Xiao Wei s’applique. Il a neuf ans, ses petites mains sont encore empreintes de ce léger embonpoint lié à sa prime enfance. Pourtant, avec une dextérité qu’on lui a déjà appris à avoir, elles viennent avec habitude nouer la cordelette qui retient ses chausses. Dehors l’hiver a commencé à s’abattre dans la montagne et sur le monastère. L’entraînement se poursuivra comme d’habitude.

Ici, ce n’était pas un monastère comme on les voit dans la plupart des films caucasiens. Le but n’est pas tellement spirituel et si on suit la voie du bouddhisme et qu’on accède aux prières, l’enseignement est davantage combatif. On forge le corps et l’esprit. Xiao Wei est un enfant comme les autres dans ce temple à ce détail près qu’il suit les traces de son père, passé ici des années avant lui, suivant le même cursus.

Dans la tête encore pouponne de Xiao Wei, ce monastère est une seconde maison qui ne remplace pas la première, la vraie. Mais c’est difficile de comprendre que pendant encore 15 bonnes années il va rester là et ne rentrer auprès des siens que quelques semaines par an. C’est déjà ce qu’il fait depuis quelques courtes années mais ça reste abstrait pour lui. Il est si jeune que « dans 15 ans » ça n’a aucune valeur. C’est une éternité et en même temps, ce n’est rien du tout.

Xiao Wei sort et sur sa tunique une bourrasque de vent vient plaquer quelques flocons. Le petit garçon frissonne, vient souffler sur ses mains et finalement, tendant une paume devant lui, il recueil quelques petits flocons, un sourire aux lèvres. Il adorait l’hiver, son manteau blanc et les promesses d’un noël en famille tout bientôt.

Un jour, il serait aussi fort que son père. Un jour, il rejoindrait la même organisation que lui. Il passerait l’initiation, recevrait les codes de la « profession » et un enseignement technique propre à cette voie à laquelle il se destinait. L’illégalité n’était pas un but en soi. C’était plus une sorte d’esprit d’entreprise et de pérennité de cette dernière. Le vestige d’une époque où à les Triades étaient moins des « voyous dans de beaux costumes » que des soldats de valeur qui offrait au peuple une protection contre rémunération. Il faut que tout le monde puisse vivre, après tout.

On l’appelle et Xiao Wei relève la tête vers un autre enfant. Un ami. Il lui fait signe de se dépêcher et les petits chaussons de Xiao Wei se font un chemin sur la pierre gelée avec agilité, au pas de course. Aujourd’hui ils révisaient leurs kata tous ensemble dans la grande cour.

A l’heure où la technologie commence à se développer, son camarade sort de sa poche un appareil photo numérique qui devait valoir une fortune. A les voir tous en vêtements en lin, on n’aurait pas dit que la moitié d’entre eux étaient des enfants de privilégiés. Il lui fait signe de s’approcher et Xiao Wei s’exécute, passant un bras autour de son cou tandis que l’autre enfant en passe un sur sa taille. Ils se tassent un peu l’un contre l’autre le temps d’un selfie de mauvaise qualité mais où on devine leurs sourires légèrement édentées d’avoir perdu leurs premières dents de lait.

Cette photo, Xiao Wei descendra de la montagne pendant un temps libre pour aller la faire imprimer. Il l’enverra à Mei Lin, sa petite sœur, qui avait pleuré la dernière fois qu’ils s’étaient vus et qu’il avait dû repartir. Et puis il l’enverrait à Lian, avec une fleur de lotus séchée qu’il irait cueillir, en honneur à son prénom. Lian c’est la petite fille à peine plus jeune que lui avec laquelle il est déjà fiancé. Pour le moment, il est encore dans cette tendre innocence qui le rend timide face à elle. Les choses changeront et le système aura un jour raison de cette candeur… Mais l’affection qui lui est destinée lui restera à jamais personnelle.

Le petit appareil est rangé dans un sac et l’enfant disparaît, allant le ranger en assurant qu’il arrivait « tout de suite », encourageant Xiao Wei à rejoindre les autres, ce qu’il fait. Et sur le chemin, le regard du petit garçon s’attarde brièvement sur l’horizon et sur les décors incroyables de cet océan de nature montagneuse qui l’entoure. Plus bas, en arrivant dans la vallée, il revoyait encore en souvenir l’image de ces rizières qui s’étendaient à perte de vue… La Chine, c’était le plus beau pays du monde. C’est sûr que ça le secouait un peu lorsqu’il rentrait à Hong Kong et qu’il se retrouvait propulsé au cœur d’une ville grouillante et bouillonnante. Ca l’inquiétait… Et s’il était d’un tempérament très calme, tout ce bruit, tout ce stress… Eveillaient facilement chez lui quelques colères que son père encourageait à sa façon.

En arrivant dans la cour il est arrêté par son maître, lequel lui désigne d’un petit regard sévère le bracelet de jade qu’il portait au poignet et qu’il avait oublié de retirer. Xiao Wei se dépêche de l’enlever pour le fourrer dans sa poche, s’excusant en s’inclinant très bas, car ici il n’était pas le fils du Baton Rouge, il n’était qu’un apprenti comme tous les autres… Et ce bracelet, un cadeau de sa maman qu’il garderait toute sa vie, n’était qu’un signe de richesse qu’il ne devait pas arborer.

Un jour, il quitterait le monastère pour parfaire son apprentissage en ville, justement, tout en se mêlant à la Triade à laquelle il était lié par le sang. Mais ce jour-là, à neuf ans, rien n’aurait pu le faire se douter qu’il prendrait une année sabbatique ou deux en terminant cette phase de son long apprentissage… Qu’il devrait tout mettre de côté pour venger l’honneur de sa cadette… Pour effacer ses larmes et le souvenir des bleus et des coups qu’un sauvage lui avait laissé. Elle lui en parlera tellement que ce sera comme si c’était lui-même qui l’avait subi… Et Xiao Wei n’était pas homme à laisser ce genre d’acte impuni.

Un jour, dans ce seul objectif, les paysages de la Corée se substitueront à celui de la Chine. A Hong Kong celui de Séoul et au Monastère celui de la Yonsei…
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