Ce qui fait une femme [Lei x Leap]
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Ce qui fait une femme [Lei x Leap] | Ven 8 Mar - 0:29 Citer EditerSupprimer
Ce qui fait une femme
DOO LEAP & GUÕ LEI
La nuit. La voûte céleste, les étoiles. Une nuée de gens sapés chiquement qui se rue à travers la porte vitrée d’un petit établissement faussement vintage planté au cœur de Séoul. Et elle. La dame qui reste un peu à l’écart, qui continue de fixer le ciel. Elle titube sur ses talons, bras croisés, mal à l’aise dans sa tenue. Le miroir lui rendait une image si séduisante quand elle était partie du petit appartement qu’elle partageait avec son seul ami. Elle pouvait sourire, balancer sa courte chevelure d’un côté à l’autre de sa tête, elle se sentait bien dans son corps, elle sentait qu’elle pouvait décrocher la lune cette nuit là. La voici en train de l’observer à travers le nuage de pollution de la grande ville. L’astre diaphane lui paraît bien inatteignable à présent. Sa confiance à disparu, elle se sent comme un clown dans sa robe à volants, encore heureux soit elle de couleur noire. Que voulait-elle montrer à tout ce beau monde ? Ce n’était pas Doo Leap cette trentenaire là, bien coiffé, bien maquillé, bijoux argentés. Qu’avait-elle à prouver ? Qu’elle pouvait être comme eux ? Elle ne le serait jamais, elle le savait depuis bien longtemps. Mais tout de même, avait-elle voulu ne pas trop se faire remarquer en cet évènement si particulier. Nu, voilà comment elle se sentait. Elle remonta ses bottes fourreaux qui n’arrêtaient pas de glisser le long de sa jambe. Il est encore temps de tourner les talons et de s’enfuir non ? Elle enverrait un petit sms au responsable de cette exposition : « L’aventure fut sympa mais je me trouve à regret de ne pas pouvoir participer à sa finalisation en raison d’un gros mal de crâne ». Gros mensonge surtout. De plus, son ami photographe en serait sûrement blessé, il voudrait absolument qu’elle voit le résultat de son travail dont elle était l’une des muses. Elle soupire, sort une clope, hésite à l’allumer, se ravise. L’odeur du tabac froid dans un endroit si distingué n’allait pas faire bonne impression. Tant pis, elle allait entrer avec ses angoisses et son envie de vomir tout ce qu’elle n’avait pas pu manger dans la journée à cause de l’excitation que lui avait donné cette soirée. Ses yeux se perdirent une dernière fois dans la hauteur des immeubles autour d’elle puis elle se décida à son tour à poser ses pieds dans la pièce légèrement surchauffé.
Un rectangle entièrement blanc qui se continuait sur une salle plus grande tout aussi immaculé. Des éclairages donnant une teinte ivoire à cet univers aseptisé, le rendant plus chaleureux, supportable. Des meubles en bois sur lesquels étaient disposés des verres, des coupes étincelantes où se battaient des bulles dorées, des mises en bouche à la pâte luisante. Un univers auquel elle était quelque peu habitué par son ancien grade mais où elle ne s’était jamais senti à sa place. Un monde de faux-semblants, de culture, de diplômes qui essayaient de faire valoir leur prestige par le chiffre d’affaires annuel de leur propriétaire. Des « lettrés », des « scientifiques », des « artistes ». Une population qui avait un regard différent sur le monde, plus élevé, peut-être plus sensible. Le sien était terre à terre, pieds et mains dans la vase ; son regard de braise mais aveugle ; son esprit logique et apathique. Les papiers glacis noirs ou colorés, joliment éclairés avec réflexion ne lui évoquait pas grand-chose de plus que ce qu’elle y voyait. Ce qu’elle avait aimé chez ce photographe qui lui avait fait la curieuse proposition d’être l’une des modèles pour sa future exposition, - c’est-à-dire celle à laquelle elle se trouve présentement – était la vision accessible qu’il donnait à tout un chacun. Il ne cherchait pas par trois mille procédés plus époustouflant à essayer de faire dire les idées qu’il avait. Non, il montrait. Ceci est ce que tu dois voir. Et ceci était elle. Enfin, en partie.
