"Hey Angie, c'est vrai que tu te casses en France ? Holy crap c'est trop stylé t'as trop de chance !"

Oui, la France. C'est horriblement cliché mais au moins ils sont tous trop occupés à baigner dans leur jalousie pour poser des questions. Paris, la Tour Eiffel, les bérets, le vin rouge avec des glaçons et l'omelette du fromage. Voilà de quoi faire rêver la midinette moyenne du Kentucky - et c'est bien là le but. Angie Kim s'en va en France, tout le monde rêverait d'être à sa place une fois de plus. Quelle chance elle a, après tout.

Son prénom ricain va vraiment lui manquer, p'tain.

Sa dernière journée de cours passe bien trop vite, l'heure des adieux est bien trop facile, on se promet des lettres assidues et des nouvelles toutes les semaines auxquelles personne ne croit. Tout est arrivé en un éclair. Le retour à la maison, en revanche, traîne en longueur à en faire perdre patience à un mort. L'adrénaline du mensonge auquel on finit par soi-même croire se dissipe peu à peu. Ne restent plus que son père et elle chaudement tapis dans un silence de plomb.

"... Euh... T'as réussi à boucler tes affaires pour demain ?"

Elle hoche vaguement la tête, tout aussi dépitée par le lent et douloureux retour à la réalité que par cette tentative minable de conversation.

"Tu verras, ça va être super la Corée. Tu vas adorer, c'est vraiment un pays magnifique - j'ai hâte d'y retourn-

- C'est bon, économise ta salive, ça sert à R, rétorque-t-elle brutalement. J'veux pas en parler, t'arrives pas à le comprendre ?

D'habitude, il aurait haussé la voix. D'habitude, il ne culpabilise pas autant qu'aujourd'hui. Alors elle en joue bassement, comme une petite revanche mesquine qui fait se sentir momentanément mieux.

Silence. Il est incapable de tenir les silences. Malheureusement pour lui, c'est pas de famille, il est le seul à être gêné.

"... J'ai parlé avec ton proviseur, bonne nouvelle ! Il a accepté de faire une équivalence pour que tu puisses entrer directement à l'université à la rentrée, et tu pourras passer tes examens de fin d'étude à distance. T'es pas contente ma chérie ? C'est pas ce que tu voulais ?"

Non. Non, non, pas du tout. Ce qu'elle voulait, c'était rester ici. Sauf que quand le père se fait licencier et que la mère est partie avec son kiné à l'autre bout du monde, il n'y a pas trop de choix. La Corée, ça pue. Mais c'est moins pire de vivre avec la grand-mère à Séoul qu'avec Maman on sait pas trop où. A un moment, elle a pensé que ses activités sous le manteau permettraient de redresser la situation mais il faut se rendre à l'évidence. Si son père apprenait pour la drogue, il la tuerait.

De toute façon, elle a accepté son sort - pas le choix. Elle a même déjà postulé aux facs du pays, que les meilleures bien sûr. C'est pour ça qu'elle travaille à l'école, de toute façon. Dans les meilleures universités se cachent les meilleurs pigeons.

Sauf qu'elle s'imaginait plus dans l'Ivy League qu'à la SNU, Sunkyungkwan ou la SKY.

De toute façon, ça sert à rien. Surtout quand on est mineure, qu'on a sauté une classe et que sa seule source de revenus est illégale.

Cumul de tares, huh.

Maintenant, plus qu'à bûcher pour les examens et les concours d'entrée.