Ma Nah l’observe de loin, sans jamais réellement le comprendre. Faut dire qu’elle avait cette faculté d’être patiente et empathique. Mais seulement quand les gens lui parlaient. Ceux qui restaient distant et fermé elle n’avait aucune idée de la façon dont elle devait les approcher. Elle n’était pas très à l’aise avec les autres et apprenait encore à se lier avec les gens de sa fraternité. Elle revenait de la cuisine, son chocolat chaud encore fumant entre les doigts, elle n’avait qu’une hâte rejoindre son lit et s’y logée en regardant une série. Pourtant quand elle aperçoit la silhouette de Il Kyang, se découpant dans la pénombre du salon elle se fige. Elle trouvait à la scène quelque chose de poétique. Beau. Bien que son aura triste soit palpable. Elle s’avance alors doucement vers lui cherchant les mots les plus appropriés pour lui parler. Mais ne trouvant rien qui puisse convenir à la situation elle dépose simplement la tasse fumante à ses côtés et ses yeux de chats étirés (remplie d’une douceur qu’elle arborait toujours avec elle) elle fait glisser le chocolat jusqu’à lui et lui sourit avec une bienveillance déroutante. Elle acquiesce doucement pour l’inciter à la prendre et amorce déjà un geste pour s’en aller et le laisser tranquille.

« Tu as recommencé… tu nous déçois tellement Il Kyang… ». Ils tournent, ils vrillent, ils vacillent dans mon esprit. Un lointain souvenir je pensais, mais il date encore de ce matin. Cette lettre, ils l’ont vu, j’ai pourtant tout essayé pour leur cacher mais ils ont fini par la trouver. Je suis de retour depuis peu, mais j’ai le cœur lourd et les yeux chargés de tristesse. Je m’en veux… j’ai pensé bêtement qu’en allant chercher la lettre je ne tomberais pas sur eux, que jamais ils ne seraient au courant. Mais ça n’a pas suffi ! Ils n’ont pas eu le courage de m’appeler, c’est un simple message que j’ai reçu et je ne leur en veux pas. Qui voudrait d’un fils comme moi ? Un de ceux qui déçoit, un de ceux qui ne fait jamais ce qu’il faut… Je n’ai pas répondu, à quoi bon ? Pour leur dire désolé, ce n’est pas ce que vous croyez. Non ça ne l’est pas, mais ils ne m’écouteraient pas. Alors ce soir je broie du noir, je n’ai personne à qui parler et encore moins me confier. Sawan… son prénom s’affiche devant mes yeux depuis de longues minutes… j’hésite, parce qu’elle me comprendrait, parce qu’elle me prendrait surement dans ses bras pour me dire que ce n’est rien, que je ne suis pas si mauvais. Mais je n’en ai pas la force je crois, je suis trop lâche ce soir pour expliquer mes problèmes. Perdu dans mes pensées, je ne l’avais pas remarqué. C’est cette tasse encore fumante devant mes yeux qui me fait revenir à la réalité. Ça sent bon, l’odeur est déjà rassurante alors qu’elle s’éloigne doucement. Je relève la tête vers elle, le cœur serré tandis que mes doigts viennent se saisir de sa paume chaude… « Reste… ». On ne se connait pas, je l’ai déjà croisé plusieurs fois mais elle et moi n’avons surement aucun point commun, hormis celui d’être ici. Je me déplace assez pour l’inviter à venir s’installer à mes côtés. Je l’observe, sans rien dire alors que mes mains se serrent autour de la céramique encore brulante. « Ma Nah ?... merci. » je me souviens de son nom, de son joli visage et de sa discrétion. Cette fille ne fait pas beaucoup parler d’elle, mais ce qu’elle dégage est rassurant. De la douceur, c’est tout ce dont j’ai besoin… Je détourne mon attention sur mon chocolat chaud, je souffle dessus et bois une gorgée avant de venir tendre ma main vers elle « On partage ? ». Mon sourire est doux mais un peu triste je crois.  

Ma Nah ne voulait pas se montrer intrusive, mais elle sait parfois, qu’un seul acte de gentillesse peut changer le quotidien morne d’une personne. Elle ne prétend pas être la meilleure personne pour soulager la conscience du garçon, mais l’inconnu aide parfois. Aide à se livrer, aide à se confier, sans qu’on sache réellement pourquoi. Peut-être qu’avec l’inconnu le poids des conséquences était moins lourd à porter … Elle serait prête à l’écouter, à l’entendre, sans le juger, même pour le pire des crimes. Ma Nah baisse son regard teinté de surprise sur ces doigts qui se referment sur sa paume. Ils semblent avoir si froid … ? Ou peut-être n’est ce que sa main, mais la jeune femme se réconforte dans l’idée que cette tasse fumante de chocolat était une bonne idée. Elle le regarde se décaler et sans prendre la peine de réfléchir, s’assoit à ses côtés. Elle se sent, étrange ? Mais à sa place. Ma Nah a toujours eu ce don pour aider les autres, parfois même à s’en oublier, mais elle aimait ça. C’était sa façon à elle de vivre à travers les autres, et soulager leur peine lui donnait une cause juste à porter dans ce monde. La douceur et la gentillesse de Ma Nah n’avait été le résultat que d’une éducation où on lui soufflait toujours de faire profil bas. Avec le temps elle avait appris à relever la tête et elle apprenait à vivre un peu plus pour elle. C’était son objectif de cette année, même si c’était le travail de toute une vie. Elle esquisse un sourire en croisant le regard d’Il Kyang. Elle acquiesce et souffle « Avec plaisir … » elle espérait qu’il aime son chocolat chaud, car elle n’avait pas prévu de l’offrir à quelqu’un et l’avait confectionné à son goût. Elle ancre son regard au sien et mordille sa lèvre avant de souffler « bien sûr… » elle rougit légèrement. Elle boit une gorgée et lui rend la tasse fumante. Délicieux. A son goût tout du moins. Elle prend un coussin qu’elle serre contre elle en s’asseyant en tailleur dans le canapé et murmure pour ne pas gâcher la quiétude du moment « Veux-tu parler de ce qui te pèse ? » Ma Nah n’était pas certaine de savoir si c’était grâce aux lumières éteintes ou à la lueur légère des réverbères et de la lune qui filtraient aux travers des fenêtres, mais l’ambiance de la pièce lui semblait rassurante et douce. Comme s’ils étaient à l’abris des regards, et de tout ce qui pouvait les blesser.

