D’un pas décidé, il franchit les portes… léger, déterminé, il affronte ses journées dans une routine plaisante et rassurante. Ces nouveautés le font sourire, ce rythme qu’il ne connait pas, cet endroit dont il n’est pas encore familier. Tout lui plait ici, il faut dire qu’il a tellement attendu pour y arriver. Ce n’est pas son rêve, pas celui qu’il visait tout du moins, mais il s’en accommode car la danse lui a manqué. Cette partie de lui qu’il a trop souvent enfoui pour être un bon père. Durant ces cinq longues années il a tout mis de côté. Ses rêves, ses ambitions et sa vie sociale. Jed ne regrette pas, si souvent il pose ses yeux fiers sur ce petit homme qui lui sourit. Pour rien au monde il ne changerait sa vie, et trop souvent Ewen lui rappelle qu’il ne faut jamais baisser les bras. C’est avec cette assurance qu’il s’apprêtait à affronter cette journée. Que quelques jours qu’il avait passé ici pour s’adapter. Un passage rapide vers cet accueil pour récupérer des papiers dont il avait besoin. Il avait déjà son sourire aux lèvres quand une silhouette l’interrompu. Au détour d’un couloir, un visage dont il n’oubliera jamais les traits, un parfum si amer qui lui colle la nausée. Et un nom… que cette femme prononce avec facilité. Déconcertante, presque amicale alors que son cœur se serre. Interrompu dans sa démarche, il reste à l’abris des regards… et surtout du sien. Son cœur rate un battement, une angoisse le gagne alors qu’il croit rêver. Tout ça n’est pas réel n’est-ce pas ? Elle n’est pas ici… depuis combien de temps ne l’avait-il pas vu ? Cinq années… il le sait car chacun des jours passés l’un d’elle ont laissés des traces indélébiles sur sa peau. Paniqué, il ose à peine détourner les yeux. Pourtant curieux il finit par la regarder, à quelques mètres de là… c’est tout son monde qui s’écroule alors qu’un regain de haine vient le submerger. Il serre les dents, suivis rapidement de ses poings. Il ne sait pas ce qui le retient d’aller la voir et de lui cracher toutes ces rancœurs qu’il a trop longtemps gardé. Comment ose-t-elle de nouveau troubler son monde ? Celui qu’il s’était efforcé de forgé pour lui et Ewen ? Comment ose-t-elle revenir après toutes ces années ? Il n’en sait rien. C’est terrifié qu’il finit par tourner des talons, déjà amoché par la vie, il se sent piétiné. D’un simple croisement, d’une rencontre dont elle ne sait rien… c’est à nouveau elle qui vient troubler ses nuits… Wen Yi…

Il pose un regard sur le petit garçon. « Non ! » Il n’abdiquera pas, pas aujourd’hui. Depuis quelques jours Ewen n’en fait qu’à sa tête. Le nouveau rythme de son père le trouble. Il ne trouve plus ses marques, baladés entre l’école et sa belle-mère, son père lui manque. Jed, fatigue, tous les matins c’est la même histoire. Il faut des minutes entières à son fils pour mettre ses affaires. Du haut de ses cinq ans Jed refuse de l’aider. Il est débrouillard, tout comme il l’était lui aussi à son âge. Alors il reste là, jetant un coup d’œil à l’heure sur son téléphone. « Aller fait un effort Ewen ! Je vais chercher son sac, t’as intérêt à avoir mis ta veste quand je reviens. » Il est épuisé mais il n’en montre rien à son fils. Pourtant il est dépassé, en retard comme souvent depuis qu’il a repris ses études. Comment faire pour s’organiser, le temps lui manque et ça ne fait que quelques mois seulement. Il ne regrette pas, persuadé qu’il finira par s’y faire tout comme Ewen. De retour le petit garçon n’a pas bougé, il boude alors il faut prendre le temps de le rassurer de lui dire ces choses qu’il veut entendre « Ewen, je t’ai déjà expliqué, Papa doit s’absenté. Mais ce soir je viens te chercher promis. » il relève à peine les yeux vers son père. Il ne s’agacera pas, se redressant juste pour venir lui mettre sa veste et attraper la sienne. Le petit garçon ne sourit pas, piétine même avant de monter dans la voiture. Encore un coup d’œil à l’heure, le retard s’amplifie. Il grimace, prends le temps de s’occuper de son fils malgré les minutes qui défilent. Il ne le contrarie pas plus, de toute façon Ewen oubliera vite en retrouvant ces visages familiers. Il accuse le coup, les cheveux ébouriffé, mal habillé et la mine fatiguée, il sourit à son fils et l’embrasse. « Je t’aime. Reste sage ! » Un sourire bienveillant et il court jusqu’à sa voiture. C’est en courant qu’il traverse tous les couloirs de l’université pour se rendre à son cours de danse. Celui qu’il préfère le plus surement. Essoufflé, il passe la porte en espérant être discret. Mais déjà son absence s’est faite remarqué.
