20.55. Il faut que je presse le pas même si je ne suis plus très loin, l’idée d’être en retard alors que je retrouve ma sœur ne me tente pas. J’ai trouvé ma sœur il y a un an à peu près, c’était il y a si longtemps et en même temps j’ai l’impression que c’était hier. J’ai découvert en Mia la grande sœur dont je rêvais, la confidente que je n’avais jamais eue, la personne qui pouvait me comprendre en un regard et sentir ce que je ressentais. Elle a vécu une vie que je déteste, une vie facile, une vie de riche que je n’ai jamais connue mais je n’ai pas pu la détester pour ça, je n’ai pas pu la traiter comme je traite normalement les gens qui ont ses moyens financiers… C’est ma sœur après tout, ça lui donne un privilège que les autres ne peuvent pas avoir. Quand je vois toutes les différences entre nous, je me demande si nous aurions pu nous entendre si un lien de sang ne nous liait pas et tristement, j’en doute fortement… Mais maintenant que je la connais, je sais que je ne connaîtrais plus la misère et la solitude puisqu’elle sera toujours à mes côtés, qu’elle me soutiendra comme je veux la soutenir.

Je me rapproche du parc et regarde sans grande conviction la tenue que j’ai choisie… J’essaye toujours de faire un effort quand je vais voir Mia mais c’est rare quand je trouve un pantalon qui n’est pas troué et une chemise présentable. Enfin, je sais qu’elle ne m’a jamais jugé sur mes vêtements et que ça ne commencera pas aujourd’hui. Je fourre mes mains dans mes poches, assez détendu même si je devrais être nerveux de découvrir ce journal, raison pour laquelle je retrouve ma grande sœur ce soir. Elle m’en avait déjà parlé, elle ne l’a jamais lu, n’ayant pas le courage de le faire seule et je souhaitais de toute façon être là quand elle en découvrirait le contenu. Ce journal a été écrit par nos parents dont je n’ai pas de souvenirs et ça me tient à cœur de savoir ce qu’ils ont écrit et encore plus de le partager avec Mia.

J’entre dans le parc et m’arrête un peu, hésitant pour la première fois à approcher sa silhouette assise sur un banc sous un réverbère et je regarde le carnet déposé sur ses genoux. J’aurais souhaité lui dire pour mon cancer, ce n’est rien d’inquiétant, juste une tumeur qui apparaît à nouveau et qui selon les médecins est assez dangereuse. Je ne pense pas que ce soit le jour, le moment, je crois que ça peut se régler sans que je n’inquiète tout mon entourage. Je m’approche alors en reprenant mon assurance et arrive avec un gigantesque sourire sur mes lèvres, un sourire rassurant et réconfortant. Je m’assieds à ses côtés et l’attire contre moi dans une étreinte chaleureuse.

-Salut grande sœur ! Tu vas bien ?

Je m’éloigne un peu et mon regard tombe sur le journal avec « Notre histoire » inscrit dessus. C’est leur histoire mais c’est aussi la nôtre et c’est probablement pour cela que ça nous tient tous les deux tellement à cœur. Je prends sa main dans la mienne sans arrêter de sourire alors qu’elle me donne de ses nouvelles, j’aime tellement l’entendre me dire si elle va bien, si elle va mal, ce qu’elle ressent. J’ai l’impression qu’elle est nerveuse et je dois lui apporter le courage qui lui manque peut-être pour ouvrir ce journal et en découvrir le contenu.

-Tu te sens prête à le lire ?

Elle m’avoue qu’elle a connu et mieux et mon cœur se serre un peu bien que je comprenne la cause de son état. J’essaye de ne pas trop m’inquiéter, je pense qu’elle le fait bien assez pour nous deux. Je serre doucement sa main dans la mienne, voyant le triste sourire étendant ses lèvres. Si je n’étais pas avec ma sœur, je sais que je ne serais pas aussi sûr de moi et confiant. Mais elle est là alors je peux être fort avec elle et pour elle. J’aurais voulu connaître nos parents, avoir des souvenirs avec eux, avec notre famille au complet avant qu’ils ne… Je pince les lèvres et caresse doucement le dos de sa main alors qu’elle me fait part de ses craintes, de ses appréhensions face au contenu du journal. J’aimerais la rassurer mais je ne sais même pas ce que contient ce journal… Je ne peux que lui tenir la main un peu plus fort en lui souriant légèrement.

