Ton coeur bat. L'évidence-même qui s'échappe des lèvres de son jumeau qui se calme enfin. L'une des mains de Corvus lui caresse les cheveux et il ne le lâchera pas; pas maintenant. Plus jamais. Il ne veut plus jamais avoir à le revoir ainsi, ça le brise trop. Son coeur ne peut pas survivre à une telle scène. C'est tout simplement impossible. Non, il n'a pas l'intention de partir pour le moment. Il est prêt à leur donner une chance pour commencer. Après tout, ils viennent tout juste de se retrouver. Ils peuvent bien profiter de la présence de l'autre aussi longtemps que possible. Jusqu'à ce que la rancune de l'aîné revienne au galop. Mais vivons le moment présent. Il ne se sent pas la farce de refuser de nouveau. Il est bien trop emmêlé dans sa culpabilité pour ça. Orion est la personne la plus précieuse de son univers, alors il ne supporte pas de le voir ainsi. Les jumeaux sont-ils tombés si bas?

- Non, Orion, je reste là, c'est promis.

Il pourrait lui promettre n'importe quoi avec tant de facilité... pour ensuite rompre ces promesses avec la même facilité. Il est à ce point détruit par les paroles qui résonnent encore dans sa tête que son frère lui a adressées il y a quelques mois. Si bien qu'il a cru ne jamais pouvoir s'en remettre quand le réveil l'a accueilli après son coma. Il vit avec une peur poignante à chaque jour qui passe.

- Je suis tellement désolé, Orion. Je ne suis qu'un bon à rien.

Son corps est de nouveau secoué par un sanglot, alors qu'il retombe dans ses vieilles habitudes de se dénigrer. Il resserre son emprise autour de son jumeau avec la peur qui forme une boule douloureuse dans son ventre. Il a peur de le perdre à nouveau. Il n'y survivrais clairement pas.

- Pardonne-moi d'être un mauvais frère, Orion. Je t'en supplie.

La voix froide et cassante de son jumeau le saisit et son corps se crispe en même temps que son coeur se serre. Orion aura beau lui dire que c'est faux, au fond de lui, Corvus sait pertinemment que ce qu'il a fait est impardonnable. Et il estime que cela fait de lui le pire frère de cet univers. Cependant, son jumeau semble passer outre ses agissements puérils et blessants. Feindre la mort est vraiment quelque chose qu'il ne se pardonnera jamais et il redoute maintenant les retombées lorsque son frère le lui reprochera. Une chicane éclatera très certainement entre eux et il ne peut malheureusement rien faire pour l'en empêcher. Alors il laisse encore un énième sanglot le secouer, brisant par la même occasion le coeur de sa moitié. Il l'entend le supplier de ne pas pleurer, mais il en est incapable. Puis il sent les mains d'Orion sur ses joues et ses doigts entreprennent d'essuyer ses larmes. Les mots qui suivent mettent un peu de baume sur son coeur juste à les entendre. Lui aussi renifle bruyamment alors que son jumeau pose son front contre le sien. Mais sa dernière affirmation le poignarde en plein coeur.

- Non, Orion. Tu ne comprends pas. Je suis le pire frère de cet univers, je t'ai fait quelque chose d'horrible que je ne me pardonnerai jamais. Alors non, non, non, non! Je suis abject! Un déchet, rien de plus!

Il se rend compte qu'il ne dit pas ça pour qu'Orion lui dise le contraire, mais parce qu'il le pense vraiment. Il se considère réellement comme un mauvais frère et ce, peu importe ce que lui dire son jumeau. Comme si ces paroles lui avait drainé toute son énergie, Corvus s'effondre à moitié contre son frère cadet. Il n'a plus la force de pleurer tellement son corps lui fait mal. La douleur émotionnelle qu'il ressent à cet instant se fait ressentir physiquement. Et ça fait atrocement mal. Ses doigts agrippent le tissu à leur portée avec un désespoir qu'il n'a jamais éprouvé auparavant. Il a réellement touché le fond, là. C'est certain.

Il est reconnaissant que son jumeau se démène pour lui affirmer le contraire de ce qu'il pense de lui-même. Depuis le jour où il a failli trouver la mort, Corvus est mentalement instable et il a perdu sa belle volonté d'avant. Son optimisme s'est aussi perdu quelque part où il n'a jamais pu le retrouver. Il souhaitait parfois ne pas avoir survécu à cet accident à cause de toute la douleur que cela lui engendre au quotidien. Pourtant, il tient bon. De peine et de misère, mais il tient bon. Peut-être que maintenant, la présence de son jumeau allait l'aider à se retrouver. À faire la paix avec lui-même et s'accepter tel qu'il est. Les bras qui l'entourent lui procurent une chaleur qu'il a longtemps désiré retrouver. Être blottit dans les bras d'Orion est ce qu'il préfère. C'est tellement confortable et rassurant. Il a l'impression que plus rien ne peut l'atteindre. Ce sentiment de sécurité, il y a longtemps qu'il ne l'a plus ressenti. Cette pensée lui arrache un sourire furtif. C'est lui l'aîné et pourtant, il agit comme le cadet. Son jumeau fait un bien meilleur grand frère que lui malgré qu'il soit le plus jeune.

- Moi aussi, je t'aime, Orion. Je suis désolé.