Je porte la tasse à mes lèvres, souffle lentement sur la boisson avant de prendre une gorgée. Je le trouve bon, doux comme cette jeune fille en face de moi. Je me sens triste, je l’admets et je m’en veux presque d’être là à lui gâcher sa soirée. Mais elle ne me fuit pas au contraire, elle reste avec moi et tente même de me faire parler. Je détourne les yeux, je suis gêné et pourtant je me sens bien. C’est l’atmosphère de ce moment, cette ambiance chaleureuse… elle a un regard bienveillant sur moi, comme si ce moment n’appartenait qu’à nous. Elle ne dira rien na’est-ce pas ? Elle n’ira pas raconter à tout le monde ce que je lui confierais et ça je le sais. Ça se voit, Ma Nah c’est le genre de fille sur qui on peut compter, avec qui on peut partager nos secrets sans que jamais ils ne soient révélés. Je la regarde, un petit sourire aux coins des lèvres « J’ai déçu mes parents. » et le dire me fait mal au cœur. Si elle savait, il ne s’agit pas d’aujourd’hui, ça fait quatre années que je les déçois. « Tu sais, j’ai été exclu… à cause de la crimson. » Je lui jette un regard intimidé, comme si j’avais brusquement peur qu’elle me fuit. Je ne suis pas un mauvais garçon, je suis juste trop fugueux et ne pense jamais aux conséquences. Ma Nah me donne l’impression d’être loin de tout ça. De ces pilules, de ces choses qu’on raconte dans les couloirs. « Est-ce que ça t’es déjà arrivé ? De décevoir quelqu’un ? » Je ne veux pas être intrusif. Je crois qu’au fond je cherche juste à être compris. Je soupire doucement avant de lui tendre à nouveau la tasse brûlante entre nos mains. Je me sens lourd tout à coup, mais étrangement sa présence m’apaise un peu. Je déteste repenser à toutes ces choses, j’aimerais pouvoir avancer, retrouver ma vie d’avant. Même si elle n’était pas parfaite, au moins je me sentais bien. 

Ma Nah le regarde, comprends que le garçon souffre et qu’il se culpabilise, s’inflige des punitions en primes de celles dont il a été victime. Elle serait même prête à parier que les punitions de l’école avaient été moins douloureuses que celles de ses parents, amis, proches … elle mordille sa lèvre se demandant comment elle aurait réagi à sa place, elle n’aurait pas été forcément mieux de toute évidence … Elle esquisse un sourire doux et souffle « Pas encore …  Mais je me déçois moi-même … » avoue-t-elle ce qui ne semblait pas être mieux. « Je ne sais pas dire non. » conclut-elle et ça pouvait tout expliquer. Ma Nah se forçait toujours à faire, dire, ou cacher des choses qu’elle ne voulait pas. Elle n’arrivait pas à faire comprendre aux autres ce qu’elle voulait, ressentait. Et les autres ne le voyaient même pas, comment pourraient-ils, elle qui masquait tout derrière des sourires doux. Le pire restait sans doute ses parents. Incapable de réaliser la pression qu’ils mettaient sur l’épaule de leur benjamine. Ma Nah se demandait pourquoi ce n’était pas sa sœur qui vivait ça ? Elles étaient pourtant jumelles mais Ma Nah n’arrivait jamais à s’en sortir réellement … Posant son regard sur Il Kyang elle mordille sa lèvre et la réponse lui parait si évidente qu’elle se désole que les gens ne le prennent pas en compte, ne réalise pas … Il a déçu ses parents, été viré de l’école, tout un tas d’émotion négative et une image de lui faussé par la vision qu’on avait de lui via ses actes. Quel pauvre enfant, pensa-t-elle tristement. L’humain était bien incapable de comprendre l’autre … et lorsqu’il y arrivait ce n’était qu’en se basant que sur ses propres émotions. L’individualité de chacun … une prison. Elle pose une main sur son avant-bras et se penche vers lui. « Il Kyang … moi la seule question que je me pose c’est qu’est ce qui t’a amené à tout ça … ? Quelle pression tu as ressenti pour prendre de la crimson ? Quelle personne as-tu rencontré pour en arriver là … ? Si les décisions sont de ton choix et de ton ressort il n’en reste pas moins que tu n’es pas coupable de ce qui t’arrives … » elle affiche un sourire compréhensif et ajoute « On ne choisit pas de se détruire … mais c’est parfois la seule voie qui s’offre à nous, celle qui semble plus à prendre … » elle tente de choisir ses mots pour ne pas lui faire de la peine malgré ou qu’il ait l’impression qu’elle le traite de faible … alors elle ajoute simplement avec toute la sincérité de son cœur «  Il Kyang ce n’est pas ta faute … et te punir comme tu le fais ne t’aidera en rien … d’accord ? Ce n’est pas ta faute. »