ce dimanche 12 avril, au large des côtes japonaises, en plein milieu des eaux glacées de l’océan pacifique, un bâteau pêcheur a retrouvé un jeune adolescent, d’une quinzaine d’années inconscient sur une planche en bois. les pêcheurs ont tout de suite secouru le jeune garçon pensant qu’il était mort mais quelques heures après, l’enfant s’est réveillé dans les cales du bateau complètement apeuré. et quand ses sauveteurs lui ont demandés son nom, il était incapable d’en donner un. en premier temps, ils ont pensés que tout ça venait du choc mais après être arrivé sur les terres japonaises, les médecins ont révélés qu’il souffrait d’amnésie totale. des recherches ont été lancés aux alentours de là où il a été trouvé mais tout cela n’a rien donné, la police en a conclu qu’il a été victime d’un naufrage tuant, certainement, sa famille. n’ayant aucune famille qui semble le cherché, l’enfant sera placé dans un foyer en corée -puisqu’il semble être coréen- dans l’espoir qu’une famille veuille bien l’adopter.


« on arrive bientôt, mon garçon. » la voix du capitaine lui fit relever la tête. yujin l’observa un court instant, silencieux et baissa la tête à nouveau. le garçon n’avait nullement envie de répondre, ni même de faire la discussion, il avait trop peur pour ça. il était dans ce bateau depuis deux heures maintenant mais c’est comme s’il était là depuis une éternité. les minutes passaient doucement, trop doucement à ses yeux. tout ce qu’il voulait c’était posé pieds à terre et ne plus jamais remonter dans un bateau de sa vie. fuir la mer et ne plus en entendre parler. la capitaine à ses côtés voyait bien qu’il était appeuré, que le voyage était tout sauf agréable pour lui, on voyait bien qu’il voulait le rassurer. mais est-ce que les paroles du vieillard pouvait réconforter le jeune adolescent? non, mais yujin ne lui en voulait pas d’essayer. les vagues faisaient tanguer le navire et l’adolescent ne pouvait s’empêcher d’avoir de légers sursauts à chaque fois, peureux de vivre à nouveau un naufrage. la police lui avait dit qu’il avait été victime d’un naufrage, et ils leur faisaient confiance mais il ne voulait plus revivre ce qu’il avait vécu. même s’il ne se souvient de rien, il ne peut effacer la peur qu’il éprouve quand il est en mer. collé contre le mur, il tente de penser à autre chose, d’oublier un instant qu’il est terrifié. alors il s’imagine ceux qui vont le rencontrer à quai en corée. est-ce que c’est une famille nombreuse? ou sera-t-il l’enfant unique? il laisse son imagination dessiner des silhouettes, des visages. dans sa tête, il se crée une famille, sa nouvelle famille sans rien savoir d’eux. ça l’occupe, ça lui fait oublier ce voyage désagréable. le capitaine du bateau s’approche soudainement de lui, brisant sa rêverie. yujin a un léger mouvement de recule, surpris de le voir venir aussi près. doucement, il lui offre une couverture. sans un mot, l’adolescent l’attrape et l’enroule autour de lui avant de lui sourire timidement. yujin apprécie le geste, il n’a pas spécialement froid, s’il tremble c’est plus par peur qu’à cause des températures mais c’est une attention qui lui fait chaud au coeur. le vieil homme se remet ensuite à la barre replongeant son attention sur l’horizon où l'on peut apercevoir la côte. les yeux du garçon s’ouvrent grand, enfin il voit un bout de terre, enfin il voit la délivrance après ces longs jours en mer ou dans un commissariat. une certaine excitation s’affiche dans son regard, la perspective d’enfin quitter la mer le rassure. ce bout de terre qu’il ne connaît même plus se rapproche de plus en plus et un sourire naît sur son visage. c’est comme voir le bout du tunnel, bien sur il ne sait pas ce qui l’attend, il ne connaît rien de sa famille d’adoption pourtant, il se dit que tout sera meilleur que ce qu’il a pu vivre jusqu’ici.

