1996. So Hyun vient au monde, cinq ans après son grand-frère. Très collante envers son frère et loin d’être une enfant sage, elle met du temps à se faire apprécier totalement par ce dernier mais pour elle, il a toujours été le grand-frère qu’elle regardait avec des yeux brillants d’admiration. Enfin, en dehors des moments où ils se disputaient, comme tous les frères et sœurs…
5 Septembre 2004. La jeune fille de huit ans n’a rien vu venir. Elle revenait simplement de l’école primaire, comme tous les soirs, mais elle s’est sentie attrapée par l’arrière et mise de force dans une voiture. Les yeux soudainement bandés et sa bouche étouffée par la main d’un homme, elle n’a pas compris immédiatement ce qui se passait. Elle a été transportée dans une maison et enfermée dans une des pièces de la maison. Au moment où elle l’a vu la pièce, elle croyait encore à une mauvaise blague ou à un cauchemar – elle était loin de s’imaginer qu’elle passerait un an, nuit et jour, dans cette pièce, avec comme seule nourriture du pain, et un litre d’eau par semaine pour boire. On a libéré sa bouche au bout d’une semaine mais la terreur était si présente chez la jeune fille qu’elle n’a pas parlé. L’enlèvement avait été fait à plusieurs mais un seul homme demeurait dans la maison et lui rendait visite au moins une fois par semaine. C’était les moments les plus angoissants pour So Hyun. Quand il rentrait, il sentait l’alcool, il avait l’air prêt à frapper la première chose qui bougeait. Et elle était terrorisée, tremblante, retenant ses larmes pour ne pas faire de bruit. T’es comme moi, ta famille t’a laissé tomber, personne veut te récupérer, lui répétait-il régulièrement. Mais So Hyun ne voulait pas y croire, elle ne pouvait pas y croire. Parfois il lui parlait, il attendait une réponse. Alors elle faisait de son mieux pour répondre ce qu’il voulait entendre d’un ton neutre, comme si elle n’avait pas peur. D’autres fois, il se confiait même à elle, sur ses difficultés, sur ses raisons. Aussi fou que cela puisse paraître, elle était presque habituée à sa situation. Et pourtant, à chaque fois qu’il rentrait dans la pièce, elle tremblait. Le goût du pain coréen lui donnait envie de vomir. Parfois, des gens rentraient dans la maison, sans doute les complices. Ils s’embrouillaient, sur ce qu’ils devaient faire de la jeune fille, sur pleins de choses qu’elle ne comprenait pas. Elle entendait les voix monter, les poings frapper dans les pièces à côté et elle tremblait dans la crainte que ce soit elle qui soit la prochaine à être touchée. Mais ce jour n’est jamais venu ; elle n’a été victime « que » de violence psychique.
27 juin 2005. Un jour, c’est arrivé. C’était sans doute la goutte d’alcool de trop, celle qui avait fait perdre toute conscience de la situation au ravisseur. Il est rentré dans la salle, il lui dit des choses bizarres, sur le sens de la vie. Puis il est reparti sans fermer la porte derrière lui. So Hyun a saisi l’occasion, elle a fui, elle a couru pendant des heures dans la rue. Sa maigreur et ses habits ont marqué plusieurs passants qui fixaient la jeune fille, maintenant âgée de neuf ans, courir dans les rues. Elle se rappelle avoir couru longtemps, très longtemps, jusqu’à atterrir au premier poste de police. Son calvaire était terminé. Enfin. Elle a appris plus tard qu’elle avait fait preuve d’une grande force mentale parce que la majorité des victimes d’enlèvement aussi long développait le syndrome de Stockholm et n’essayait plus de fuir. Son ravisseur a été retrouvé mort le lendemain de sa fuite, et ses complices ont été arrêté. Mais c’est une So Hyun à moitié détruite qui est rentrée chez elle – elle avait peur de tout le monde, même de ses propres parents. Elle ne parlait plus. Elle était renfermée sur elle-même, tremblante. Elle ne mangeait presque rien. Mais son frère était là pour elle, son frère a réussi à rentrer dans ce monde qu’elle s’était créée pour se protéger. Son frère et la musique dans laquelle elle s’enfermait quand son frère devait aller en cours. Rapidement, elle a demandé à prendre des cours de piano. Premier pas vers la sociabilisation ; elle a réussi à parler et à échanger, lentement mais sûrement, avec son professeur.
Mars 2006. Après deux ans de déscolarisation, So Hyun a eu ce déclic qui l’a entraîné à affronter ses peurs. Elle est allée à l’école. Au début elle avait peur des autres, des professeurs. Mais elle a réussi à créer des liens, à sociabiliser. Elle est devenue la protégée de la majorité de ses camarades et de ses professeurs. L’école avait interdit formellement toute question sur son passé et sa déscolarisation. Et assez rapidement, grâce à l’aide de son frère et des amis qu’elle s’était fait, So Hyun a réussi à se reconstruire.

Encore maintenant, le traumatisme est présent et les conséquences de ce dernier se font encore ressentir, bien qu’elle fasse de son mieux pour les supprimer de sa vie.