Le thème principal était le corps des femmes, aussi tous les clichés se trouvaient dépourvus de tête, de visage sur lequel fixer son regard quand le « reste » devenait trop insupportable. Un anonymat qui plaisait aux nombreuses muses qui étalaient sous ses projecteurs leur intimité, leurs faiblesses. C’était beau. Ces vergetures acquises par la grossesse, ces petites rondeurs qui s’accrochaient toujours trop disgracieusement aux hanches aux yeux de la femme qui les portait, ces grains de beauté étranges. De soi-disant défauts remis à leur place plus simple de caractéristique corporel, hors du carcan médiatique. Monsieur l’artiste cherchait ici à imposer une autre vision de la beauté. Elle s’arrêta sur une photographie particulière. Rien de naturel chez celle-là. Un corps musclé, trop musclé pour les standards de ces messieurs. Mais ce n’était pas ce qui attirait le plus l’œil. Des jambes, des hanches, un bas-ventre et partout des traînées blanches que rendait particulièrement bien le jeu des contrastes de gris de ce cliché. Petites balafres s’éparpillant diffusément autour du nombril, presque invisibles, presque effacés, pourtant bel et bien là et remarquable par leur nombre. Et puis le genou, un sillon, grand, translucide qui venait barrer de la cuisse jusqu’au mollet la peau que l’on devinait légèrement bronzé. Une tâche un peu plus grosse qui se trouvait au milieu, cassant l’harmonie nette de ces blessures infligés à l’aide d’un bistouri. Des cicatrices. Une histoire. Elle ne put s’empêcher de grimacer. Qui avait-il de beau là dedans ? Elles les trouvaient franchement hideuse. Les voir ne révélait aucune grâce intérieure, on ne devinait que la souffrance qu’elles avaient infligés. Son visage se décomposa. Le reste de la chic clique disparut pour ne laisser qu’elle et cette œuvre dans la bulle qui représentait son monde. Sa gorge se serra. La vision la dégoûtait, lui paraissait difficilement supportable. Elle se serait presque exprimé à voix haute : « Qu’est-ce qu’il y a de joli là dedans ? » mais elle se réprima. Son expression parlait à sa place et bientôt elle attira l’attention d’une jeune femme qui fit son entrée au bord de son champ de vision. Instinctivement, elle plante son regard sur l’inconnue qui venait perturber ses sens bien trop occupés à haïr son propre corps.
Un rectangle entièrement blanc qui se continuait sur une salle plus grande tout aussi immaculé. Des éclairages donnant une teinte ivoire à cet univers aseptisé, le rendant plus chaleureux, supportable. Des meubles en bois sur lesquels étaient disposés des verres, des coupes étincelantes où se battaient des bulles dorées, des mises en bouche à la pâte luisante. Un univers auquel elle était quelque peu habitué par son ancien grade mais où elle ne s’était jamais senti à sa place. Un monde de faux-semblants, de culture, de diplômes qui essayaient de faire valoir leur prestige par le chiffre d’affaires annuel de leur propriétaire. Des « lettrés », des « scientifiques », des « artistes ». Une population qui avait un regard différent sur le monde, plus élevé, peut-être plus sensible. Le sien était terre à terre, pieds et mains dans la vase ; son regard de braise mais aveugle ; son esprit logique et apathique. Les papiers glacis noirs ou colorés, joliment éclairés avec réflexion ne lui évoquait pas grand-chose de plus que ce qu’elle y voyait. Ce qu’elle avait aimé chez ce photographe qui lui avait fait la curieuse proposition d’être l’une des modèles pour sa future exposition, - c’est-à-dire celle à laquelle elle se trouve présentement – était la vision accessible qu’il donnait à tout un chacun. Il ne cherchait pas par trois mille procédés plus époustouflant à essayer de faire dire les idées qu’il avait. Non, il montrait. Ceci est ce que tu dois voir. Et ceci était elle. Enfin, en partie.
Le thème principal était le corps des femmes, aussi tous les clichés se trouvaient dépourvus de tête, de visage sur lequel fixer son regard quand le « reste » devenait trop insupportable. Un anonymat qui plaisait aux nombreuses muses qui étalaient sous ses projecteurs leur intimité, leurs faiblesses. C’était beau. Ces vergetures acquises par la grossesse, ces petites rondeurs qui s’accrochaient toujours trop disgracieusement aux hanches aux yeux de la femme qui les portait, ces grains de beauté étranges. De soi-disant défauts remis à leur place plus simple de caractéristique corporel, hors du carcan médiatique. Monsieur l’artiste cherchait ici à imposer une autre vision de la beauté. Elle s’arrêta sur une photographie particulière. Rien de naturel chez celle-là. Un corps musclé, trop musclé pour les standards de ces messieurs. Mais ce n’était pas ce qui attirait le plus l’œil. Des jambes, des hanches, un bas-ventre et partout des traînées blanches que rendait particulièrement bien le jeu des contrastes de gris de ce cliché. Petites balafres s’éparpillant diffusément autour du nombril, presque invisibles, presque effacés, pourtant bel et bien là et remarquable par leur nombre. Et puis le genou, un sillon, grand, translucide qui venait barrer de la cuisse jusqu’au mollet la peau que l’on devinait légèrement bronzé. Une tâche un peu plus grosse qui se trouvait au milieu, cassant l’harmonie nette de ces blessures infligés à l’aide d’un bistouri. Des cicatrices. Une histoire. Elle ne put s’empêcher de grimacer. Qui avait-il de beau là dedans ? Elles les trouvaient franchement hideuse. Les voir ne révélait aucune grâce intérieure, on ne devinait que la souffrance qu’elles avaient infligés. Son visage se décomposa. Le reste de la chic clique disparut pour ne laisser qu’elle et cette œuvre dans la bulle qui représentait son monde. Sa gorge se serra. La vision la dégoûtait, lui paraissait difficilement supportable. Elle se serait presque exprimé à voix haute : « Qu’est-ce qu’il y a de joli là dedans ? » mais elle se réprima. Son expression parlait à sa place et bientôt elle attira l’attention d’une jeune femme qui fit son entrée au bord de son champ de vision. Instinctivement, elle plante son regard sur l’inconnue qui venait perturber ses sens bien trop occupés à haïr son propre corps.
(c) DΛNDELION