Tout va un peu trop vite autour de toi, tout va un peu trop vite dans ton crâne. Tu slalomes entre les étudiants, sans même leur adresser un regard. Ton pas est rapide, tu cherches du regard une chambre en particulier. Tu n'as rien à faire là, tu le sais, ce dortoir n'est pas le tiens. Mais tu n'as que faire de cette pseudo rivalité entre fraternités, tu traces sans faire attention à ce que les gens pourraient dire en te voyant ici, quand tu les bouscules et continue ton chemin sans t'excuser. Tu es loin d'être patient, tu as peur que si tu t'arrêtes ne serait-ce qu'un instant, tu oublies pourquoi tu es là, tout ce que tu comptais raconter à ton ami. Si c'est toujours un tel challenge pour passer du temps avec les gens, tu es content de ne jamais avoir eu beaucoup d'amis (menteur, ton subconscient te murmure).

Tu exagères, tu sais. Tu n'as rien d'important à raconter à l'autre, ta journée peut-être : comment tu as découvert une nouvelle théorie du complot que tu défendras avec ferveur, comment ton meilleur ami s'est moqué de toi et que de toute façon il est trop con pour comprendre, on sait très bien que dans notre relation, lui c'est les muscles et moi le cerveau ! (tu ne le pense pas vraiment, seulement lorsque tu es agacé).
En fait, tu as envie de passer du temps avec Jinhwan, avec n'importe qui, mais tu as peur de te retrouver face à lui sans n'avoir rien à dire, tu as peur de paniquer si ça arrive. Alors tu exagères. Tu prépares des sujets de conversations à l'avance, tu penses à toutes les tournures que celles-ci pourraient prendre et tu n'arrives plus à penser à rien d'autre. Ton cœur bat la chamade et toi, tu te trouve con. A quoi bon flipper comme ça, tu sais très bien que la plupart des gens ne se torturent pas autant, tu n'arrives simplement pas à t'en empêcher.

Tu te repasses en boucles le pitch du dernier film que tu as vu dans la tête pour le lui raconter au cas ou tu sois à cours d'idée de discussion, quand tu te retrouves devant la porte de sa chambre, et, trop perdu dans tes pensées, tu ne penses pas à frapper.

« Eh, Jinhwan, tu veux savoir un- »
On t'as toujours dit que la politesse était importante, tu n'as jamais écouté. Aujourd'hui, tu en fais les frais.
Devant toi se tient un garçon travesti, le visage bien plus féminin que d'habitude, mais tu reconnais parfaitement ton ami.
Tu es surpris. Gêné. Loin d'être dégoûté, mais tu sais que tu ne devrais pas assister à cette scène, que tu arrives sûrement au mauvais moment.
Si tout se passe très vite, tu as l'impression de réfléchir pendant des heures, tu te demandes si tu ne ferais pas mieux de repartir sans rien dire pour le laisser tranquille mais décide de faire ta route jusqu'à son lit pour t'y affaler et prendre son oreiller contre ton torse : tu n'as pas finis ton histoire, pas question que tu t'en ailles.

« J'ai trouvé un truc de fou ! Tu sais comme les dirlos de cette facs ont pas arrêtés de changer et comme quoi y a eu un incident et après ils ont du réorganiser les frats ! J'suis sûr que c'est juste une putain d'expérience, ils ont pris pleins de jeunes et ils ont tout réorganiser après mais c'était fait exprès, ils nous ont classés par caractères, ou capacités ou... Je sais pas encore, j'ai pas eu le temps de faire mes recherches. » Tu fronces les sourcils, ta théorie ne tient pas encore très bien debout. « En tous cas, si ça se trouve, vu qu'on est pas dans la même frat, on jour on va devoir se combattre... » Et tu fais la moue, tes yeux rivés sur l'oreiller. Voilà que tu ne sais plus quoi dire, comme tu le craignais. Et si tu ne fais pas vraiment attention à l'accoutrement de ton ami, le silence qui s'installe peut facilement instaurer la gêne...

Réveiller celle qui s'endort, révéler ceux qui sont forts. On s'en sort, on censure, on s'rassure. Paraît qu'on s'en sort, on m'assure...  

Pando