Non pas que So Hyun prenait vraiment les dates d’anniversaire à coeur. Elle pouvait parfaitement comprendre que son petit-ami ne puisse pas venir, pour des raisons personnelles. Ils pouvaient tout à fait le fêter ensemble un autre jour, voire au pire ne pas le fêter du tout. Il n’y avait pas besoin d’un événement particulier pour passer une journée avec son petit-ami, après tout. Ce qui l’avait tant blessé ce jour-là, c’est qu’il l’avait prévenue au dernier moment. Il ne s’était pas justifié, ni excusé. Un texto simple, froid : « Joyeux anniversaire. Finalement je pourrai pas passer la journée avec toi. A+. » Jamais Seo Eon n’avait été aussi froid avec elle depuis qu’ils se connaissaient, encore moins depuis qu’ils sortaient ensemble. So Hyun avait bien conscience qu’il y avait quelque chose qu’il cachait depuis toujours, quelque chose qui le rendait aussi maladroit qu’elle quand il s’agissait de sortir sérieusement avec quelqu’un. Cela ne justifiait pas pour autant un message aussi froid. Et surtout, même si rien n’avait été dit clairement, So Hyun craignait que cela n’annonce quelque chose de plus triste encore.

Clairement, rien avant ce jour-là ne pouvait annoncer une rupture. Elle n’était pas parfaite mais elle n’avait pas fait d’erreur qui pourrait avoir une si grosse conséquence. Seo Eon n’avait pas non plus été particulièrement froid avant, bien au contraire. C’était juste arrivé du jour au lendemain, un message froid, et une semaine plus tard, sans aucun contact entre les deux, une invitation toute aussi distante à se rencontrer. Elle n’était jamais sortie avec personne mais elle était dotée du même pré-sentiment que toutes les autres filles. Elle était anxieuse à l’idée de ce qu’il pouvait dire, de comment il pouvait agir. Jamais elle ne s’était préparée à autant de scénarios tristes, jamais elle ne s’était autant imaginé de scénarios qui justifierait une si grande distance sans pourtant que cela annonce une rupture. Mais quoi qu’il en soit, So Hyun voulait y aller. Le voir de ses propres yeux. Comprendre. Savoir si c’était vraiment une rupture injustifiée ou s’il avait été rattrapé soudainement par ces fameux démons dont elle ne connaissait pas l’origine et dont il ne parlait jamais. Alors elle y était. Elle l’attendait.

Peut-être que les choses auraient pu être différentes s’il n’était pas descendu à Busan pour le nouvel an, s’il avait résisté à la voix tremblante de sa tante, à ses sanglots silencieux, à sa tristesse d’avoir si peu de nouvelle de sa part comme si Séoul avait fait d’eux de parfaits étrangers. Le jeune homme aimait cette idée et la faisait miroiter dès qu’il regarder les photos qu’il avait pris avec Sohyun pour noël, mais sa part la plus réaliste lui disait qu’il n’avait pas à se bercer d’illusion, que les choses n’auraient pas été différente que la faute originelle résidait en sa faiblesse de ce fameux jour d’anniversaire. Dans l’obscurité de sa chambre, de son appartement tout entier dans la capitale du pays du matin calme, seule la lumière bleutée de son téléphone illuminait son visage. Il riait et il pleurait, ou alors, il était silencieux. Chaque photo, il les regardait fixement, comme pour les imprimer dans sa rétine, mais au final il les supprimait, une à une, en se maudissant.

Une semaine, pas un message mais elle ne quittait pas ses pensées, de jour comme de nuit. Il vivait sans être présent, il avait l’esprit ailleurs dès qu’il ne faisait plus rien. Et puis un jour, il avait repris son courage à deux mains, ou du moins, dans un élan de lâcheté, il lui avait donné rendez-vous. La fraicheur de la nuit ne suffisait pas à le ressaisir, il avait plongé, corps et âme dans toute sa noirceur. Enfonçant ses poings lacérés, seules traces d’une baston, dans son manteau, la capuche de son sweat rabattu sur sa tête, il arrive au point de rendez-vous du moins, en apercevant la silhouette de Sohyun au loin il s’arrêta. Il n’avait pas envie de venir. S’il pivota sur ses talons, ce fut au final pour revenir avec de canettes de chocolats chaud pris au distributeur non loin de l’entrée du parc. « Tiens, il fait froid » murmura-t-il, une fois derrière-elle, collant la canette à sa joue.

Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait ni pourquoi Seo Eon était soudainement si froid, ni pourquoi il voulait brutalement rompre. Il n’était même pas encore présent qu’elle était déjà persuadée que c’était ainsi que finirait cette rencontre – et le visage de Seo Eon qu’elle aperçut quand il fut arrivé n’étouffa pas ses craintes, bien au contraire. Elle eut un sourire. Ils ne se saluaient même pas. « Merci. » répondit-elle d’une voix qu’elle voulait neutre, mais qui se brisait. Elle prit la canette et l’ouvrit silencieusement avant de reporter son regard sur lui. Elle l’analysait et en dehors de cette lourdeur de l’ambiance qui n’annonçait rien de bon, So Hyun voyait bien que quelque chose n’allait pas. De toute évidence, s’ils se séparaient ce soir, ce n’était pas parce que Seo Eon ne l’aimait plus. Il ne paraîtrait pas aussi dépité derrière ce masque froid autrement. Elle prit une gorgée de chocolat chaud, puis décida de briser le silence qu’elle ne supportait pas. « Tu étais occupé ces derniers jours ? » demanda t-elle sans agression. Ce n’était pas un reproche, plus une tentative de soutirer des informations, de comprendre qu’est-ce qui aurait pu l’amener à devenir aussi détaché en si peu de temps. Elle essayait de garder un petit sourire sur le visage dans un espoir d’alléger l’ambiance. Même si ce soir devenait leur dernière rencontre, elle ne voulait pas laisser l’image d’une femme en larmes, hystérique, en colère et chamboulée.

Partir, le mot se répétait dans son esprit tel un ordre qu’une conscience haletante lui intimait pour ne pas à se détruire davantage, à y entraîner dans son sillage, une âme innocente. Il lui suffisait d’un pas pour quitter le parc. Fuir, chacun de ses pas qui le rapprochait de cette silhouette qu’il apercevait sans aucune difficulté l’accablait, le blâmer pour cette intention qui l’habitait. Il se rapprochait d’elle, tout comme il avait décidé de s’en éloigner. Un paradoxe, une lâcheté camouflée et étouffée – si c’est la seule chose qu’il réussissait à cacher, son expression fermée ne pouvait dissimuler l’issue de cette soirée, de cette rencontre.

Le son de sa voix suffit à lui couper le souffle, sa clarté l’avait manqué. Jamais, elle ne pourra savoir à quel point, ces derniers jours, l’envie de l’appeler juste pour l’entendre l’avait tourmenté – elle, ou son répondeur. « Hmm. Quelque peu » souffla-t-il, incapable de se remémorer comment il avait passé ces derniers jours si ce n’est mécaniquement, habité par une routine, sans qu’aucune conscience n’habite réellement ses actes. « Et toi ? », la question posée n’en était pas réellement une, il préférait l’écouter parler et en même temps, il redoutait chacun de ses mots, parfois juste et surtout, trop souvent tranchant.   « Allons sur les balancelles » murmura-t-il en pointant du menton les balançoires à quelques pas, suggestion accompagnée d’un faible sourire. Ils n’allaient pas rester planté là, au milieu de ce parc, et puis, il sentait le courage lui filer. S’il n’y prit place, ce n’est qu’en sens inverse. Si leur chemin devait se séparer aujourd’hui, il espérait qu’en reculant tandis qu’elle avançait, qu’il pourrait l’entrevoir.  

Jamais une rencontre avec Seo Eon n’avait été accompagné d’une ambiance aussi pesante. L’atmosphère était lourde, autant elle que lui semblaient réfléchir avant de dire le moindre mot ou de produire la moindre action, comme si le moindre faux pas pouvait briser quelque chose, mais nul ne savait quoi clairement. « Oh, moi.. » Son sourire ne disparaissait pas de son visage mais il n’avait rien de sincère non plus, il était plutôt comme une carapace. Elle avait elle-même oublié qu’elle souriait. Elle ne voulait pas admettre qu’elle avait passé ses derniers jours à attendre son message. En temps normal, ce serait sans embarras qu’elle l’aurait dit – mais là, elle avait la sensation qu’être trop expressive sur ce qu’elle ressentait ne ferait qu’empirer le malaise qui régnait entre eux. « J’étais occupée à sortir avec des amies. » Ce n’était ni vrai, ni faux. Elle ne s’était certes pas enfermée chez elle à se morfondre, mais si il l’avait appelée, elle aurait accouru vers lui en quelques minutes. Sauf qu’il n’avait pas appelé. Elle hocha la tête, ne comprenant pas clairement la motivation pour aller sur les balançoires, mais elle n’en dit rien. Elle se leva pour y aller, accompagnée de Seo Eon, et le silence reprit place. Elle détestait ce silence mais elle ne savait pas quoi dire. C’était un problème qui ne s’était jamais posé jusqu’alors, parce qu’elle avait toujours su être spontanée avec Seo Eon, qui l’était lui aussi, alors ils parlaient toujours de tout et de rien, sans se poser de questions. Puis, ne supportant plus cette atmosphère trop lourde, So Hyun décida de briser la glace, se tournant soudainement vers Seo Eon, son sourire retrouvant une étincelle. « En tout cas, tu m’as manqué. » dit-elle simplement. Cette fois-ci, ça sortait du coeur. Si ce n’était pas l’ambiance adéquate pour être sincère, tant pis, mais elle ne pouvait plus supporter tout ça.