la poignée d’une grosse valise dans chaque main ainsi qu’un sac à dos sur tes épaules, tu te tournes sur le chemin qui mène à ta maison pour lancer un dernier regard à cette grande bâtisse qui a été ta demeure pendant plus de dix-sept ans. tu y a vécu tellement de choses entre ces murs. tu te rappelles les heures passées à te cacher pendant que ta jumelle te cherchait. tu entends encore vos rires qui emplissaient les pièces alors que vous courriez l’un après l’autre. tu revois aussi les sourires et les disputes qui vous avaient unis. et un jour, tout ça c’était fini. un jour tu t’étais retrouvé seul entre ces murs froids et dénudés de couleurs. tu avais appris à vivre sans jinah pendant quelques temps, voyant l’état de ta mère se dégrader. elle ne t’aimait pas, elle ne t’avait jamais aimé. ce n’était pas toi son enfant préféré, c’était jinah. mais elle n’était plus là, emportée par la maladie. trop jeune pour avoir pleinement vécu sa vie, elle n’avait que six ans quand son dernier souffle a quitté son corps. tu te souviens que tu étais là, avec elle. vous dormiez ensemble tous les soirs et ce soir-là ne faisait pas exception à la règle. jinah était dans tes bras et tu l’avais serré fort contre toi, pour ne pas qu’elle ait froid. elle était frileuse ta sœur, plus que toi d’ailleurs. sans dire que tu avais tout le temps chaud, tu n’avais pas forcément froid. mais elle, elle était différente. elle, elle avait tout le temps froid. c’est pour ça que la nuit, tu l’enserrais dans tes bras pour qu’elle ne ressente pas la fraîcheur de la nuit. tu prenais ton rôle de grand frère à sœur. parce que oui, c’était toi le grand frère. c’était toi le plus fort, le plus doué, le plus apte à ne jamais tomber malade. elle était fragile jinah. tu le savais, tu l’avais bien compris malgré tes six ans. et quand tu t’étais réveillé ce matin-là, que ta sœur était vraiment froide, tu avais compris que quelque chose clochait. toi qui ne hurlait jamais, qui ne haussait jamais la voix, avait poussé sur tes cordes vocales le plus que tu pouvais, alertant ta famille. tes parents étaient à peine entré dans la chambre qu’ils avaient compris. jinah n’était plus. tous les signes étaient là, les lèvres bleues, la rigidité cadavérique et son regard vide. parce que oui, ses yeux étaient ouverts. toi endormi avait été la dernière chose qu’elle avait vu avait de partir. tu n’avais pas pleuré, n’avait pas eu peur. tu étais dans un état second quand tu t’étais rendu compte que tu avais tenu ta sœur morte dans tes bras. tu ne te souviens pas d’avoir pleuré que ce soit à l’enterrement ou après. tes yeux restaient désespérément sec de toutes larmes. tu n’étais pas insensible au contraire. tu voulais pleurer, tu voulais crier au monde ta peine et ta détresse, mais tu n’en étais pas capable. ça se bloquait dans ta gorge et tu ne pouvais rien y faire. alors t’as vécu dans un état second pendant quelques temps, observant ta mère, sans réellement y prêter attention, se laisser porter par la dépression et ses envies suicidaires. un jour, elle avait été trop loin. un jour, elle avait failli réellement se tuer et ton père avait pris une décision. ce n’était pas jinah qui était morte, mais jinhwan. tu n’étais plus jinhwan, tu devais devenir jinah.

ton identité s’était retrouvée bafouée, mise en suspens pour que tu puisses prendre la place de ta jumelle, rendant à ta mère un second souffle. treize ans de ta vie. c’était ce que tu avais donné à cette mère malade comme sursis. tu étais devenu ta sœur pour elle, pour avoir un peu de reconnaissance et d’amour. tu n’avais que six ans, tu voulais simplement qu’on t’aime, qu’importe de quel façon c’était. alors, tes cheveux avaient poussé pour pouvoir être ceux d’une femme, tu avais appris à agir comme une fille. tes manières avaient changé. tu avais changé. tu n’étais plus toi, tu étais quelqu’un d’autre. tu t’étais construit avec une personnalité qui n’était pas la tienne et tu t’étais perdu. tu n’arrivais plus à te distinguer de ta sœur, tu étais complètement devenu elle. puis les années étaient passées. tu avais commencé à vouloir des relations. vu que tu étais jinah, tu t’es automatiquement dirigé vers les hommes. tu avais eu un coup de cœur un jour. coup de cœur qui avait fini par te le briser en mille morceaux. il t’avait traité de taré, t’avait humilié, rabaissé plus bas que terre. tu n’étais pas une fille, tu étais juste fou. c’est à cet instant que tu as compris que quelque chose n’allait pas. tu n’étais pas jinah, tu étais jinhwan et tu devais le redevenir. alors, tu as tout fait pour. t’es parti te couper les cheveux. premier choc pour ta mère. tu avais arrêté les robes et les jupes pour mettre des vêtements masculins. deuxième choc pour ta mère. et un jour, tu lui as tout révélé. tu n’en pouvais plus de ne pas être toi, mais une autre personne. troisième choc pour ta mère. tu ne savais pas si elle s’en remettra. mais ce n’était plus ton problème. ça ne l’était plus depuis tes six ans, depuis que tu avais été forcé de venir ta sœur. tu t’étais rendu compte que ta mère ne t’aimait pas pour toi, mais parce que tu étais jinah.

une larme coule sur ta joue alors que tu te tournes vers l’avenir laissant ta maison et tes souvenirs derrière toi. tu prends un nouveau départ et tu n’auras pas besoin de tout ça. maintenant, tu as juste besoin de penser à toi et rien qu’à toi maintenant. tu vas devenir égoïste et ne plus faire les choses pour les autres. tu as besoin de ça pour te reconstruire. ce ne sera pas facile, mais tu peux le faire, tu le sais. tu es assez fort pour ça. c’est pour ça que tu as envoyé une demande de bourse et de candidature à la yonsei à séoul. tu as besoin de changer d’air, de changer d’environnement et ce n’était pas à busan que tu pourrais le faire. alors, maintenant, tu n’as plus qu’à écrire cette nouvelle page de ce nouveau livre. ta vie ne fait que commencer.