Min Ah regardait sa meilleure amie avec un air aussi scandalisé qu’elle. Est-ce que ça paraissait si incroyable que Min Ah trouve un animal mignon ?! Ce n’était pas un monstre, évidemment qu’il était mignon, puis il fallait le voir ce bébé hérisson. Il était adorable ! Qu’on ne vienne pas comparer cet espèce d’écureuil-cannibale qui mordait gratuitement ! Le hérisson, lui, était vraiment mignon. Il se défendait avec ses petits pics un peu impressionnants mais au fond c’était un petit marshmallow, rien de plus. Min Ah elle aimait bien les animaux un peu impressionnants et incompris, bien plus que ce foutu nuggets qui n’avait rien d’un nuggets. Les nuggets on les mangeait, là c’était cet écureuil qui avait bien failli lui manger le doigt.

Or, bien vite, Se Ah part dans son propre délire et quand Min Ah le réalise, c’est déjà trop tard. Elle a appelé la dame de l’animalerie et elle est en train de chercher un prénom à ce pauvre hérisson qui a été cruellement réveillé de sa sieste. « Hein ? Quoi ? Non mais je ne veux pas d’un hérisson chez moi ! » D’accord il est adorable mais c’est fragile ces bêtes, quand même ! Min Ah, elle peut pas s’occuper des animaux fragiles, elle était pas assez délicate. Rien que l’anecdote de l’animal dans le micro-onde le montrait : elle, elle voulait juste le sécher, pas lui faire du mal. Elle se rendait pas encore compte que mettre un animal dans un micro-onde, ça ne le réchauffait pas… comment pouvait-elle s’imaginer que c’était si fragile ? « Eh, j’ai grandi, je sais quand même ça ! T’aurais sans doute fait la même chose à ma place, j’étais une gamine, je savais juste pas ! » Si Min Ah n’était pas aussi sensible que sa meilleure amie aux charmes des animaux, elle ne les maltraitait pas pour autant. « Enfin bref, non, pas de hérisson. C’est sans doute mieux pour tout le monde qu’il sieste ici. Il est adorable, je conçois, mais… déjà, je suis pas certaine que hyung accepte. » Aussi capricieuse soit-elle, elle restait comme une enfant qui avait besoin de la permission ed son père.

A ses premières allégations, je redresse subitement les épaules et la toise de haut en bas. C'est ce que plus vulgairement, on appelle aujourd'hui le jugement dans son plus simple appareil. "Alors, non. Pour ta gouverne, je n'ai jamais mis aucun animal dans un micro-onde pour le réchauffer. J'y ai mis des feuilles d'arbres, une seule fois, mais c'était pour un projet de sciences que j'avais complètement oublié et il me manquait des feuilles d'automne pour compléter mon herbier. Mais c'était des feuilles d'arbre, tombées du ciel et sans aucune âme. Pas un hamster." Je la corrige et parce que j'en ai eu des animaux, je suis bien placée pour savoir que l'âge n'a rien à voir avec les pulsions meurtrières, même subconscientes, qu'a pu expérimenter la Minah du passé.

Au final, pas de hérisson c'est peut-être mieux comme ça mais cette pensée me rend triste. Je reste accroupie devant la vitrine, les bras enroulés autour de mes genoux. "Moi je l'aurais pris. Je sais bien qu'il faut pas acheter les animaux en animalerie parce qu'ils ont souvent des conditions de vie assez misérables mais sérieusement... est-ce que ça te donne pas encore plus envie de les adopter ? A moi oui, ça me rend heureuse de me dire que je peux offrir un environnement agréable à des petites bêtes qui n'ont rien demandé à personne..." Je réfléchis, un petit quelque chose de nostalgique dans la voix et les lèvres boudeuses. "Mais j'ai déjà Papillon et Nugget. Ça ferait beaucoup." Je tapote distraitement sur la vitre et regarde le petit hérisson se dandiner tout groggy jusqu'à son distributeur d'eau, nous laissant admirer son adorable frimousse de bébé.

