– toujours en gardant ce silence, yury, du haut de ses neuf ans, grimpe à l’arrière de la voiture. rapidement suivi de sa jumelle qui s’installe à ses côtés. l’ambiance n’est pas au top, et c’est bien normal, il y a quelques minutes à peine, yury minhee et leur maman se trouvaient dans le bureau du proviseur. c’est étrange, venant des jumeaux qui n’ont pas pour habitude d’être turbulents, mais c’est arrivé. « bon… » commence la maman chu, avant même de démarrer la voiture. elle se tourne, de manière à avoir un visuel sur ses enfants. minhee fixe sa mère, d’un air presque désolé sur le visage. yury, lui, reste tête baissée. « maintenant qu’on est que tous les trois, vous pouvez me dire la vérité. » son ton n’est pas menaçant, bien au contraire. la mère de famille n’a pas pour habitude d’être stricte, mais c’est surtout parce qu’elle connaît les jumeaux, et c’est bien la première fois qu’elle se déplace à l’école pour un souci de ce genre. « qui de vous deux a donné le premier coup? » une bagarre de gosses, où les jumeaux y étaient mêlés. leur mère fixe les deux enfants, tour à tour, attendant une réponse qui commence à se faire prier. ça l’inquiète, énormément, les jumeaux ne sont pas bagarreur, elle aimerait connaître la vérité mais surtout, tout savoir. cet entretien avec le directeur ne l’a pas aidé pour ça, puisque les jumeaux n’ont fait que se couvrir, tour à tour. après un instant de silence, minhee prend la parole. « c’est moi. » avoue t-elle, un peu honteuse. yury, lui, reste toujours aussi silencieux, tête baissée, plongé dans ses pensées, malgré tout ça, il peut sentir le regard de sa mère rivé sur lui. « c’est vrai ça, yury ? » une nouvelle fois, un court silence s’installe. yury finit par hocher la tête, positivement. oui c’était minhee qui avait donné le premier coup, malgré ce qu’il a pu répéter dans le bureau du directeur, pour essayer de la protéger. « il s’est moqué de yury, ce gros nul. » lâche minhee, plaintive. ce qui n’étonne pas réellement leur mère. les jumeaux se défendent toujours, quitte à se mettre parfois en danger, quitte à mentir. elle laisse passer un soupir, reposant son regard sur la route au moment où elle met le contact. « je ne vais pas vous punir, mais si ça recommence, je serais obligé de le faire. » ça passera, pour cette fois, après tout, c’est la première fois qu’une telle chose arrive.

– on toque à la porte, yury se trouve dans sa chambre, ou du moins, une des chambres de la maison de sa grand-mère, au japon. ce n’est pas rare que la famille passe du temps là-bas, seulement, cette fois, tout est différent. pour la première fois. son sourire a totalement disparu, depuis quelques mois, il est difficile pour lui de décrocher ce sourire qu’il aborde pourtant habituellement au quotidien, mais en perdant minhee, sa soeur jumelle, une partie de lui s’était éteinte. sa grand-mère entre, un sourire timide sur les lèvres, alors qu’elle referme la porte derrière elle. ce silence est lourd de sens, et les silences qu’il y a eu à table l’étaient aussi, la famille est en deuil, cela ne fait que quelques mois que minhee avait quitté ce monde, mais la souffrance n’a pas l’air décidé à lui laisser un temps de répit, ni à lui, ni au reste de sa famille. « je viens d’aller voir jinhee, je voulais qu’on passe un peu de temps tous les deux. » annonce t-elle, s’installant à ses côtés. yury parvient, par miracle, à décrocher un tendre sourire. sa grand-mère, il l’aime énormément. il hoche la tête, ne sachant pas quoi répondre dans un premier temps. il n’a pas fait que perdre son sourire, yury, il a aussi perdu, quelque part, une de ses raisons de vivre. « comment tu te sens ? » il ouvre la bouche, mais aucun son n’y sort. tellement de choses à dire, pour très peu de courage. il finit par hausser les épaules, baissant quelque peu la tête. elle le sait très bien, c’est difficile. ils le savent tous, ici, cette famille porte une souffrance que parfois, certaines personnes ne peuvent exprimer. yury en fait partie. ses larmes lui montent aux yeux, le simple fait de penser à tout ça, lui tue le coeur. rapidement, il vient  essuyer ses yeux humides, il trouve la force de ne pas éclater en sanglots, parce qu’il en a cruellement envie, et pour plusieurs raisons. cette soirée en famille a été difficile, parce qu’ils manquaient certaines personnes. et yury, depuis la mort de minhee, il se sent seul. il n’arrive pas à extérioriser, gérer son deuil, accepter cette situation. il n’y arrive pas. « c’est b-bizarre… sans elle. » impossible pour lui de prononcer le nom de minhee, impossible pour lui de l’entendre et ça, ses proches le savent. c’est encore bien trop douloureux pour lui. « et sans akira. » avoue t-il, alors que ses yeux se remplissent d’une nouvelle vague de larmes. akira, son cousin, celui qu’il considère comme son grand-frère malgré les chamailleries, malgré les petites disputes. n’est-ce pas ce que les frères font ? pourtant, il n’est pas là. coincé dans cette prison, entre ses quatre murs, alors qu’il a besoin de lui. pourquoi tout le pousse à être seul ? pourquoi faut-il que ça soit difficile ? il n’est pas rare de le surprendre penser qu’il ne s’en sortira jamais, yury. vivre avec cette partie, totalement éteinte, qui l’habite, est aussi douloureux que de vivre avec un couteau en plein coeur. ils se plongent, dans un silence, qu’aucun des deux n’ose combler pour le moment. sa grand-mère est là, près de lui, malgré son silence, elle fait acte de présence, et quelque part… ça lui fait du bien. parce que yury, il a juste besoin de ça. d’être entouré.

– huit, le nombre d’années qu’il lui a fallu pour sortir d’un certain déni. pendant huit longues années, yury a fui la réalité, pour la simple et bonne raison qu’elle ne lui plaisait pas, qu’il ne se voyait pas vivre sans elle, sans minhee dans ce monde. il y trouvait un peu de réconfort, mais il n’avançait pas. il est là, le problème. il n’a jamais fait le deuil de sa sœur. pourtant, il se délie de ces chaînes, qui le tiennent prisonnier. il essaye d'avancer, pour la première fois, depuis des années. même si le chemin sera long, et douloureux.