-Tu sais… même si tu ne contrôle pas tes émotions je serais là d’accord ? Et si on découvre des choses qu’on ne savait pas dedans, je pense que c’est mieux qu’on les apprenne… ensemble…

Je ne sais pas si je parviens à la réconforter un peu, je lui cache la nervosité qui étreint mon cœur pour la protéger, sachant à quel point ma grande sœur est sensible en ce moment. Elle pose son front contre le mien et j’ancre mon regard sombre dans ses yeux noisette en écoutant ses mots rappelant que notre père n’est pas le même. Je ne m’arrête pas là-dessus, malgré l’infidélité de ma mère, je ne peux pas lui en vouloir parce que ma sœur est tout ce qu’il me reste de ma famille et elle est devenue, une fois retrouvée, une partie de moi-même que je n’espérais plus et sans laquelle je ne veux plus vivre. Mon regard d’un coup plus sérieux s’ancre dans le sien et je sais qu’elle peut y lire à quel point elle compte à mes yeux. J’en veux au monde entier de nous avoir séparés suite à la mort de nos parents, au monde entier sauf à elle. Je me suis longtemps demandé comment ça se serait passé si son père biologique m’avait adopté avec elle, si j’avais vécu la même existence dorée que Mia. Après y avoir longuement réfléchi, je me dis que ce n’est pas si mal comme ça, parce qu’au final, ma sœur et moi sommes réunis et que les difficultés de mon passé me permettent d’être fort dans mon présent. Malgré tout, je ne laisserais plus personne m’arracher ma sœur qui m’est devenue aussi indispensable que son absence peut m’être mortelle. Je lui souris un peu et hoche la tête à ses mots qui me font tant de bien.

-Merci grande sœur… Tu sais que je n’ai jamais pris compte de notre différence de pères non plus, pour moi tu es ma sœur à 3000% !

Je lui souris, reprenant de la force et du courage pour découvrir ce que contiennent les pages du journal comme Mia décide de l’ouvrir. Nous découvrons une photo de nos parents sur la plage et nous perdons tous les deux notre sourire. Quand je les vois si heureux, j’ai dû mal à me dire qu’ils ne sont plus là et j’ai l’impression que cette photo vient d’être prise mais ce n’est pas le cas… Mia me tends la photo et je la prends après une petite hésitation. Je les regarde tous les deux, leurs sourires, leurs traits, tout m’est inconnu chez eux. Je n’ai pas de photos d’eux chez moi et je lève un regard un peu troublé vers ma grande sœur qui découvre d’autres photos.

-Est-ce qu’on pourra en faire une copie… ? Je n’ai pas de photos d’eux c’est… c’est la première fois que je vois nos parents…

Je souffle ces mots en regardant à nouveau la photo d’eux mais ma grande sœur me sort de ma contemplation en me montrant des photos de bébés, une où l’enfant pleure dans le bain et l’autre où il dort avec un sourire aux lèvres. Je penche la tête alors qu’elle me demande qui est qui et je regarde Mia, un peu surpris.

-Ce ne sont pas deux photos de toi ?

Je prends la photo qu’elle me montre et la retourne pour découvrir que c’est une photo de moi, plus petit. Cette constatation m’arrache un rire alors qu’une fois les deux photos l’une à côté de l’autre, je ne vois toujours pas de différences ! Je ne pensais pas que nous pouvions nous ressembler au point de me dire que ce n’est qu’une seule personne sur deux photos de bébés différents. C’est presque comme si nous étions jumeaux et cette pensée m’amuse un peu comme elle semble redonner le sourire à Mia.

-On se ressemblait comme deux gouttes d’eau ! Je ne pensais pas qu’on était si semblables quand on était plus petits !

La découverte du journal commençait plutôt bien, j’aimerais que ce qui nous attends dans la suite suive ce début assez encourageant alors je rends les photos à Mia pour qu’elle les remette dans le journal et je serre doucement sa main toujours contre la mienne.

-On continue ?