Min Ah leva les yeux au ciel face au regard de sa meilleure amie et de son discours moralisateur. Bien sûr que, sorti du contexte, l’idée qu’une enfant mette un hamster dans un four micro-onde apparaît complètement comme une tentative de meurtre. Cela dit, il fallait replacer les choses telles qu’elles étaient : Min Ah était jeune à cette époque, très jeune, et si de nos jours certains s’aventuraient à la qualifier de fille irréfléchie, elle l’était davantage à cette période-là. Puis, objectivement parlant, Min Ah ne trouvait pas qu’elle avait été si stupide. Sécher le hamster complètement était une urgence, sa priorité, et elle savait que le faire avec la serviette prendrait un temps fou. Elle savait aussi que lorsqu’elle faisait chauffer un plat au micro-onde, celui-ci chauffait. Elle avait simplement essayé de trouver un lien entre les deux et avait placé cette pauvre bête dans le micro-onde. Alors oui, avec le recul, c’était complètement stupide, dangereux et cruel – mais à l’époque, ça paraissait juste trop impulsif. Puis l’erreur devait retomber sur la personne qui avait pensé malin de confier un hamster à la Min Ah d’il y a une dizaine d’années. « Bah bien sûr, tu te crois sans faute parce que ça ne t’ai jamais arrivé. Tu n’as juste jamais fait face, seule, à un hamster complètement trempé en étant si jeune. Si ça t’était arrivée, tu aurais peut-être pensé à la même chose que moi ! »

Si c’était une technique de séduction, l’aînée ne pouvait qu’admettre que c’était for t efficace. La pensée d’un animal si mignon et innocent dans une animalerie, malheureux, ne put qu’attendrir le coeur, pourtant assez sauvage, de Min Ah. Elle se mordit la lèvre. À ce stade-là, affirmer qu’elle prend le hérisson, c’est un peu comme déclarer forfait en plein match, c’est laisser une chance à Se Ah d’affirmer que c’est grâce à elle toutes les fois où Min Ah lui dira qu’elle adore le hérisson qu’elle a adoptée. D’un autre côté, il fallait faire la part des choses : il y avait laisser ce pauvre hérisson dans son malheur et admettre que le discours de sa meilleure amie l’avait touché. Les deux étaient douloureux pour l’enfant qu’elle était mais l’un l’était nettement moins que l’autre. « Je t’ai déjà dit que les noms que tu donnais à tes animaux étaient vraiment nuls ? De toute évidence, je ne te laisserai jamais donner un prénom à mon hérisson. » affirma Min Ah, en regardant sa meilleure amie d’un air sévère.

Je m'arrête un instant et je la regarde essayer de se justifier en vain. Je pourrais m'arrêter là, lui donner raison ou à tout le moins lui laisser penser que c'est le cas. "Non ça ne m'est jamais arrivé ! Et bien sûr que j'ai dû faire face, seule, à des animaux ! Min Ah. Regarde-moi bien. T'as oublié à qui tu parlais ?!" A la fille qui a caché un lapin blessé dans son placard pendant trois jours avant que la mère ne mette bas à trois petits lapereaux au milieu de ses chaussettes et petites culottes en coton. "Peu importe ! Ce que je veux dire, c'est que c'est pas parce que t'étais une gamine un peu limitée sur le plan cognitif –me regarde pas comme ça– que ça va se répéter à l'infini !" Je lui souris comme si c'était du miel, tapotant du bout de l'index sur la vitrine du petit mammifère pour lui rappeler notre business en cours.

Je ne sais pas si ma technique de séduction marche sur elle mais malheureusement, et je dis malheureusement parce que c'est un peu trop souvent le cas, elle marche sur moi. Si elle ne le prend, alors je le prendrai. Je compte déjà ce que ce petit truc va me coûter mais il est si adorable. Je l'appellerai Tobby. Et quand je me dis ça, Min Ah juge bon de me rappeler que la fantaisie des noms que je donne à mes animaux ne lui plaît pas. A ça, je lève les yeux au ciel mais le hérisson reste plus intéressant que sa tête à elle. "Tu me l'as déjà dit. Plein de fois. Et t'as même pas été la première à me le dire." Faut dire que quand on revient d'une classe verte avec un scarabée qui s'appelle Popeye, on le cherche un peu aussi.

Et puis ça clique dans ma tête. Avec un peu de retard, mais ça clique. "Tu le prends ?" Je pivote, toujours en position accroupie et lève le menton pour la regarder, comme un alien il faut le dire. "Tu le prends ?! Tu le prends vraiment ? T'as dit que t'allais le prendre !" Elle est chiante Minah, à dire des trucs qui sont tellement ambiguës qu'une fois sur deux je m'emballe pour rien. "Si tu le prends pas je le prends." Je me redresse d'une traite pour lui faire face. Minah, faut pas toucher à ses affaires.

Min Ah leva les yeux au ciel. « Et alors ? Tu veux une médaille ? Un cérémonie de remise de diplôme ? » surenchérit-elle, pleine de mauvaise foi. Il aurait suffi de reconnaître combien son choix de l’époque avait été maladroit et stupide mais ce n’était pas dans le genre de Min Ah du tout. « Comment ça limitée sur le plan cognitif ?! J’ai peut-être pas géré pour cet animal mais je te dépassais en plein d’autre chose ! » C’était hors de question qu’elle laisse passer ça sans le relever. Le hérisson n’était pas le plus important de ses soucis si sa meilleure amie d’enfance commençait à insulter la jeune fille qu’elle était.

