Même si Jaein lui avait dit de ne pas ne pas prévenir sa famille, Naeun ne pouvait s’y résoudre. Elle avait envie de croire que des personnes différentes des Wang existaient. Des personnes qui s’inquiétaient sincèrement de la santé de leur fils qui avait disparu, visiblement sans son téléphone (qui faisait ça, en 2018 ?). Plus important encore, elle avait besoin de s’assurer que ce qu’elle avait entendu le soir où la police l’avait appelée (pour une raison qu’elle ignorait encore) ne serait pas tombé dans l’oreille d’une personne incapable d’y changer quoi que ce soit. Ses proches devaient faire quelque chose, pas elle. Et les propos qu’il avait tenus, qu’ils soient fréquents ou non, étaient tout sauf rassurants.

Pour cette raison, elle s’approcha de la porte d’entrée de la maison qu’on lui avait indiquée, espérant qu’il y aurait quelqu’un pour lui ouvrir et discuter avec elle. Malheureusement aucune réponse ne lui vint. Comment pouvaient-ils être aussi nombreux et ne pas avoir quelqu’un à la maison ? Un petit soupir lui échappa alors qu’elle s’éloignait, posant les yeux sur la façade. Il faudrait qu’elle s’y reprenne autrement. Elle aurait aussi pu essayer de discuter avec la sœur de Jaein, celle qui se trouvait également chez les Pyobeoms, mais… De toute évidence, cette dernière ne la portait absolument pas dans son cœur. De quoi compliquer les choses, évidemment.

Elle commençait à perdre espoir quand son regard se posa sur la fenêtre du rez-de-chaussée. Elle fronça les sourcils. Elle ne rêvait tout de même pas ? Il y avait quelqu’un. Quelqu’un qui l’ignorait depuis le début ? Elle s’approcha de la fenêtre en question pour y frapper quelques coups. « Allôoooooooo ? » Dans le pire des cas, elle avait déjà une mauvaise réputation dans son entourage. « Taein !! » Elle était certaine que c’était lui. Faisant de grands signes pour attirer l’attention de Taein, elle reprit rapidement. « Tu peux venir m’ouvrir, s’il te plaît ? C’est important ! » Il fallait qu’ils discutent et qu’elle rentre avant que Jaein n’ait changé sa chambre entière en buanderie victorienne. Et avant qu’il ne décide une nouvelle fois qu’il en avait assez de sa vie, accessoirement.  

Putain de texte de... j'y arrive pa-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-s ! Spammant la touche 'effacer' de mon clavier d'ordinateur comme on le ferait avec le clitoris d'une demoiselle en émoi, le tout dans un gros soupir de frustration, je finis par abandonner l'idée de pouvoir écrire aujourd'hui. Entre le travail, qui avait été plutôt pénible à cause du début de l'année scolaire et des lourdes charges administratives que ça impliquait, et le fait que notre frangin nous avait fait une énième crise en quittant la maison (encore, mais level supérieur, cette fois-ci, puis-ce qu'on n'avait plus moyen de le contacter), l'inspiration ne venait définitivement pas. À défaut, je restais alors planté devant mon écran, le regard définitivement vide mais l'esprit toujours aussi en ébullition que d'habitude, avant de reculer ma chaise de bureau pour aller me hisser sur le lit et enfiler mon casque audio pour m'écouter un peu de musique. Ça me rendait dingue, tout ça... je commençais à fatiguer de m'inquiéter autant, de le faire souvent et de ne pas avoir la patience de rester zen, ni le pouvoir nécessaire pour vraiment changer quoi que ce soit aux problèmes qui entouraient Jae In ces derniers temps. Impossible de pleurer pour autant. Je m'en savais parfaitement incapable, tant que ce crétin ne nous aurait pas donné une bonne raison de pouvoir relâcher la pression. Peut-être que là, le jour où tout irait mieux, je me mettrais à chialer toute une journée pour évacuer la pression accumulée. Je n'osais pas en parler aux parents, de tout ça, j'avais même baratiné un truc comme quoi notre 'ainé' était super occupé à la fac et qu'il ne pouvait pas quitter son dortoir parce que ça lui faisait trop de trajets, mais j'aimerais qu'on l'envoie en détox dès que possible. Une vraie détox, à l'extérieur de la ville, peut-être, avec quelqu'un qui pourrait vraiment l'aider, pas comme nous. Je sais pas. Un truc. Un truc vraiment sérieux, cette fois, parce que son état était bel et bien devenu sérieux et que je n'étais pas certain que qui que ce soit sous ce toit aurait les moyens de le guérir. « Aish... » Je finis par me frotter un peu les cheveux et fermais les paupières pour me concentrer sur ma musique.

