« Oui, je comprends, la marchandise sera livrée en Irlande dans les temps. Oui, oui, elle n'a pas été touchée et personne ne soupçonne rien. Maintenant, je dois raccrocher, je n'aimerais pas que ma famille soit mêlée à cela. »

L'homme raccrocha alors précipitamment. Il lui avait semblé entendre des bruits derrière lui, comme si quelqu'un était entré dans son bureau sur la pointe des pieds. Il ferma les yeux en soupirant avant de se retourner lentement sur son fauteuil. Devant lui se tenait sa fille, une adolescente aux traits fins et angéliques, à la longue chevelure brune ramenée en queue-de-cheval et vêtue d'une tenue de sport de sport. Artémis. Sa fille de seize ans se trouvait là, elle était revenue de son cours de tennis. Depuis quand ? Il n'en savait rien et l'angoisse montait en lui, il savait qu'elle était bien trop intelligente pour ne pas avoir compris que quelque chose d'anormal se passait, mais il ne pouvait rien lui dire. La jeune fille le fixait de ses deux yeux sombres dans lesquels on se perdait si aisément. Il pouvait y lire de la curiosité, de l'inquiétude, de l'incompréhension... Une multitude d'émotions plutôt négatives passaient par ce regard habituellement habité par la joie. Pour lui, c'était plus qu'évident. Elle avait parfaitement compris que ce coup de fil n'avait rien à voir avec son travail "normal", que la voix grave et effrayante à l'autre bout du combiné, ce n'était pas son véritable patron d'habitude si gentil. Il savait aussi que cette tête de mule ne lâcherait jamais l'affaire avant d'avoir le fin mot de l'histoire, bien trop curieuse pour cela.

« Approche Artemis, on doit discuter. Avant tout, j'aimerais savoir ce que tu as entendu de la conversation... »

Il ne savait pas vraiment comment aborder le sujet avec elle. Jamais il n'avait voulu que sa femme et sa fille soient mêlées à toute cette histoire. Pourtant, il venait de commettre l'irréparable. Tout ça pour quoi ? Une porte qu'il avait oublié de fermer à clé, mais le mal était fait. Impossible maintenant de revenir en arrière, la magie n'existait pas et il allait devoir lui en dire assez et en même temps le moins possible pour qu'elle reste loin de ses activités illégales. La vie est parfois bien injuste.



Avait-elle le choix de suivre cet homme l'air peu avenant qui se tenait devant sa porte ? Bien évidemment que non. Ils avaient maintenu son père en vie aussi longtemps que celui-ci avait eu la force de tenir. Elle avait compris d'ailleurs, que s'il avait tenu un an avec cette maladie de merde, c'était uniquement pour la protéger de tout ça. Malheureusement, il n'avait fait que reculer l'échéance. Maintenant qu'il était parti, elle se retrouvait seule, à la merci de ce gang contre lequel elle ne pouvait absolument rien faire. Si cette histoire ne la concernait qu'elle, cela ne lui aurait pas posé problème de refuser... Mais voilà, la vie de sa mère et l'honneur de sa famille étaient en jeu et sa mère était tout ce qui lui restait alors pas question de la mettre en danger. Une envie de rire lui venait, un rire de dégoût, de colère, d'épuisement. Il était amusant de voir à quel point ses sentiments étaient contradictoires. D'un côté, la perte de son père, qu'elle aimait tant, avait laissé un gros vide dans son cœur et de l'autre, elle lui en voulait terriblement. Comment avait-il pu s'engager dans ces magouilles en sachant qu'elle et sa mère risquaient un jour ou l'autre d'être concernées par tout ça ? Il ne lui avait jamais dit pourquoi, la laissant donc dans l'ignorance et les regrets.

« Bien, bien, bien. Ravi de te voir Artémis, je suis vraiment navré pour ton père, mais je ne peux pas non plus laisser les choses telles qu'elles sont. Il a longtemps travaillé pour nous et en plus de perdre une partie du commerce Irlandais, nous avons dû fournir beaucoup d'argent pour ses soins... Je pense que tu comprends que nous allons avoir besoin de dédommagements. »

Dans la pénombre, une silhouette féline s'avançait vers un but bien précis. Le chasseur avait repéré sa proie. Cet homme répugnant avait profité d'un instant de fausse inattention du grand boss pour voler de la marchandise. Il allait devoir le payer. Rendre ce qu'il avait "emprunté" ne servirait à rien maintenant qu'il avait trahi la confiance du gang. Voilà pourquoi on l'avait envoyé elle. Comme une veuve noire elle attirait ses proies dans ses filets... Pour mieux les envoyer dans l'au-delà après. Elle était souvent le dernier visage qu'ils voyaient, elle les apaisait, les laissant mourir silencieusement au creux de ses bras chaleureux et réconfortants en leur murmurant de ne pas s'en faire. Une tueuse, voilà ce qu'Artémis était devenue. Ils avaient sans doute senti son potentiel et remarqué son charme pour l'envoyer faire de telles tâches. Car ce n'était pas rien. Tuer quelqu'un ne vous laissant jamais sans traces. Petit à petit, son cœur devenait plus sombre, lors de certaines crises, elle cassait les miroirs reflétant l'horrible créature qu'elle était devenue. Malgré son travail caché, elle tentait de garder une vie normale en parallèle ce qui devenait un peu plus compliqué chaque jour, mais elle y tenait. Avoir ce semblant de normalité dans cette existence monstrueuse réussissait aussi surprenant que cela soit à l'apaiser et lui faire presque oublier l'espace de quelques instants. Elle pouvait redevenir une jeune femme normale, une étudiante, une serveuse, une fashionista... Peu importe ce dont il s'agissait elle tenait de profiter autant qu'elle le pouvait, car elle savait que viendrait un jour où ses crimes la rattraperaient.