Elle retint un rire et leva les yeux au ciel. « Je te l’ai déjà dit et avant moi, d’autres te l’ont déjà dit, et tu n’as jamais jugé bon d’arrêter tes prénoms étranges ? Il serait temps de se remettre en question, avant de dire que j’avais des soucis cognitifs. » N’importe quel sujet pouvait tourner à la dispute, même si c’était un grand mot, puisque c’était la façon pour les deux jeunes femmes de bien s’entendre. Avec deux caractères aussi explosifs, elles ne faisaient pas parti de celles qui commentaient dès « t’es la plus belle » sous les photos postées sur les réseaux sociaux, par exemple. Levant une nouvelle fois les yeux au ciel, Min Ah dit : « Je préfère le rendre moi plutôt que le laisser avec toi, au risque d’en faire un sale gosse surprotégé et pourri gâté ». Et c’était drôlement ironique que Min Ah se permette de prononcer ces adjectifs quand ils étaient souvent ceux utilisés pour la décrire elle.

Sa faible répartie me laisse deviner que j'ai touché un point sensible à mi-chemin entre son ego et sa sensibilité. "Tout ce qui te fait plaisir." Les battements papillons de mes cils éclairent mon visage du voile (complètement erroné) de l'innocence et je surenchéris d'une voix si douce et si calme que j'espère bien que mon sourire à lui seul suffira à la mettre hors d'elle. Je serais incapable d'expliquer pourquoi les sourcils froncés de Min Ah sont ce que je préfère chez elle. Peut-être parce qu'un vrai compliment sincère et émouvant de sa part me désarmerait complètement. "J'ai pas de conseil à recevoir d'une fille qui, à vingt-sept ans, appelle encore son frère hyung." J'arque un sourcil de façon à challenger sa logique, la joue posée dans le creux de ma main et mon bras qui tient en équilibre sur l'une de mes cuisses pour me maintenir à hauteur de la petite cage en métal.

Je ne sais plus à quel moment j'ai pensé que ce serait une bonne idée de confier un animal de compagnie à Min Ah ; elle qui n'a jamais vraiment su s'occuper d'elle-même pour commencer. "C'est l'hôpital qui se fout de la charité !" Je m'exclame en attirant sur nous les regards curieux et agacés de tout le magasin. "Je peux vous aider ?" Nos regards alternent entre la vendeuse et le jeune hérisson.

Quelques minutes plus tard, je pousse la porte de sortie de l'animalerie avec une nouvelle cabane d'aventurier pour Nugget sous le bras et me tourne vers Min Ah qui me suit de près. "Alors ? Tu vas l'appeler comment ton gros chien ?" Je demande sur un ton faussement sérieux, admirant la façon qu'a Min Ah de se compliquer la vie en trimbalant maladroitement ses nouvelles fournitures, en plus de la boîte à l'intérieur de laquelle frissonne un minuscule hérisson tout apeuré.

Min Ah manqua de vraiment s’énerver mais même si la provocation de Se Ah fonctionnait à merveilles, elle n’avait pas envie de lui faire trop plaisir en rentrant trop dans son jeu. Du coup, elle fronça ses sourcils, balança un « Imbécile » tout sauf impressionnant et reporta son attention sur autre chose que sur ce qui lui servait, pour son plus grand malheur dans l’immédiat, d’amie d’enfance. Plaisanter sur son frère, c’est un pari risqué et si ça n’avait pas été Se Ah, Min Ah aurait sans doute laissé tomber toute bienséance et l’aurait plaqué au sol violemment ; que la réflexion soit faite pour plaisanter ou pour blesser ne changeait rien. Rire du frère de Min Ah et de son lien avec lui était toujours un danger auquel il valait mieux échapper. Tout simplement parce que c’était un point sensible chez la jeune femme. Heureusement, la vendeuse arriva et changea de sujet.

Une main qui tenait la boite de d’un hérisson qui n’avait aucune envie d’être trimballé, mais encore moins dans une boite penchée, et une autre qui tenait avec difficulté tout le reste, Min Ah manquait de tout faire tomber à chaque pas qu’elle faisait. « Je pensais à Sonic. Ou Shadow. Mais j’sais pas si t’as la référence. » dit-elle d’un ton moqueur. Elle ferait mieux de se concentrer sur les choses qu’elle tenait parce qu’elle manqua de tomber pile au moment où elle s’apprêtait à tirer la langue à Se Ah.