« Allôoooooooo ? » Qué ? « Taein !! » Quwé ?

Retirage d'écouteurs, plissage des yeux, regardage vers la fenêtre. Mais attendez, je la connaissais, elle. C'était pas Naeun ? « Tu peux venir m’ouvrir, s’il te plaît ? C’est important ! » Important ? Important, genre 'je viens frapper à ta fenêtre-important' ? Donc sans doutes très important. Sans chercher le pourquoi du comment, je descendis donc du lit et me levais lentement en me tenant au mur, pour m'approcher des rideaux afin de les tirer, puis d'ouvrir la fenêtre. Là, j'aurais très facilement, trop facilement, pu sortir une de mes énièmes blagues cyniques, mais ça n'en valait pas la peine, je crois. « Tu peux passer par là ? Enfin, sauf si t'as cinq minutes à attendre. » Mais à priori, un peu de gym n'avait jamais tué personne. « Tu es là depuis longtemps ? Je t'ai pas entendue... qu'est-ce qui se passe ? » 

Je ne comprends pas comment on peut être aussi nombreux dans une famille et ne pas avoir au moins une personne disponible pour ouvrir une porte d’entrée. Bref. J’ai fini par me rendre à la fenêtre la plus proche en espérant avoir une réponse de la personne que j’ai aperçue, par je ne sais quel miracle, à l’intérieur. Personne qui n’est autre que Taein. Du coup j’attends. Je le vois approcher de façon assez étrange. Pourquoi se tient-il comme ça ? Ah. Je suis vraiment trop conne. C’est vrai que je ne l’ai toujours vu qu’assis à son bureau, au secrétariat. Je n’ai jamais réalisé auparavant. J’espère qu’il ne me prendra pas pour une grosse conne : pour ma défense, je n’étais pas au courant, ce n’est pas comme si j’avais pris le temps de demander à Jaein plus d’informations sur son frère, après tout. En fait, il ne sait même pas que je suis là. Il m’aurait sûrement empêché de venir.

« Non t’inquiète, ça ira. » Dis-je en regrettant amèrement d’avoir chaussé mes talons avant de quitter la maison. « Quelques minutes, mais ne t’en fais pas. Désolée de t’avoir fait bouger. » Je réfléchis un instant, considérant la hauteur de l’appui de fenêtre, avant de lever une jambe et de me hisser tant bien que mal à l’intérieur après avoir ôté mes chaussures. « Jaein. » J’aurais dû attendre d’être de l’autre côté. « Attends. » Je me laisse doucement retomber de l’autre côté, en essayant de ne pas m’écraser comme une pauvre merde sur le sol de la chambre de Taein, et je me redresse avant de remettre en place mes vêtements. « Ton frère est chez moi actuellement. » Raison pour laquelle je m’invite chez lui actuellement, pénétrant les lieux par une fenêtre. Tout à fait. « On l’a retrouvé sur un pont. Il dit qu’il voulait juste pisser, mais j’ai un peu de mal à y croire vu ce qu’il disait quand on m’a appelé et qu’il pensait que c’était toi, de toute évidence. » Je réfléchis encore un peu. « Je sais que je ne devrais pas me mêler de ça. Mais il t’a déjà dit des trucs inquiétants ? » Parce que pour le coup, c’était plus que préoccupant, mais je préférais attendre une réponse avant de préciser. De toute façon, avec ce que j’ai dit avant, c’est assez déductible. « Ça va aller pour te rasseoir ? » Qu’il ne se tienne pas aux murs encore une fois pour se déplacer, ça me dérangerait un peu. Mais je sais aussi que certaines personnes n’aiment pas qu’on les aide, alors je préfère demander. De toute façon, je ne suis pas là pour jouer à la cruche qui n’a rien compris à la situation.