Désolé de te faire subir tout ça. Il pense sincèrement qu'il ne mérite pas le titre de grand frère. Qu'a-t-il fait pour sa moitié à part le faire souffrir? Rien. Il n'a rien fait. Il se doit de le protéger, mais ça a toujours été Orion qui l'a protégé. Il ne devrait en aucun cas lui faire du mal et pourtant, il lui en a fait bien plus qu'il en est permis. Sa culpabilité ne le laissera jamais tranquille. Pas dans cette vie. Ayant repris son calme, Corvus hoche la tête.

- Rentrons. Le sommeil aidera peut-être.

Il était surpris que sa voix ne tremble même pas après toutes les émotions qu'il venait de vivre. Cependant, il ne bougea pas tant que son jumeau n'initia pas le geste. Il était trop bien dans ses bras; il n'avait pas envie de s'écarter. Il ne sait pas combien de temps passa avant que les jumeaux se retrouvent finalement debout. Instinctivement, Corvus glisse sa main dans celle d'Orion. Lorsqu'ils entament le trajet les menant à leur destination, chaque fois qu'ils doivent traverser une rue, l'aîné angoisse beaucoup trop. Sans objectif qui l'aveugle, il est beaucoup plus conscient de cette angoisse piétonnière. Il a la crainte qu'à chaque fois, une voiture le renverse et le pousse définitivement dans le néant. Un chemin qui aurait dû durer seulement cinq minutes en dura le triple.

Les pas sont hésitants, apeurés. Ce qui se passe dans la tête de Corvus en cet instant est un véritable enfer. Il a cette peur viscérale qu'une voiture surgisse et le happe de plein fouet. Il en fait parfois des cauchemars horribles, à se réveiller en sursaut, trempé de sueurs glaciales. En l'absence de son jumeau, ses nuits sont mouvementées, effrayantes. Et alors, il flanche légèrement, sur le bord des larmes, lorsqu'Orion se retourne vers lui pour lui adresser la parole. Au début, les syllabes sont floues, il ne les comprend pas entièrement, mais le ton de sa voix suffit à l'apaiser assez pour qu'il puisse se concentrer sur ce qu'il lui dit. Une promesse qu'il le protégera. L'aîné hoche doucement la tête, déglutit, alors que ce n'est pas ce qu'il veut. Il veut être celui qui protège son frère, parce qu'il est le plus vieux et que c'est sa responsabilité. À ses yeux, du moins. Il voudrait être une personne meilleure qui le pousserait à être un meilleur frère pour Orion qui mérite bien mieux que la larve impuissante qu'il est. Une guerre invisible se livre dans son esprit déchiré, alors qu'un baiser se pose contre son front. Un contact qui lui fait fermer les yeux en soupirant doucement. Son identique possède un emprise terrifiant sur lui et c'est probablement ce qui l'inquiète le plus. Puis ils reprennent le chemin vers la maison. Un mot devenu tellement éphémère pour celui qui avait vu son monde s'effondrer dès l'instant où son corps avait lourdement heurté le sol dur de la rue. Il en tremblait, fébrile.

Les minutes sont longues où il tente tant bien que mal de repousser cette angoisse aveuglante avant de se retrouver devant la porte, le coeur battant la chamade. Il y a trop longtemps qu'il n'a pas franchi le seuil de cette porte. Il ne sait pas ce qu'il retrouvera derrière celle-ci, mais il en tremble d'appréhension. Orion la pousse et il peut vaguement distinguer l'intérieur de l'appartement. Doucement, à pas lents, Corvus entre dans l'habitation et son visage se déforme à cause des larmes qui l'assaillent. C'est absolument identique à ses souvenirs. Rien n'a changé et ça le frappe de plein fouet. Pourtant, il le sait que son jumeau a souffert de son absence, qu'il a sombré dans la tristesse de le voir absent de ses côtés. Qu'il l'aime plus que tout. Mais ça le happe de voir que rien n'a bouger, que tout est à sa place. Un sanglot lui échappe, alors qu'il s'avance délicatement, comme s'il avait peur de troubler la paix de cet endroit si familier et si réconfortant. "Orion...!" Qu'il souffle, le coeur en lambeaux. Il se met à espérer que tout cela ne soit pas qu'un simple rêve construit par ses envies les plus profondes. Que tout soit bien réel. Il n'a pas envie de se retrouver une nouvelle fois loin de cette moitié trop importante à sa vie. Essentielle.

Il trouve naturellement le chemin jusqu'à la chambre où ils ont dormi ensemble trop souvent. Celle d'Orion. Car l'aîné venait le rejoindre à presque toutes les nuits pour se blottir contre sa chaleur enivrante. Il n'y avait aucune place au monde où il se sentait bien que dans les bras de son jumeau. Cette âme soeur qui lui avait été donné dès la naissance, contrairement aux autres qui pouvaient passer leur vie entière à chercher la leur. Corvus avait la chance que ce soit son frère cadet. Il se retourne pour chercher du regard sa moitié, son univers, pour le trouver tout juste derrière lui. Nouveau sanglot qui lui échappe alors qu'il passe ses bras autour de lui pour cacher son visage contre son cou. L'étreinte dure quelques instants, le temps que le plus vieux des deux se calme un peu avant qu'ils ne se retrouvent blottis l'un contre l'autre dans le lit d'une proximité presque malsaine. Mais leur relation avait toujours été trop fusionnelle. Et pour eux, c'était parfaitement normal. Les membres empêtrés dans ceux de son jumeau, le visage contre son cou et le souffle apaisé, Corvus souffle doucement. "Je t'aime, Orion. J'espère que ça n'est pas un rêve..." Pourtant, le néant vient l'engloutir plus rapidement qu'il ne l'aurait espéré. Comme quoi, retrouver la chaleur de son identique avait un effet curatif sur lui.