« Excusez-moi. » machinalement, il est désolé alors qu’il dépose ses affaires dans un coin de la salle. Il écoute son prof, prêt à accepter tout ce qu’il lui dira. Il se redresse, s’avance vers les autres alors qu’il désigne son assistante. Son regard se tourne, son cœur manque un battement tandis qu’il pose ses yeux effarés sur celle qui l’accompagne. Wen Yi… il prononce ce nom dans sa tête, au même rythme que celui de son prof. Mais il sonne creux, terriblement douloureux alors qu’il se sent englouti. Il déglutit, d’abord surprit avant de sentir cette haine si profonde le consumer. Il n’en croit pas ses yeux, cette femme… la mère de son enfant ici. Une mauvaise plaisanterie dont il se serait passé. Il voudrait fuir, cherchant des yeux un moyen de ne plus être là mais il est coincé. Bloqué par la rage et l’incompréhension. Il croit halluciner, il veut trouver une solution, une excuse qui lui permettrait de l’éloigner de lui. Ce n’est pas lui qui décide et bien ses profs. Il ne veut pas qu’elle s’approche, pourtant il la trouve déjà trop près. Sa peau le brûle, alors qu’il serre la mâchoire se retenant d’être insultant. Qu’elle s’en aille, car il est prêt à se jeter sur elle. A lui faire payer toutes ces nuits seul et d’inquiétude. Il voudra la saigner, comme elle lui a entaillé le cœur par son absence et son silence. Wen Yi, je te hais aujourd’hui et à jamais…
 

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit là. A ce qu’il soit en face d’elle, pire encore qu’il soit son partenaire de danse. C’était tout bonnement impensable. Pas maintenant, pas comme ça. C’était beaucoup trop brusque. Beaucoup trop soudain. C’était comme si toutes ces dernières années avaient soudainement accélérées pour les ramener au présent et les plaquer au sol douloureusement. Elle se figeait et quand elle put lire sur son visage tout le dégoût et la colère qu’il éprouvait pour elle, elle se sentit brusquement envahir par la panique. Tétanisée elle était incapable de bouger. Elle le fixait mais semblait ne pas le voir. Elle le fixait, ne voyant que cette colère, cette rage folle qu’il éprouvait à son égard. C’était pire que tout, peut-être même pire que l’indifférence. Elle aimerait tellement qu’il … qu’il se contente de lui dire qu’il comprend, qu’il ne lui en veut plus mais qu’il fait sa route maintenant. Plus aucune rancœur, juste … Non, ça serait fou qu’elle le perde autant … Wen Yi avait tellement de fois imaginer leur premier face à face, mais jamais elle n’aurait cru qu’il se passerait ainsi. Elle vacille légèrement et tourne même le visage vers le professeur comme s’il pourrait voir sa détresse et l’aider. Qu’il la sorte de là et que leur enfer prenne fin. Mais personne ne semble voir à quel point les deux ne sont plus compatible et que leur seule présence dans la même pièce pouvait blesser et faire des dégâts. La musique se lança mais aucun des deux ne put bouger. Ni réagir. Ils se fixaient. Elle en baissant les yeux sur le bas de son visage pour ne pas avoir à subir les foudres de son regard noir et lui en la terrassant sur place. Elle aurait pu mourir sous ses yeux qu’il n’aurait pas bougé du moindre millimètre. Elle finit par fermer les yeux et pria pour que quoique ce soit puisse les sortir de cette situation, et c’est finalement le garçon qui prend les choses en main en quittant la salle sous la voix surprise du professeur de danse …elle recule, réalise qu’elle retenait son souffle depuis le début et qu’elle ne tarderait pas à tourner de l’œil si elle ne prenait pas une longue bouffée d’oxygène. Peut-être que dans le fond elle voulait surtout ne pas avoir à sentir son parfum … bon sang … Jed … elle se pencha en avant comme si elle allait vomir et suffoqua quelques instants avant de quitter la salle à son tour pour s’enfuir de l’autre côté. Non vraiment elle n’aurait jamais cru que leur retrouvaille soit aussi chaotique.