Mon cœur se serre au fur et à mesure que les minutes passent, je ne sais pas contrôler tous les sentiments qui affluent en moi. J’ai toujours voulu être un garçon fort, un frère qui soutient sa sœur coûte que coûte mais face à ce journal et ces photos, mes limites se brisent petit à petit. Je n’ose pas le dire à ma sœur mais cette photo que je tiens fébrilement entre mes doigts fait naître ce manque en moi qui ne sera jamais comblé. J’ai ma sœur à mes côtés mais je n’aurais jamais de père, je n’aurais jamais de mère, la vie ne m’a même pas offert l’occasion d’en avoir. Mia a eu une famille et moi… Est-ce que je peux appeler ça une famille ? J’ai davantage souffert d’être dans ce milieu qu’autre chose mais je n’ai jamais pu leur en vouloir… sans pour autant les avoir un jour considéré comme mes véritables parents. Et là, dans mes mains de jeune adulte, je vois pour la première fois une photo de mes parents. Je lui demande alors si je pourrais avoir une copie, je n’ai déjà plus envie de m’en séparer, j’ai envie de la regarder jusqu’à ce leurs visages me soient enfin familiers. Elle accepte et je souris légèrement, soulagé alors que c’était logique qu’elle accepte. Je ressens encore plus le besoin d’être près de ma sœur, j’aurais voulu connaître une vie de famille, vivre un peu avec elle quelques temps mais je ne lui ai jamais demandé. Elle est avec Tae Hyun, elle a 23 ans, je ne peux pas lui demander de s’imposer son petit frère alors qu’elle commence une vie d’adulte. Je pense à tout cela en regardant les photos de nous deux, alors que je pensais que ma sœur était sur les deux. Elle dit que la génétique est magique et je hoche légèrement la tête, de plus en plus troublé. Je garde le sourire même s’il vacille et que je me rapproche discrètement de Mia. Elle continue alors et elle trouve une nouvelle photo ! Je souris, me penchant cette fois pour la découvrir en même temps que ma grande sœur. Nous sommes tous les deux sur cette photo et je la regarde avec attention, heureux de pouvoir voir que par le passé nous étions réunis, ne serait-ce que quelques années.

-J’aimerais tellement me souvenir de tout ça… Me rappeler qu’on a pas toujours été séparés…

Il y a tout un tas de photos de nous deux, Mia me les passe petit à petit et je les découvre avec le cœur qui bat de plus en plus vite. Ma main s’agrippe à celle de ma sœur, nous avions l’air si heureux, ensemble, comme des frères et sœurs normaux mais au lieu de ça… Nous avons été injustement séparés et cela, je ne le pardonnerais jamais. A mes yeux, sûrement au contraire de Mia, je pense que tout le monde est coupable, tous ceux qui ont choisis de nous séparer ou non pas essayer de nous réunir sont en tort. Je regarde chacune des photos comme si c’était ce que j’avais de plus précieux au monde, parce que c’est ce que j’ai de plus précieux au monde. Nous avions l’air si heureux, si innocents, nous ne savions pas ce qui nous attendait… Je regarde Mia, j’ai le regard encore plus trouble mais je souris quand même.

-Ils devaient nous aimer… N’est-ce pas ?

Je reporte à nouveau mon regard sur les photos et passe mon pouce sur nos visages souriants. Je ne pensais pas que voir ces souvenirs me ferait autant d’effets et honnêtement je n’ai pas envie de montrer cela à ma sœur, c’est elle qui a besoin de moi en ce moment. Je sais à quel point découvrir ce journal est important et aussi douloureux pour elle. Je serre avec plus de douceur sa main et lui rends les photos en souriant avec un peu plus de courage.

-Tu sais… même si on ne s’en souvient pas, on a ces photos qui prouvent qu’on a été une famille, que toi et moi, on a partagé les mêmes jeux, les mêmes repas, le même lit…

Je lui montre ma photo qui est définitivement ma préférée où l’on peut nous voir endormis dans les bras l’un de l’autre avec des sourires apaisés aux lèvres. Je reporte mon regard sur ma grande sœur et je pourrais presque lire sur ses traits quelque expression que j’ai moi-même. Elle me donne la force qui parfois me manque et c’est pour ça que je peux continuer, sans m’effondrer, sans abandonner alors que seul, je n’en aurais plus la volonté.

-… Et pouvoir les découvrir ensemble, c’est le plus important, parce que maintenant on est réunis et ce pour toujours.