C'était un peu malaisant de la voir se torturer à passer ainsi par la fenêtre, alors que j'aurais simplement pu faire le tour jusqu'à la porte, mais bon, soit, il fallait reconnaître que l'option était tout de même bien plus rapide... et intéressante à regarder. Quel mec n'aimait pas voir une fille se la jouer lara croft des villes ? Bon, en réalité, je n'étais même pas vraiment d'humeur à me rincer l'oeil sur des choses aussi basiques, en ce moment. Mes préoccupations étaient ailleurs, aka dirigées vers la personne qui accaparait le plus mes pensées depuis le lycée et ce de manière générale. S'il y avait bien quelqu'un pour qui j'étais capable d'accepter quelque chose et de jouer les avocats du diable en avançant des arguments inventés de toutes pièces, quand bien même je savais qu'il était en tort complet, c'était Jae In. Pourquoi lui ? Pourquoi pas un autre ? Eh bien, c'était très simple : il suffisait de le connaître un peu pour savoir que de nous quatre, c'était sûrement lui le plus émotif et fragile. Pour se défendre, on avait tous notre stratégie : Nayeon extériorisait et se mettait en colère en envoyant tout chier, Aeyeon devenait une grosse bitch pour reprendre le dessus, moi, je mettais un mur de cynisme hautement répulsif. Dans l'ensemble, nous avions tous un côté assez vicieux pour nous en sortir. Mais Jae, pas tant que ça. À priori, sa grande gueule donnait l'impression que rien ne pouvait l'atteindre, mais dans le fond, c'était pas ça. Et il dépensait beaucoup d'énergie à être grande gueule. Et ça devait le fatiguer. Et quand il était au bout du rouleau, il lui fallait quelqu'un pour s'occuper de lui, le temps qu'il recharge ses batteries. Un jour, ça finira par le tuer. J'étais un peu trop fier pour ça, mais je crois qu'un jour, j'irai lui promettre qu'il pourrait toujours compter sur moi jusqu'à sa mort, même si j'en venais à m'épuiser moi-même. Si un être humain pouvait en être rendu là pour son frère ou sa soeur, alors qu'est-ce que ça devait être, d'avoir des enfants ?

Une fois Naeun à l'intérieur, je me redressais un peu et attendis impatiemment d'entendre ce qu'elle avait à me dire. 1) Jae était chez elle. Ouf. Sécurisé. 2) Le mec était sur un pont à la base et avait essayé de m'appeler. 3) C'était clairement la merde et j'allais avoir besoin d'une bonne murge ou de, je ne sais pas, un truc comme une invitation surprise de Connor pour tenir le coup face à tout ça. « Je suis content qu'il soit tombé sur ton numéro. » En général, s'il m'appelait, c'était pour des choses qu'il souhaitait garder entre nous deux uniquement, mais Naeun semblait être une bonne personne de confiance aussi, avec la tête bien sur les épaules. « Ouais, euh... il... mais il va bien ? Ca va aller, oui, t'inquiètes, mais tu veux pas boire un truc avant ? » Lançais-je en pointant le salon du menton.

Spoiler:

J'attrapais finalement d'une part la béquille posée contre le bureau, d'autre part, son bras, puis nous dirigeais vers le centre de la maison tout en reprenant la conversation. « Il est parti en Thailande ou au Vietnam avec l'un de ses amis d'internet, récemment... je sais pas ce qu'il a consommé là-bas mais ça me fait un peu peur. C'est un gars tellement sensible que quelque chose à dû le chambouler dernièrement et... je sais pas... » Ce que je sais, c'est qu'il nous manque. « Il lui est déjà arrivé des trucs... difficiles. » Ca reste notre secret. « Parfois il raconte des trucs glauques, c'est vrai. On l'a peut-être pas assez pris au sérieux... »

