La journée est finie mais au final, elle ne fait que commencer. J’ai longtemps attendu ce moment avec appréhension, excitation, joie et inquiétude. Ces mêmes sentiments que l’on ressent quand on comme une nouvelle vie. C’est génial mais, en même temps, je ne peux pas m’empêcher de vouloir me retourner, de regarder là d’où je viens avant de me tourner vers là où je vais. Les pyobeom ont été ma fraternité pendant presque trois ans mais j’ai décidé de les quitter, de changer de fraternité. Je veux trouver ma place, ce switch que j’ai développé pour être plus belle même si ce n’est que pour quelques heures mais aussi pour être laide et seule ne m’aide pas à être stable. Ce changement est né en moi comme une solution mais ce n’était rien de tout ça. Je me suis retrouvée à me sentir un peu rejetée parce que je passais tout mon temps loin du dortoir que ce soit dans mon mode on ou off. Je n’ai pas trouvé ma place, au contraire, je me suis forgée un cocon loin de la fraternité que j’avais choisie. J’ai ressenti le besoin de repartir à zéro alors j’ai lâché la fraternité, je ne suis pas sûre qu’ils se soient rendue compte que je suis partie mais c’est entièrement de ma faute. Après ça, je suis restée plusieurs mois sans fraternité mais j’ai voulu ré-essayer. Et cette fois j’ai choisi les gumi.

Une valise particulièrement grande dans une main et un sac à dos solidement accroché sur mes épaules, j’ai le nez levé vers mon nouveau chez-moi. Est-ce que j’arriverais à m’intégrer cette fois ? J’espère que oui mais je ne sais pas par où commencer. Je ne connais pas le bâtiment en face de moi, je ne connais pas une seule personne qui se trouve à l’intérieur, c’est exactement comme à mon arrivée chez les pyo mais j’aimerais que ce soit différent cette fois. Je m’approche de la porte, traînant difficilement ma valise derrière moi, et je pose ma main sur la poignée mais je suspends mon geste. J’entends des bruits de pas derrière moi et me retourne lentement pour voir une femme arriver. Je la regarde s’approcher et je repousse vite mes vieilles lunettes sur le bout de mon nez pour me donner contenance alors que je ne sais pas trop où me mettre. Je suis juste entre elle et la porte et je me décale vite pour lui laisser le passage. Je baisse la tête, mes cheveux mal coiffés me tombant devant le visage alors que je n’ose pas vraiment l’aborder… Tout recommence comme avant…

Pendant plusieurs mois, Rin avait été éloignée de sa fratrie d'adoption et de tous ses animaux fantastiques, des rires de ses présidents comme de leurs pleurs, des incompréhensions des uns et des autres comme des moments de joie. Elle avait bien entendu parler de la descente aux enfers de plusieurs membres de la fraternité, quand les casiers avaient été ouverts et que la tête de plusieurs avait failli tomber devant les autorités... Mais heureusement, le sien ne contenait pas de crimson et sa chambre avait pu être fouillée au crible sans qu'on y retrouve plus la moindre trace de quoi que ce soit. Le salut de la jeune demoiselle se résumait donc à son séjour à l'hôpital pour traiter ses problèmes d'addiction et au passage de Jiho, qui lui avait définitivement sauvé la vie et qui semblait avoir récolté les problèmes à sa place. Même s'il n'était plus là, maintenant, elle ne pouvait que le remercier pour son aide.

Une fois sa journée de cours terminée, après quelques heures de cours en amphithéâtre afin d'essayer de comprendre ses études d'histoire, Rin avait pu repartir avec son sac sur le dos en direction de sa fraternité adorée, qui lui manquait temps. Peu après être sortie de l'hôpital, elle avait passé encore quelques semaines à vivre en dehors de l'université pour être sûre de reprendre un peu de temps pour elle, et aujourd'hui... Elle retournait finalement parmi les siens. Elle avait déposé sa valise le matin même et maintenant, armée de son sac de cours et de son ordinateur, elle n'avait plus qu'à rentrer... Jusqu'à remarquer une fille avec une valise et un sac qui lui bloquait la route, avant de la voir s'écarter timidement, venant l'observer.

"T'entres pas ? Ton sac et ta valise ont l'air d'être super lourds, passe la première pour pouvoir aller les poser ! Tu t'installes ?"

Ce n'était qu'un simple début de conversation mais c'était assez pour être le début de quelque chose, peut-être.

Je ne pensais pas qu'on puisse s'intéresser à moi. Il faut dire que quand je suis dans mon mode off, je ne dois pas donner aux autres une impression glorieuse. Pourtant, quand je m'écarte pour laisser la Gumi passer et que je baisse la tête timidement, la voix féminine de l'inconnue s'élève et je lève mon menton, surprise. Je reste bouche-bée, essayant de comprendre si c'est bien à moi qu'elle s'adresse ou si une autre nouvelle est aux alentours. Mais non, il n'y a que moi, avec mes affaires pesantes et mon air de nouvelle complètement paumée. Je reste quelques secondes, immobile, mes yeux s'encrant dans les siens un long moment avant que je ne me réveille. Je jette un coup d'œil derrière moi avant de comprendre que c'est bien à moi qu'elle s'adresse. Je rougis alors et à l'aide de mon index et mon majeur, je remonte mes lunettes sur mon nez. Je m'incline rapidement avec un tout petit merci alors que je reprends mon gros sac et mon énorme valise pour les traîner dans le hall du bâtiment. Je les redépose ceux-ci rapidement et me tourne vers la jeune femme qui entre à ma suite.

