ça. Mais qu'il ne s'en amuse pas trop longtemps car son humeur pourrait changer à tout instant. « Si j'avais été naïve, j'aurais pu croire que ton méchant personnel n'a jamais délivré au précieux prodige de la Maison qu'une fille banale et sans pedigree réclamait à le voir. » Mais Miu reste Miu et même dans ses phrases les plus innocentes se cache un lame coupante. « Mais toi comme moi, on n'y croirait pas. Pas vrai ? » Alors pourquoi l'ignorer ?
Bien que le temps soit passé, revoir Miu lui faisait quelque chose. Plus que la réapparition de sentiments qu’il avait difficilement étouffés, c’était presque une sorte de nostalgie qu’il ressentait. Non pas que les temps où il était à l’université et l’aimait étaient mieux, mais Miu lui rappelait aussi une période de son adolescence. Elle était synonyme de pleins de choses pour lui, en plus de représenter son premier amour. C’était connu – sans affirmer que les sentiments pour son premier amour ne disparaissaient jamais, il était réel qu’un attachement était constamment présent. Et Miu avait été la première personne avec qui Ji Hwan s’était trouvé vraiment similaire, parce que les deux se ressemblaient sur bien des points.
Il ne pouvait pas juste passer sans même la regarder. Peut-être que ça aurait été mieux pour sa fierté, peut-être que ça aurait démontré avec perfection combien il était plus fort que n’importe quel sentiment – mais il ne l’était pas. Au fond Ji Hwan était un être humain, aussi faible que les autres. Détester l’affirmer ne voulait pas dire que c’était faux. Il n’était pas surpris d’entendre l’éternel sarcasme de Miu dans sa réponse. Au final, n’avait-elle pas toujours était ainsi – n’avaient-ils pas toujours été ainsi ? Les pensées les plus simples étaient toujours bien dissimulés derrière des mots, des phrases et un ton qui montraient parfois le contraire.
Au moins, elle était fidèle à elle-même. « Tu as raison, c’est sans doute moi que tu cherchais désespérément », releva Ji Hwan. Il savait que le formuler de cette façon ne plairait pas vraiment à Miu. Elle aimait être en situation de force et elle l’avait été pendant si longtemps. « En effet, ça manque de crédibilité. » Il était parfaitement à l’aise avec le fait qu’il l’ait évitée. Elle savait sans doute aussi bien que lui pourquoi il l’avait fait, il n’avait rien à se reprocher. « Disons que je ne pensais pas que Park Miu attendrait un long moment pour me voir. La vie est surprenante. » Sans doute aimait-il trop relever combien elle l’avait attendu, mais n’avait-elle pas fait la même chose avec lui quand elle savait qu’il l’aimait ? Il prit cependant un air plus sérieux. Au final ce n’était pas ce qui était important. « Pourquoi voulais-tu me voir ? » demanda t-il, cette fois honnêtement, son regard droit celui de la jeune femme. Au fond il était curieux.