« j’ai fais un rêve l’autre jour… un nouveau. » (commence-t-il.) « comme d’habitude, je me retrouvais au milieu de l’océan, seul, sans rien à l’horizon. l’eau était calme, c’était flippant. très souvent quand je rêve de ce genre de chose, je suis en plein milieu des vagues qui s’agitent mais là, non. » (il bouge ses épaules, tire sur son t-shirt. l’angoisse du rêve qui revient.) « rien n’était comme mon rêve récurrent. je serais incapable de vous dire combien de temps je reste immobile dans ces eaux froides mais assez longtemps pour que je le ressente. contrairement à d’habitude, je me sens pas pris au piège, je n’ai même pas peur. c’est un peu comme si je me trouvais dans mon élément et m’y sentais bien. toutefois, ça ne dure pas longtemps puisque très vite, je sens quelque chose qui m’attire vers le fond de l’eau. je suis soudainement happé par une entité qui m’est inconnu et qui m’emmène avec elle dans les fonds marins. » (il plisse les yeux et laisse son regard se perdre sur les carreaux à ses pieds.) « évidemment, je me débat, je sens la peur qui me dévore. ça parait tellement réel, je suis certain que je bouge durant mon sommeil. et le moment de la noyade arrive, l’eau entre dans mes poumons, c’est douloureux. ça brûle mes poumons jusqu’à l’asphyxie. » (il grimace légèrement se rappelant les sensations désagréables.) « viens le vide et le noir complet. je suis mort pourtant je me réveille pas, c’est là que l’angoisse arrive, que je suis terrifié par ce vide abyssale dans lequel je suis. » (difficilement, il avale sa salive, gardant son regard porter sur le sol.) « encore et toujours je gesticule, je me débat mais je reste prisonnier de l’obscurité. mais peu à peu, je comprend que je suis dans un rêve, que tout ça n’est pas la réalité, néanmoins ça ne me sauve pas. je suis prisonnier de ce rêve. » (il se frotte la nuque, c’est toujours difficile pour lui de parler de ses rêves. il a peur de ce que ça peut traduire.) « au loin, je vois comme une énorme lumière qui se rapproche dangereusement de moi. éblouis, je ferme les yeux et quand je les ouvrent à nouveau, je suis dans mon lit, dans ma chambre, réveillé. ça me parait étrange de me réveiller comme ça, sans être en sueurs ou sans crise d’angoisse. » (il relève son regard vers son médecin traitant cherchant une réponse dans son expression bien trop neutre.) « je comprend pas, tout ça m’échappe. » (avoue-t-il dans l’incapacité d'interpréter le sens de son rêve. un moment de silence et son médecin ouvre enfin la bouche.) « la mer est souvent associé à nos émotions, et dans ton cas, on pourrait dire que ce rêve représente ce que tu vis depuis ton amnésie. du moins le cheminement que tu essayes de faire pour retrouver des bribes de mémoires. le début du rêve représenterait l’instant du naufrage, le vide abyssal pourrait être les mois que tu as passé sans avoir de souvenirs. » (il s’arrête un instant pour le dévisager. et puis, il reprend.) « quant à cette lumière, on peut voir cela comme une lueur d’espoir, une sorte d'interprétation de tes souvenirs qui pourraient revenir si tu ne fermais pas les yeux. » (comme un geste de compassion, il penche la tête sur le côté, fixant le jeune adolescent dans les yeux. yujin fronce les sourcils digérant tout ça.) « vous avez peut-être raison. » (dit-il sans vraiment y croire. il voudrait y croire, et se dire que c’est juste une manière pour son subconscient de lui faire comprendre qu’il a peur de la vérité. mais il ne veut pas savoir cela, il préfère le déni et rester dans le flou dans lequel il vit depuis quelques temps. cela lui évite de faire face à une vérité qu’il pourrait trouver terrifiante si elle venait à lui être révélée.) (la séance se termina sur cette phrase et sur la réticence de yujin face à ce que peut lui dire l’homme qui s’occupe de lui depuis des mois. plus tard, dans ses notes, le médecin notera que yujin devient plus méfiant quand les choses ne le rassurent pas.)

il se débat, yujin, il veut se détacher de cette emprise. fuir les griffes de ce policier qui lui rentre dans la peau. il gesticule dans l’espoir de pouvoir s’échapper. il pousse des petits grognements alors qu’il sent les doigts de cet homme s’enfoncer dans sa chair. il sert les dents avant d’hurler: « livia ! » un cri qui vient du coeur, un cri de rage qui s’extirpe avec douleur. sa soeur, celle qui considère comme sa jumelle, on lui retire, on lui arrache comme si on lui enlevait une partie de lui-même. elle est là, en face de lui à se débattre tout comme lui pour venir le rejoindre. ils ne peuvent lutter contre les agents qui les tiennent tous les deux. yujin veut hurler, mordre, griffer l’homme qui l’éloigne de sa soeur et de son frère. tous les trois vont être séparés: livia sera dans un foyer et yujin dans un autre en attendant que aran puissent prouver aux services sociaux qu’il est capable de s’en occuper. mais tout cela durera combien de temps? des semaines? des mois? l’idée d’être séparés d’eux aussi longtemps le pousse à grogner un peu plus. il bouillonne d’une rage qui lui donne l’impression qu’il va exploser. gesticulant beaucoup trop, le policier finit par l’attraper et le serrer dans ses bras lui ordonnant de s’arrêter s’il ne veut pas lui mettre les menottes. il n’en faut pas plus à l’adolescent pour imploser. d’un violent mouvement de tête, il vient frapper le visage de l’homme qui lâche prise et le laisse s’échapper. il se met à courir aussi vite qu’il le peut