Taein doit me prendre pour la dernière des tarées. Déjà, je me ramène chez lui comme ça, sans prévenir, j’entre par sa fenêtre et maintenant je lui annonce que son frère est chez moi. J’espère qu’il ne va pas croire que je le retiens ou que je suis une espèce de psychopathe. Ça serait le comble. Je ne réagis pas sur le numéro : c’était vraiment un coup de chance et je dois vous avouer qu’à sa place, j’aurais surtout été contente que les flics lui soient tombés dessus. Sérieusement, je ne sais pas ce qu’il aurait été capable de faire dans un état pareil, même s’il dit qu’il était juste là pour pisser. « C’est relatif. » réponds-je calmement. «  Il va mieux que le soir où on l’a trouvé. » Pour le reste, je n’ai pas envie de m’avancer. Même énervé, triste, bouleversé, on ne dit pas des choses aussi désolantes. Pas comme ça, du moins. Je secoue la tête en souriant. « Non merci, ça ira. »

Je le suis lentement, toujours surprise de ne pas avoir réalisé plus tôt son problème de mobilité, en écoutant sa réponse à ma question. « Je vois… » Ce qu’il a consommé… Vu son état actuellement assez lamentable, ça ne m’étonnerait pas qu’il ait pris des merdes, mais je ne m’y connais pas vraiment en termes de drogue et de substances bizarres. J’ai la chance d’être relativement satisfaite avec la nicotine. Mais je l’ajoute à ma liste, ça sera utile, s’il commence à péter des câbles avec le manque. «  Quels genres de trucs ? » Je n’ai pas à demander ça. Je suis la première à ne pas parler de mes problèmes, à les entériner jusqu’à ce qu’ils explosent. «  On se connaît pas vraiment et je peux me tromper, mais je crois qu’il va beaucoup plus mal qu’il ne le montre… J’ai du mal à imaginer qu’il jouait la comédie l’autre jour. » Le cas typique de la grande gueule qui souffre à l’intérieur et qui explose. C’est souvent comme ça, dans les cas de suicides. Les proches sont étonnés, ils ne comprennent pas. ‘Il avait pourtant l’air d’aller bien’, qu’ils disent. Mais ils manquent les signaux, les appels à l’aide. C’est facile de les manquer, avec une personne comme ça. Dans mon cursus, on nous apprend à prendre en compte tous les signes potentiels. Je ne peux pas faire abstraction de ceux-là. Le problème, c’est que je ne peux rien imposer. Je ne devrais même pas être là, à essayer d’arranger les choses. C’est un peu frustrant. C’est m’exposer moi-même et érafler un peu plus l’image que je me suis donnée pendant des années. Je ne sais pas si ça me dérange ou si ça me soulage. Peut-être les deux, en fonction des moments. « En tout cas, il n’a pas l’air de vouloir rentrer pour l’instant. Y a des trucs dont il pourrait avoir besoin ? » Je n’ai pas demandé à Jaein, il m’aurait empêchée de venir, avec ma chance.

Si on m'avait un jour dit qu'une fille allait venir chez moi en passant par la fenêtre, tout ça pour m'annoncer que mon frère était chez elle après avoir été ramassé sur un pont, je crois que j'aurais fortement rigolé. En plus, je la connaissais, cette nana... enfin, de loin. Je l'avais croisée dans les couloirs une ou deux fois. Pas le genre de personne dont on aurait pu dire que la lumière était allumée dans son cerveau, à priori, mais dans l'urgence de la situation actuelle et avec ce qu'elle était en train de me déballer là, depuis quelques minutes, je remettais fortement son idiotie en question. C'était presque flippant, en fait, de se dire qu'elle faisait potentiellement semblant à la fac. Flippant ou triste, ou alors, un peu des deux. « Ah, ça, je ne peux pas te le dire, désolé. » Mais Jae In avait besoin d'aller chez le psy, définitivement. Chez le psy et à la police, aussi, au passage, même si je savais qu'il ne le ferait jamais, question de dignité. Personnellement, je n'aurais pas eu une réaction différente de la sienne vis-à-vis de l'entrevue avec Kwangho... mais le mec là, il fallait qu'on l'interne avant qu'il recommence. Avec un peu de chance, c'était déjà arrivé. Un psychopathe pareil, et pas au sens figuré du terme, fallait pas le laisser dans la nature.

