un, deux trois. tu comptes les ouvrages que tu as reçu, les tries par rayon puis par genre et une fois que tes piles atteignent dix livres, tu en commences une autre. c’est ton rythme journalier, celui d’un travail que tu effectues soit le matin, soit le soir, selon tes cours, tes disponibilités. cette librairie, tu l’ouvres quand tu as du temps libre et parfois, il semble que tu n’ouvres jamais. lorsque ainsi tu te perds entre les rayonnages, il arrive qu’on t’oublie. ce n’est pas très sûr on te dit, on peut te voler. et ils ont bien raison, tu le sais. sauf que c’est un peu compliqué pour toi, de tout gérer. alors quand quelqu’un entre, sans forcément te remarquer et s’empresse dans la boutique, tu ne t’étonnes pas.

un mince sourire se dessine presque sur tes lèvres, sourire que tu réprimes. tu ne devrais pas - ce n’est pas très gentil, pas très digne de toi. tu le vois s’agiter et tout aussi calmement qu'à ton habitude, tu ranges un par un chacun des livres que tu as dans la main. tu ranges religion explained par pascal boyer parmis les autres oeuvres de son genre et passe au suivant, gender identity, sexuality and autism et tu changes de place pour le ranger à la sienne. là, tu remarques des trous, par ci par là, des oeuvres manquantes, des oeuvres que tu sais ne pas avoir touchées. alors tu te promène, livre à la main, à la recherche de celles-ci.

ironiquement, tu les trouves sur la table de cet homme que tu as vu avant et tu ne peux t’empêcher de trouver ça curieux. de voir cette personne, assise sur cette table, à tourner les pages avec acharnement, prenant des notes avec autant d’ardeur. pour toi, cette scène à quelque chose de beau. ce n’est pas ton domaine pourtant, la photo, le cinéma, ce qui pourrait s’apparenter à tout ça mais pourtant, tu ressens sa dévotion et cette dévotion t’émeut. tu t’approches de lui et peut-être qu’il ne t’as pas entendu alors tu poses ta main sur son épaule. tu attends que son regard se tourne vers toi - question de politesse et tu ouvres la bouche.

« excusez moi » dis tu, « je ne voudrais pas vous déranger » et réellement, tu ne le veux pas, « mais je m'apprêtais à mettre ce livre en rayon et je ne peux m’empêcher de me dire qu’il pourrait vous intéresser » tu as un peu peur d’être trop poli, ou alors pas assez ? alors tes mots sont hésitant, ton rythme, un peu saccadé. « au vu de vos lectures… » et réellement, tu ne souhaites pas être impertinent, alors tu te contentes de tendre le livre, reculant un peu au passage, réellement, pas grand chose. « je ne l’ai pas lu, mais à croire la quatrième de couverture, c’est une collection de récits à propos de, vous savez... » tu te mords la lèvre, pas réellement par inquiétude, mais plus par incertitude. « la communauté LGBT ? » tu respires et tu souris, peut-être sera tu plus avenant comme ça. « je l’ai choisi moi même vous savez ! je suis certain qu’il aidera beaucoup de monde ! » tu marmonnes un petit « moi le premier » mais tu n’es pas sur qu’il ai réellement pu l’entendre. si ?

En vérité Guo avait du mal à se projeter, à réaliser tout ce que cela impliquait d’être en couple avec un Ace. Leur différence d’âge était déjà un frein, leur sexualité aussi … Alors de devoir faire face à une nouvelle carte en main de cette portée n’aidait pas vraiment … Pourtant les sentiments qui s’étaient installés entre eux leur faisait croire qu’ils pourraient tout surmonter. Tout. Mais Guo ne réalisait pas encore que ce n’était pas juste du sexe qu’il allait devoir abandonner. C’était tout ce que représentait le sexe dans un couple pour lui … toute cette intimité, cette complicité qu’il éprouvait dans le sexe … tout ça il ne pourra pas l’avoir avec Yubin, il avait du mal à faire le deuil complet de tout ça et cherchait à se rassurer dans les livres … N’était-ce pas la égoïste ? Il n’arrivait même plus à savoir ce qui était bien, ce qui était intolérable ou jugeant … Il ne voulait pas faire de peine à son petit ami, mais il était de toute évidence encore trop égocentré sur cette suprématie hétéro et homo. Il préférait alors se plonger dans ces bouquins plutôt que de faire des faux pas … Leur relation étaient, au vu de leur situation, voué à l’échec, mais ils avaient cette folie – sûrement amoureuse – de croire que ça irait … Surpris de l’intrusion du jeune homme Guo lève les yeux vers lui et fixe le livre avant de s’en saisir. Il lit rapidement le quatrième de couverture et lui tend « Que veux dire ce mot ? » demande-t-il. Il avait encore du mal à tout comprendre en coréen et les mots trop compliqués lui échappaient. Il était abrupt, soudain, ne le saluant pas. Guo était tellement concentré et perdu entre ses lignes qu’il en oubliait le monde extérieur. Ce n’est que lorsqu’il croisa le regard de Min Chan qu’il réalisa. Il laisse doucement ses bras retomber et soupire «  Désolé ... » il semblait fatigué et agacé. Il ferme les yeux en s’affalant sur sa chaise. « Merci de votre aide … » ajoute-t-il en rouvrant les yeux les levant vers le jeune homme avec un sourire en coin. « Ce n’est pas un sujet commun hein … »