pour aller rejoindre sa soeur qui s’apprête à monter dans une voiture. malheureusement pour lui, un officier l’arrête dans sa course, l’attrapant par le bras et le serrant si fort qu’il ne peut retenir un cri de douleur. la mâchoire serrée, il relève les yeux vers lui, prêt à mordre mais l’homme anticipe ses gestes et lui fait une clé de bras qui l’immobilise immédiatement. n’ayant plus moyen de bouger, il n’a pas d’autre choix que d’assister à cette séparation douloureuse. il regarde, impuissant, sa soeur entrer dans la voiture alors qu’il la voit pleurer. il voudrait bouger, courir vers elle et la prendre dans ses bras une dernière fois et ne plus jamais la lâcher mais il est prisonnier de ce type. à son tour, les larmes de rage viennent inondées ses yeux, la portière se ferme et il hurle son prénom de toute ses forces pour cracher toute la haine qu’il ressent. et la voiture démarre, puis il la voit se tourner vers lui, la scène est déchirante, il a le coeur qui se tord sous la douleur. les larmes coulent alors sur son visage enfantin tandis que la voiture s’éloigne. il les déteste tous, ceux qui le sépare de sa soeur, ceux qui ne veulent pas qu’ils restent avec aran. tous mérite sa rage. il voudrait hurler à ces hommes qui l’emmène dans un foyer où il ne veut même pas aller. il voudrait leur dire qu’ils payeront un jour pour tout ça, et qu’ils méritent qu’on leur retire l’être qu’ils aiment le plus au monde pour qu’ils comprennent sa souffrance. mais yujin n’en trouve même pas la force, il s‘écroule devant l’officier de police qui le laisse tomber à terre voyant bien qu’il ne s’échappera plus. pour la première fois depuis deux ans, il se sent à nouveau perdu, déboussolé et vide comme il l’avait été à son arrivée chez les choi. il pensait qu’en restant loin de la mer, loin de ce danger qui lui avait fait s’oublier, il pourrait esquiver les souffrances mais malheureusement, il prenait conscience que peu importe où il serait, la douleur serait toujours là. ça fait parti de la vie, ça fait parti des choses, il fallait qu’il l’accepte, mais était-il prêt pour ça?

« mais c’était qui avant, ce mec? » une question qui a beaucoup été chuchoté dans les couleurs, dans les classes, dans les journaux avant que les gens se lassent et lâchent l’affaire. on a bien vite arrêté de chercher pensant que c’était pas important, pourtant ça l’est. pour yujin, en tout cas. lui il aimerait se souvenir, se rappeler de son passé. à la place, il n’a rien d’autre qu’un vide et des questions sans réponses. une partie de son histoire s’est noyée dans les eaux du pacifique. une partie de lui-même s’est échappée comme une bouteille à la mer qu’on lance dans l’espoir qu’elle atteigne le rivage. pourtant, yujin c’était quelqu’un avant, un gosse qui avait de l’avenir --pas forcément comme on le pense cela dit--. né dans les cales d’un bateau, yujin n’a connu la terre que quelques mois après sa naissance quand ses parents ont posés pieds à terre après de longues semaines en mer. ses géniteurs n’étaient rien d’autre que des pirates des temps modernes, loin d’être à l’image de ceux qu’on connaît dans la fiction. oubliez les trois-mâts gigantesques et les perroquets sur l’épaule, on parle ici de ces pirates qui pillent pour le compte des triades. les sabres ont étés remplacés par des armes à feu et les longues vues par les dernières technologies de pointe. ces pirates-là ne valent pas grand chose, le code d’honneur n’a jamais existé pour eux. tout cela n’est rien d’autre qu’une foutue légende qui a coulé en même temps que les derniers vrais pirates. cependant, les parents de yujin c’était ce qu’on pouvait qualifier de pirate. ils avaient plus d’honneur que la plupart des gars qui peuplaient le bateau, c’était pas bien difficile, mais quand même, des gens comme eux, ça se faisait rare. pour autant, ça les a pas empêcher de faire grandir leur bambin dans cet environnement hostile, lui apprenant bien assez tôt les ficelles du métier. des armes aux commandes du bateau en passant par les technologies utilisées pour prévenir la présence d’autres bateaux, yujin a tout appris. il est même devenu plus doué que ses parents ne l'espérait. loin de se douter des capacités mentals de leur fils, ils ont comprit bien vite qu’il était un atout majeur sur le bateau. le gosse avait une capacité incroyable à pirater les lignes de communications des satellites empêchant toutes attaques surprises. la plupart des actions qu’ils ont pu entreprendre avec son aide se sont avérés être des succès, du moins, jusqu’à la dernière… en mer comme sur terre, l’illégalité n’offre jamais vraiment la sécurité. à tout moment, on peut se faire descendre par le premier qui a le plus d’hommes et d’armes que vous. et c’est précisément ce qui s’est produit avec ses parents. ils étaient armés jusqu’aux dents, leur bateau était bien plus impressionnant que le leur, l’abordage a été rapide, si rapide que les parents de yujin furent pris de court. sachant pertinemment qu’ils allaient tous y passer --y compris leur fils-- le père a décidé de balancer son fils par dessus bord se sacrifiant pour lui sauver la vie. c’est comme ça, en heurtant l’eau de plein fouet, qu’il oublia tout et qu’on le retrouva quelques jours après sans souvenirs, sans passé, sans nom, sans rien. il n’était qu’une bouteille qu’on avait jeté à la mer dans l’espoir qu’elle y raconte une histoire. malheureusement, yujin n’était qu’une bouteille vide de son message.