Il est aisé de dire que la différence est attirante lorsque l'on n'en subit pas les complications qui s'ensuivent. Tomoe, elle, n'a pas eu cette chance, elle est née avec une particularité qui la suivra tout au long de sa vie, qu'elle le veuille ou non.

Des jouets sont éparpillés partout dans la pièce. Certains pour tout petit comme quelques cubes à empiler délaissés dans un recoin et d'autres nécessitants d'être plus âgé tels que des puzzles complexes. Assise au milieu de la pièce, plongée dans un de ces puzzles se trouve la jeune Tomoe, âgée de cinq ans. Les petites pièces sont répandues autour d'elle, attendant de trouver leur place, tandis que l'enfant les pose doucement, mais sûrement, au bon endroit. L'image se forme progressivement sous les yeux écarquillés de ses parents qui se tiennent dans l'embrasure de la porte. Si dans le regard de son père, on lit de l'émerveillement de la fierté pour sa précieuse fille, il en est tout autrement pour sa mère. Celle-ci semble presque effrayée. Une forme d'admiration mêlée à de la peur et peut-être même du dégoût. Ça, la petite le ressent bien, elle ne peut pas ne pas le remarquer. Il y a une différence de taille entre les moments passés avec son paternel et ceux avec sa mère. Celle-ci est distante et semble ne vouloir réellement s'occuper que de son frère jumeau. Étrangement Tomoe n'en fait rien. Elle ne crie pas, ne pleure pas, ne réclame pas l'attention de sa mère. Non. Elle reste dans son coin, silencieuse et analysant tout de ses deux petites prunelles noires. Elle perçoit – sans forcément comprendre – plus de choses qu'une enfant si jeune ne le devrait et ça, ses proches ne le savent que trop bien et sont très inquiets pour sa future entrée à l'école.


« T'es vraiment bonne à faire interner ! » Violemment poussée, la jeune fille se retrouve fesses contre terre. Elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas pourquoi ce genre de scène se répète si souvent. Elle ne pense pourtant pas avoir fait quelque chose de "mal", bien que sa notion du bien et du mal soit assez différente de celle des autres. Elle ne cherche pas non plus à s'expliquer auprès de ce groupe de filles qui envahissent son espèce personnel, elle leur a juste dit la vérité, la simple et pure vérité. Cela, n'est-il pas ce que tout le monde doit faire ? Peut-être pas, mais qu'importe. Tomoe ne parvient pas à comprendre comment est née la colère qui habite ces filles, ce n'est pas la première fois ni la dernière que ça arrivera elle le sait bien. Depuis son entrée au collège ça arrive fréquemment. La seule amie qu'elle était parvenue à se faire a fini par se détacher d'elle et la laisser seule, craignant d'être détestée par les autres si elle restait à ses côtés. Elle qui habituellement ne parvient pas à saisir ce qu'elle ressent.. Le départ lâche de son amie aura réussi à lui faire verser quelques larmes. En plus de ces problèmes à répétition au bahut, il y a sa mère. Mère qui la regarde toujours comme si elle était un être étrange venu d'ailleurs. Ça aussi la jeunette aimerait le comprendre, mais pas moyen de cerner ce que cette femme qu'elle appelle maman ressent. « Moe ! Ça va ? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé... Encore ces filles ? » Elle n'a même pas remarqué que le petit groupe avait finit par partir, la laissant seule, toujours au sol. Celui qui se tient devant elle n'est autre que son frère jumeau, lui, sa moitié, le seul qui la comprenne réellement et avec qui elle ne se sent pas à part. Il a toujours été là pour elle, tout comme elle fait de son mieux pour l'être avec lui. En même temps, ils sont jumeaux. Liés par le sang et par l'esprit. L'un sans l'autre, ils n'existent pas.


Elles se regardent dans le blanc des yeux. Aucune ne parle ni ne bouge, une certaine tension est palpable. Il ne se passe rien, même le bruit semble avoir fui de peur de déclencher une déflagration bien trop intense. Tomoe scrute sa mère toujours aussi silencieusement, comme elle l'a toujours fait, ne préférant pas la provoquer ni lire une fois de plus dans son regard quelque chose qu'elle ne comprend et ne comprendra peut-être jamais. Elle sait pertinemment que son frère et son père savent ce qu'il se passe, mais refusent de lui expliquer... Pourtant, elle n'a pas cherché à savoir, ne leur à pas demandé. S'ils ne disent rien, c'est qu'elle n'a pas besoin de le savoir. Avec le temps, elle a appris, appris qu'elle est différente et que finalement sa différence n'est pas une faiblesse. Si pendant ses années de collège elle cherchait désespérément à comprendre ce qui ne tournait pas rond, aujourd'hui elle sait que tout va parfaitement bien. C'est juste le monde autour d'elle qui n'est pas normal. Après tout, qu'est-ce que la normalité ? C'est bien trop abstrait comme notion. Finalement, sa mère s'en va en soupirant et demandant une énième fois ce qu'elle a bien pu faire pour avoir une fille comme ça. Tomoe pourrait lui répondre qu'elle ne le sait pas, mais elle n'en fait rien, elle n'en a pas particulièrement envie. Voilà des années qu'elle ne communique plus avec sa mère... Ont-elles seulement communiqué un jour ? Ce n'est pas comme si ça pouvait changer quelque chose. La jeune femme reste droite dans le salon, toujours silencieuse, comme une poupée. Si elle est retournée au japon pendant les vacances, c'est uniquement pour voir les deux hommes de sa vie. Elle doit bien admettre qu'ils lui manquent de temps en temps, elle se sent tellement libérée à leurs côtés.