Une main passe dans tes cheveux alors que tu regardes ta montre. Il te reste encore deux heures à rester debout devant cette porte, deux longues heures à empêcher des crétins trop ivres de rentrer dans cette boite dans tu es le videur. Deux longues heures où tu vas pouvoir penser, laisser ton esprit vagabonder.

Il te ramène à ta naissance, quand tu as poussé ton premier cri sur cette terre. Ce moment précis où tu es devenu le monde pour ta mère. Pas pour ton père, mais ça, tu ne le savais pas encore. Ton esprit, il te ramène à ton enfance tranquille. Tu n'avais jamais manqué de rien, mais tu n'étais certainement pas riche. Enfant unique, tu faisais le bonheur de ta mère, particulièrement. Tu étais un enfant souriant, joyeux. Tu étais bon à l'école, tu l'aidais. Tu n'avais besoin de rien d'autre que l'amour de tes parents pour te sentir heureux.

À quel moment exactement est-ce que ça à mal tourné ? Tu te le demandes encore aujourd'hui... Pourquoi tu ne t'es pas aperçu que tout allait de mal en pire avant que ça ne soit trop tard ? Tu n'as pas la réponse à cette question, tu t'y fais. Mais ça n'as pas empêcher ta famille d'éclater. Ton cocon familial n'était plus. D'abord ton père a perdu son travail. Y'avait plus que ta mère pour ramener de l'argent à la maison. Tu ne la voyais plus, ou presque. Quand tu rentrais du collège, y'avait que ton géniteur qui buvait comme un trou, sans chercher à s'en sortir. Tu le voyais s'enfoncer et ça te minait.

Mais tu te rappelles de ce jour. De ce jour où ton sourire a disparut pour ceux qui ne te connaissait pas vraiment. Ce jour-là, tu rentrais des cours, un peu en retard parce que tu avais aidé un vielle dame à porter ses courses. Tu avais ouvert la porte sans faire trop de bruits pour ne pas réveiller ton père qui devait certainement décuver sur le canapé du salon. Mais au lieu du silence rassurant, tu avais été accueillie par un cri déchirant. Celui de ta mère, alors que ton enfoiré de géniteur la giflait, la frappait dans la poitrine. L'instant n'avait pas dut durer plus de cinq minutes, pourtant pour toi, il avait duré une éternité. Tu voyais cette femme que tu admirais plus que tout, cette femme que tu aimais plus que tout se faire battre par l'homme qui étais sensé te donner sécurité et amour. Tu perdis toutes tes illusions sur ton père ce jour-là, alors que tu t'enfuyais en silence dans ta chambre, sans te faire voir.

Le lendemain, ton sourire ne revint pas. Tu profita juste du sommeil de ton géniteur pour soigner un minimum ta mère, en silence. Tu étais ensuite partie au collège, sans décrocher un mot. Et c'est comme ça que tu évolua par la suite : en silence. Quand on t'intégra sans trop rien dire à un groupe de garçon, tu ne dis rien, suivant juste le mouvement. Quand ils se mettaient en bande pour racketter, harceler ou taper d'autres camarades, tu regardais, sans décrocher un mot, observateur silencieux. Ce qui faisait qu'on te craignais sûrement plus qu'eux, ne sachant pas ce de quoi tu étais capable. Toujours silencieux, tu soignais ta mère, qui souffrait chaque jours et qui apprenais à passer le moins de temps possible dans son domicile. Sans laisser entendre le son de ta voix, tu défiais ton géniteur de lever la main sur elle, à mesure que tu grandissais, que tu t'étoffais pour la protéger de ses coups. Lui, ça l'enrageait de ne pas t'entendre répondre, alors tu t'enfonçait dans ton mutisme.

Tu avais passé le collège comme ça, et une bonne partie du lycée. Mais encore une fois, ton monde bascula. Ta mère était venue te récupérer à la sortie du lycée, un sourire rayonnant sur son visage. Vous partiez de la demeure familiale, pour Séoul. Elle avait eu une augmentation et une mutation, de quoi vous offrir une meilleure vie. Un nouveau départ. Alors tu l'avais suivis, conscient que tu repartais de zéro, que tu n'avais plus à te taire. Tu ne retournas qu'une fois chez ton géniteur, pour récupérez les affaires que vous aviez laissé. Il essaya de te passer à tabac, avec une de ses nombreuses bouteilles vides, sans succès, ou presque. T'ayant eu par surprise, tu avais maintenant une profonde estafilade sur le pectoral droit, descendant jusqu'à ta hanche. Rien de grave, si ce n'est la profondeur. Cette fois-ci, pour la première et la dernière fois, tu réagis, élevant la voix contre celui qui aurait dut être ton modèle, mais tu ne le frappa pas. Tu n'étais pas comme lui et les mots, avaient bien plus de pouvoir sur l'être pathétique qu'il était. Tu partis sans un au-revoir, tirant un trait sur une page de ta vie, sur une période de silence.

Tu repartis de zéro, te refis de nouveaux amis dans ce nouveau lycée. Tu ne restais plus apathique, luttant même activement contre ceux qui, comme toi avant, faisait du mal aux autres. Tu étais resté trop longtemps passif et maintenant, tu ne tenais plus en place. Tu allais à mille à l'heure, ayant toujours besoin de bouger, de te dépenser, de t'investir dans des projets. Tu faisais du sport, presque à outrance pour dépenser toute cette énergie, sculptant ton corps. Tu trouvais aussi ce qui te passionnais, et ce dont tu rêvais. Tu voulais ouvrir un centre de coaching sportif dans le futur, pour aider les personnes avec leurs corps. Que ce soit en rééducation, en musculation... Et pour ça, tu visais le meilleur : faire des études à la Yonsei. Toi qui étais un élève moyen, tu avais tout fait pour t'améliorer, cherchant en parallèle comment t'en sortir seul là-bas, si tu étais prit.

Finalement, tu fus prit dans cette université et tu avançais vers ton rêve. Ta mère te soutenait autant qu'elle le pouvait, te proposant sans cesse son aide que tu refusais, par désir de t'en sortir seul. Tu avais trouvé un boulot qui allait avec ta carrure, une fraternité qui était comme une famille, un peu bruyante mais sympathique et tu avançais sur le chemin de ton rêve, te documentant souvent sur les avancées dans ton domaine, cherchant aussi comment améliorer ton futur lieu de travail. Tout allait pour le mieux.

Jusqu'à ce que le passé frappe de nouveau à ta porte et que tu y repenses, comme ce soir-là, à ce que tu avais fait plus jeune. À ce dont tu avais honte. Mais tu ne peux pas penser plus à cette fille que tu n'as pas aidé, déjà un client arrive et veut entrer dans la boite. Tu dois faire ton job, tu auras tout le temps de penser à elle plus tard, et à tenter de réparer ce que tu as casser. Pour le moment, tu te dois de faire le gros dur.