« Tu ne te trompes pas. » Je soupirais faiblement en lui répondant. Un peu las, un peu triste, un peu blasé, un peu en colère de ne pas suffire à guérir mon propre frère. Non. Très en colère. Contre moi-même. « Je ne sais pas ce qu'il lui faut. » Un avion, peut-être. Je suis sûr qu'il serait heureux dans un avion, à aller explorer les nuages... mais c'est pas parce qu'on vivait dans un quartier historique de Séoul que notre famille était forcément riche pour autant. Une fois arrivés à hauteur des escaliers, je m'arrêtais un peu avec Naeun et l'observais à ses dernières paroles, jusqu'à finalement hocher la tête d'un air légèrement résigné. Jae In ne voulait pas rentrer. « Je vois... hum, eh bien, sa chambre est en haut, la deuxième porte à gauche. Y'a des caleçons et des pantalons si tu cherches un peu, ça devrait le dépanner. Ne m'en veux pas si je ne t'accompagnes pas, hein ? » Je pense qu'elle avait mieux à faire que de me voir perdre dix minutes à monter les marches. « Est-ce que je peux rentrer avec toi ? » C'est relativement insupportable de savoir que le mec était chez quelqu'un, qu'il ne voulait pas rentrer, qu'il avait des envies suicidaires et que jusqu'à présent, c'était silence radio à la maison.

« Okay, je n’insiste pas. Ça ne me regarde pas. » J’aimerais pouvoir aider, faire davantage pour ceux qui souffrent. Mais je ne peux pas non plus forcer les gens à me raconter leur vie. C’est ça aussi, être psychologue. C’est apprendre à faire avec ce que les gens donnent, sans les forcer. Parce que si tu les forces, ils ne te parlent de rien et ils se braquent. C’est bien la pire chose qui pourrait m’arriver. Mais de toute façon, ce n’est pas de mon aide que Jaein aurait besoin, mais de celle d’un professionnel. Il a besoin d’une personne qui parviendra à lui faire vider son sac et dire tout ce qu’il a sur la patate car, même si je ne le connais pas vraiment, ça se sent. Tu ne finis pas comme ça si tu vas bien. Du moins, c’est mon impression.

Et ça m’attriste presque, que Taein me donne raison. « Un psy ? » J’hésite et je me reprends rapidement. « Fin, je ne dis pas ça méchamment. Je sais que c’est mal vu… Mais c’est vraiment ce dont il aurait besoin. Quelqu’un qui l’aiderait à évacuer, qui serait neutre… » Mais qui suis-je pour dire ça ? « Fin, quelqu’un qui ne le connaitrait pas… » Dans tous les cas, pour l’instant, monsieur a décidé de ne pas rentrer chez lui, et je préfère le garder à la maison que le savoir perdu quelque part, sans donner de nouvelles à personne. Il m’inquiète. Du coup, le plus simple, c’est que je récupère ses affaires. Il ronchonnera sûrement parce que je suis venue, mais au moins il n’aura pas à le faire lui-même, donc bon.

« Okay. Et ne t’en fais pas, je comprends. » Je ne vais pas le forcer à monter, même si je ne doute pas qu’il en soit capable. Il a l’air de s’en sortir malgré tout. « Je doute que ça soit une bonne idée… Attends peut-être qu’il vous contacte ? » Je fronce les sourcils et je croise les bras. « Il n’a pas l’air de vouloir rentrer pour l’instant et il risque de m’en vouloir si je laisse un de vous venir le trouver donc bon… J’ai pas trop envie qu’il fuie et se retrouve encore dans une situation improbable. » Je m’en voudrais, je vous avoue. « Bon, je reviens. »

Sans attendre plus longtemps, je grimpe les escaliers et je récupère quelques vêtements et son téléphone. Au moins ça. Je me permets aussi, rapidement, de chopper quelques livres. Au moins il aura de quoi s’occuper ? Je doute que mes affaires l’intéressent vraiment et je ne sais pas trop ce qu’il fait dans son temps libre, à par son job. Quand j’ai tout, je descends. « J’ai pris son téléphone… Mais je n’ai pas trouvé le chargeur, tu ne saurais pas où il est ? »

Un psy ? Je l'écoutais et hochais un peu la tête, mais un soupir m'échappa quand même en pensant au problème de Jae In en particulier... et puis à son caractère qui ne correspondait pas vraiment à l'idée. Je veux dire, on fait comment quand on a une sorte de sister complex et qu'on a été kidnappé dans une cave par un mec complètement taré qui ressemblait au mec des Big Bang ? Juré que mon frère devait faire des angoisses quand il entendait bang bang bang, maintenant. « J'sais pas trop... comment savoir si c'est un psy qui fait bien son boulot ou pas ? On entend tellement d'histoires, parfois... » J'aurais presque plus confiance dans les chamans sur certains trucs, malheureusement.  

