Il avait perdu son chat. La mère Michelle fouillait dans la salle commune mais sans grand succès. Son animal était le diable en personne et il ne pouvait pas se permettre de se faire virer du dortoir. « Pourquoi t’as pris un chat ? » Il relevait la tête pour croiser le regard de son petit ami. Ses hallucinations lui semblait tellement réelles qu’il avait parfois du mal à se dire qu’il n’était plus là. Un soupire las traversait ses lèvres alors qu’il répondait  « Peut-être parce que tu me manques et que j’avais besoin de compagnie ! » Trois ans que Lucas avait disparu et il n’avait toujours pas fait son deuil. Le manque le rendait complètement dingue, le faisait sombrer chaque jour un peu plus dans une folie qu’il se refusait d’accepter. De soigner. Guérir signifiait perdre son premier amour, et Raphaël, il ne pouvait pas tirer un trait sur celui qui avait représenter son petit monde durant tant d’années. « Tu le trouveras pas sous les coussins, il est pas là Raph » Et pourtant, il continuait de soulever les oreillers du canapé, juste au cas où, tentant d’ignorer cette voix qui traversait son âme et faisait vibrer jusqu’à son coeur.

Epuisé par les cours et la gestion du café, il avait du mal à gérer son stress. Lui si attentif à ce qui l’entourait, toujours sur ses gardes pour ne pas se faire surprendre, il avait commis une erreur. Celle de ne pas ressentir la présence d’un autre élève. Non tout ce qu’il arrivait à sentir c’était la main d’un souvenir contre sa joue.  « Putain Lucas, faut absolument que je le retrouve, tu dois bien avoir une idée ! » Parce qu’il était un fantôme ? Non il n’était que le produit de sa conscience malade et brisée. Ses parents lui avaient déjà donné une belle somme d’argent pour les travaux du café, il ne pouvait pas en plus leur demander de quoi payer un loyer parce qu’il n’avait pas respecté les règles du dortoir. Alors, il se laissait tomber dans le canapé, retirant ses lunettes avant que son oeil droit ne capte une silhouette.  « Et merde… » qu’il soufflait en s’affalant contre les coussins. Oui, il avait perdu son chat. Et en plus il venait de se trahir devant un inconnu.

Ce dernier cours de la journée qui se termine, laisse s’échapper un soupire d’entre tes lèvres. Encore de longues heures à apprendre comment potringuer, soigner. Encore une journée à t’abreuver d’un savoir que tu trouves parfois trop étendu pour toi et ton esprit. Mais tu l’as choisi, refuse l’idée même de t’en priver. Pas après tout ce chemin parcouru. Des années de décadence pour voir un rêve se réaliser, un objectif s’accomplir. Et ça vaut plus que le reste, finalement. C’est ce que tu te répètes, en boucle, chaque jour. Et c’est toujours pareil, sur le chemin pour retourner au dortoir. Tu peux entendre les oiseaux zinzibuler, donnant à tes pensées des notes plus poétiques, certainement. Cette fois, tu te dépêches de rentrer. Le froid de l’hiver laisse ces instants ou tu te retrouves seul avec toi-même raccourcis. Ca ne t’empêche pas de t’arrêter dans un des petits restaurants du centre, pour combler une envie bovine avec un met qui saura te rassasier. Une nouvelle fois, tu prends quelques minutes pour écrire dans ce journal, alors que la nuit n’est pas encore tombée, qu’elle mettra un peu de temps à arriver. Besoin viscéral de poser sur papier tout ce qu’il se passe dans ce quotidien parfois trop chargé.
Il te faudra malgré tout un peu moins d’une heure, pour retrouver la chaleur du dortoir. Ton regard qui se faufile dans les pièces autour, n’y voyant personne. Alors tu t’empresses déjà de monter dans ta chambre, poser tes affaires. Tu devrais étudier, relire ces cours qui sont parfois compliqués à assimiler. Mais dans cette fermentation de l’esprit, tu sais au fond de toi que tu as besoin d’une réelle pause. Ce genre de moment que tu concèdes si peu, mais qui est pourtant nécessaire si tu veux tenir le coup. Tu prends le temps d’enfiler des vêtements plus confortables, avant de te décider sur un chocolat chaud, quelques minutes devant la télé. Tu sais au fond de toi que ça te fera du bien, avant de repartir dans la tourmente d’une vie d’interne. Une boisson que tu mets peu de temps à préparer, un léger sourire glissé sur tes lèvres, rejoignant enfin la salle commune. Rapidement, tu te rends compte que tu n’es pas seul, qu’il y a un autre jeune homme présent. Mais celui-ci t’interpelles bien vite, alors qu’il semble chercher quelque chose. Plus encore, tu crois le voir parler à quelqu’un d’autre, alors qu’il n’y a que vous deux ici, au premier coup d’oeil. « Est-ce que… tout va bien ? » oses-tu à peine demander. Dans ce qui ressemble à un frisson, tu as le sentiment d’avoir perturbé un instant important pour ton vis-à-vis, bien que tu ne sois pas sûr de tout comprendre.