-J-Je... Oui je m'installe. Je viens d'une autre fraternité..

Je souffle ces mots sans vraiment réfléchir mais était-ce une bonne idée d'annoncer aux premiers échangés que je viens d'une autre fraternité ? Je n'ai jamais vraiment eu de discussion avec les membres des pyo alors qu'à peine arrivée ici, je suis déjà en compagnie d'une gumi, enfin je suppose. Je regarde autour de moi, c'est très différent de mon précédent dortoir mais c'est exactement ce que je recherche, du changement. Je me tourne vers la seule personne que je "connais" maintenant et pince les lèvres d'un air gêné.

-Excuse-moi de te déranger encore mais est-ce que tu sais où sont les chambres..?

La popularité ou la beauté n'étaient pas des composantes qui entraient dans la façon que Rin avait de traiter les gens, qu'elle les connaisse ou non. Elle avait simplement décidé que si les personnes étaient aimables avec elle, elle le serait en retour, à moindre d'être dans une humeur à mettre le diable dans tous ses états, ce qui arrivait de manière assez rare, alors cette jeune demoiselle qu'elle venait à peine de rencontrer ne méritait pas de mauvais traitements. Quand Rin la regarda, elle avait l'air d'une timidité presque maladive, toute maladroite avec son sac et sa valise, comme si elle arrivait tout juste d'un immense voyage dans un pays auquel elle ne connaissait rien. En l'occurrence, elle avait traversé l'université pour rejoindre les contrées sauvages de la fraternité des Gumiho.

Elle la laissa alors entrer dans le bâtiment de la fraternité, qui semblait lui être totalement inconnu - puisqu'elle s'installait, de toute manière, elle venait tout juste de le dire. Elle venait donc de la fraternité des Pyobeom... Cela n'étonnait pas Rin, pas parce qu'elle voyait souvent des gens d'autres fraternités arriver mais parce qu'elle se disait simplement que la jeune fille devait aller là où elle pouvait se sentir le mieux. Elle haussa donc légèrement les épaules pour lui montrer que cela n'avait rien de bien sérieux, alors qu'elle balbutiait et cherchait ses mots, la Gumiho la plus expérimentée esquissant un sourire pour la rassurer.

"J'ai jamais visité leur fraternité, c'est joli ? Je ne connais qu'ici. Et pour les dortoirs... J'y allais justement, donc je peux te montrer si tu veux."

Apparemment, personne ne lui avait encore fait visiter les locaux, alors... Elle devrait vraiment tout juste arriver, prête à découvrir le petit cocon de vie de la team bleue.

"Tu voudras que je te montre la salle d'étude, après ? La ferme ? Il y a des tonnes de choses ici donc si tu n'as pas visité, c'est peut-être bien que tu le fasses avec quelqu'un pour ne pas avoir à te perdre et chercher ton chemin pendant trop longtemps parce que ce n'est pas le mieux."

Elle m'annonce qu'elle n'a jamais visité la fraternité et je repense à celle-ci en me pincant les lèvres. Je suis venue ici pour changer d'air mais est-ce seulement possible? J'ai cru que rien ne changerait, qu'il n'y aurait aucune différence mais je sais déjà que je me trompe. La preuve étant dans le simple fait que je n'ai jamais parlé à un seul membre de mon ancienne fraternité alors qu'aujourd'hui, dès mon arrivée, j'ai déjà un contact avec un gumi. Je revois l'endroit où je vivais avant et la différence avec celui-ci n'est pas difficile à voir. Si les fraternités se ressemblaient, ça n'aurait plus aucun sens. Je suis surprise de pouvoir avoir ce contact, je ne connais pas encore son nom mais elle est arrivée telle une bouée de sauvetage dans le grand inconnu où j'ai attéri. Elle me sourit même et c'est tellement rare que j'en souris aussi. C'est vrai, on ne me remarque déjà jamais alors me sourire? C'est encore plus étrange. Mais c'est agréable car je me sens existé aux yeux de quelqu'un.

-C'est joli oui et c'est plus animé qu'ici. Ce... Ce n'est pas un mal au contraire!

Je rougis et fais une petite moue, j'ai l'impression d'être une empotée et de ne pas savoir ce que je peux dire, ce que je dois dire. Elle me propose alors de me montrer les dortoirs et cette proposition me surprend à nouveau. Elle continue sur sa lancée et je reste bouche bée devant sa gentillesse envers une fille aussi paumée que moi.

-C'est vraiment gentil, je... tu es sûre que ça ne te dérange pas? Je ne voudrais pas empieter sur ton temps!