La réponse a mon envie de descendre retrouver mon frangin était peut-être réaliste, mais j'eus du mal à contenir ma déception malgré tout. Bien sûr que j'avais envie de le voir... je mourrais d'envie de ça, même si c'était pour me prendre un vent intersidéral. Ne sachant pas trop quoi dire de plus, je me contentais donc de lâcher un gros soupir et hochais la tête, puis partis m'asseoir dans le salon pour attendre que les choses se fassent. C'était quand même une sensation de merde, d'être là au milieu, à ne pas avoir de pouvoir sur quoi que ce soit... mais enfin, la demoiselle revint dans le salon avec une question à la bouche. « Oh, euh... aucune idée. Tu peux prendre le mien, ça ira. Il est dans le sac sur la chaise à l'entrée de ma chambre. » Une fois le tout rassemblé, je me tournais à nouveau vers elle. « Dis-moi, Naeun... toi qui es en psychologie. Comment est-ce qu'on fait avec les traumatismes, pour continuer à vivre ? » Les sujets compliqués ne me faisaient pas peur, j'avais l'âme de philosophe et des sujets trop simples pouvaient bien vite m'ennuyer, même s'ils avaient le chic d'être rassurants, car on n'avait au moins pas besoin d'aller chercher trop loin en soi-même pour trouver des réponses. « Jae In, il vit avec des images et des sons au fond de la tête en permanence, j'imagine qu'il fait du bruit pour pas les entendre. Et toi, tu joues à l'idiote pour quoi ? » 

Je suis qui au juste, pour donner des conseils à des gens qui me connaissent à peine ? Sûrement quelqu’un qui s’inquiète trop pour les autres, malgré tout ce que j’essaie de laisser croire. C’est vrai quoi, j’ai passé la plus grande partie de ma vie à me faire passer pour une petite pétasse qui n’en a rien à faire des autres. Mais c’est pas ce que je suis, dans le fond. J’ai pas envie que les gens se retrouvent seul avec leurs problèmes. C’est pour ça que je veux devenir psychologue. Pour les aider. Et peut-être parce que je voudrais être aidée, moi aussi. C’est une boucle sans fin. « Tu peux pas savoir sans essayer. » Tous les psys ne sont pas bons, je n’irais pas affirmer ça. Mais aller en voir un, c’est déjà faire un pas en avant. C’est affirmer une certaine volonté d’aller mieux. Parfois, c’est juste une question de relâcher un peu de vapeur afin de fonctionner mieux par soi-même… Mais je doute que ça soit vraiment le cas de Jaein, même s’il est un peu tôt pour en juger.

Je redescends une fois que j’ai récupéré quelques affaires, avant de hocher la tête à la réponse de Taein. « Okay, merci. » Je vais récupérer le chargeur rapidement avant de reposer les yeux sur Taein, dont la question m’interpelle. Des images et des sons, hein ? Des souvenirs, sans doute. Ou ses propres pensées. « On développe des mécanismes. On trouve des choses qui nous aident à surmonter le trauma. À continuer à vivre. Pour certains c’est la drogue, les jeux vidéos, l’élevage de cochons d’Inde. Ça dépend des gens. » Certains développent même des alters, qui traitent ce trauma à leur place. « Disons qu’être moi-même m’a jamais vraiment porté chance. » Au contraire, j’ai été mise à l’écart, considérée comme une moins que rien par ma propre famille. « Mais je suis pas venue ici pour parler de mes problèmes. » Je soupire un peu, consciente de la gravité de la situation. « Quand il reviendra chez vous, vous devriez avoir une discussion avec lui. » Et je me mêle encore de choses qui ne me regardent pas.