Tout le monde rêve d'être l'élu, le gars cool qui sort l'épée de la pierre, le sorcier de 11 ans qui doit combattre le plus grand mage noir de l'histoire. On voudrait tous avoir un destin, une idée parfaitement claire de ce qu'on veut faire, de ce qu'on veut devenir...

Mais les élus, ce sont des histoires.
Des rêves.
Des idées.

Jamais la réalité.

Je m'appelle Eom Sawyer, j'ai 21 ans. J'ai passé une grande partie de ma vie à penser que je faisais partie de quelque chose de plus grand, qu’un destin fabuleux m’attendait. Il faut dire que tout semblait m’y destiner. Prenez les grands poètes, les écrivains, les films. C’est toujours le même type de gars qui emporte le combat à la fin. Un mec intelligent, un mec qui sait ce qu’il fait, ou qui ne sait pas mais qui est bien entouré. C’est souvent quelqu’un avec un destin tragique, mais pour que vous compreniez ça, il faudrait que je vous raconte tout ce qu’il m’est arrivé jusqu’à aujourd’hui, que je remonte vraiment loin, avant même d’arriver à la Yonsei… Et ce n’est pas forcément une histoire joyeuse, si vous voulez tout savoir.

Vraiment ?
Très bien.

Pour commencer, il faut savoir que je n’avais que dix ans, quand mes parents sont morts. Généralement, on invente tout un tas de conneries aux gosses, quand leurs parents meurent. On dit qu’ils sont partis, qu’ils ont fait un grand voyage, qu’ils sont dans un monde meilleur. Mais à dix ans, impossible de me faire croire à ces conneries. Je voyais bien les gens qui pleuraient, je voyais bien Skyla, dont je tenais la main… Et je m’y accrochais à cette main, comme si elle était la seule chose qui m’empêchait de m’effondrer, de disparaître en un petit tas de poussières misérables… Je savais déjà, à dix ans, qu’ils ne reviendraient plus, qu’ils allaient tout au plus être placés dans une boîte, oubliés. Parce que tout le monde fini par être oublié, vous y pensez parfois ? Vous pensez qu’il y aura toujours quelqu’un pour parler de vous, pour faire vivre votre mémoire, mais c’est faux. Un jour, vous allez crever, votre famille va crever, et vous ne serez même pas marqué dans l’histoire, pas même mentionné. Si, dans un document administratif de merde qui expliquera que vous avez eu la gastro-entérite pendant 2 semaines, dans les dossiers de votre médecin, ou un acte de naissance.

Enfin, je m’égare.

Et devant cette nouvelle horrible, vous savez ce que j’ai fait ? Ouais, évidemment que j’ai pleuré. J’ai versé toutes les larmes que j’avais à verser. Je me suis accroché à Skyla, même si je savais que ça n’allait pas ramener nos parents, même si je savais que c’était terminé, qu’ils étaient morts, et que la mort, c’était pour de bon.

Voilà comment je me suis retrouvé orphelin à même pas dix ans. L’aube de ma vie, comme diraient certains vieux pensants. Heureusement, Skyla était toujours là. C’est fou, hein ? Paraît que c’est comme ça qu’on reconnaît les élus, dans les films. Ils ont presque tout perdu.

Cinq ans plus tard, je passe le Suneung. Cinq ans ouais, j’avais un peu d’avance. Trois ans, ce n’est jamais que 1095 jours… Enfin, 1096, si y a une année bissextile dans l’histoire. Mais ça, je le savais déjà. J’étudiais avec des gamins plus vieux que moi depuis des années, et ça m’allait très bien comme ça. Comme on en avait discuté avec Skyla, je suis entré à la Yonsei avec l’argent dont on avait hérité après l’accident et auquel elle avait finalement eu accès. C’était ça notre plan : moi j’étudiais avec ce qu’on avait, et elle, elle s’occupait de l’argent en bossant à l’école.

En entrant à la Yonsei, j’avais rapidement trouvé mes marques, et je passais le plus clair de mon temps à l’université plutôt qu’à l’appartement que je partageais avec Skyla. C’était plus pratique : je pouvais étudier, dormir, aller faire mes recherches à la bibliothèque et parfois sortir sur le campus, sans devoir me taper les transports. Je continue encore comme ça aujourd’hui.

Évidemment, ça ne m’empêche pas d’aller voir Skyla de temps en temps, pour m’assurer que tout va bien. C’est un besoin. Elle a toujours été là pour moi, elle bosse pour me permettre de continuer mes études, et je sais que sans elle, j’aurais probablement perdu les pédales après la mort de nos parents. Je ne supporterais pas qu’elle ait des problèmes et de rester sans rien faire.

Ah oui, pour ce qui est de mes études en elle-même, j’étudie pour devenir médecin. Médecin chercheur, plus exactement. Comme je vous le dis depuis le début, il n’y a pas d’élus en ce bas monde. Les héros n’existent que parce que certaines personnes refusent de rester immobiles, parce qu’ils décident de mettre à profit leurs connaissances et leurs capacités pour les autres. J’aimerais faire partie de ces personnes. J’aimerais un jour sauver une vie, permettre à quelqu’un de ne pas finir comme Skyla et moi. Cela n’arrivera peut-être pas. Probablement jamais. Je sais que certaines morts sont inévitables et que tout le monde ne peut pas être sauvé, mais j’ai au moins envie d’essayer. Qui sait, peut-être qu’un jour, on lira mon nom dans les manuels d’histoire. Eom Sawyer, inventeur d’un remède miracle contre je ne sais quelle maladie réputée incurable ?

Et si ça arrive, ça ne sera pas le fruit du hasard.
Ça ne sera pas un coup du destin.
Ce sera le travail d’une vie passée.

En cadeau à toutes celles à venir.