- how can i impress you?
- be loyal behind my back.

Elle déteste cette foutue table à manger. Elle l'a même en horreur. Elle en a trop vu, trop entendu. Encore heureux que ce n'est qu'un meuble et qu'elle ne peut pas parler. Si c'était le cas, elle en aurait des choses à dire. Trop pour sa propre sécurité.

Si elle avait des cordes vocales, probablement qu'elle parlerait de cette fois, pendant une réception, où Ryu père avait pour habitude de laisser la petite dernière sur le bas côté, aux bons soins de sa mère, pour jouer les jolies petites princesses, et où l'espace d'un instant, petite Na Ri avait cru que ce même père lui portait enfin un vain intérêt, comme pour ses aînés. Mais petite Na Ri se trompait. Oui, il la présentait enfin à ce monde d'hypocrisie plaqué or, mais pas comme sa fille. Elle n'était qu'un investissement, une alliance possible et future. Elle n'avait même pas dix ans qu'il parlait déjà de mariage arrangé.

Cette soirée là marqua le début des frasques de la dernière de la fratrie. Fini les politesses et les sourires. Terminé les mensonges doucereux à des fins de bienséance aristocratique. Il voulait qu'elle soit bien sous tous rapports? Qu'il aille au diable. Qu'ils aillent tous au diable. Elle leur montrerait de quoi elle était capable.

Si cette table pouvait parler, elle peindrait un portrait de famille des plus tristes et fades. Une sœur aînée qui court sans fin après une reconnaissance paternel qu'elle n'aura jamais, deux frères nés enfants-rois libres d'agir comme ils le veulent, une mère effacée que tout le monde méprise, un père aveugle à sa progéniture si ce n'est pour leur rôle d'héritiers. Il n'y a aucun lien entre eux, aucun cœur.

Des repas ponctués de silences et de piques lancées au travers des plats, flèches d'acide qui visent toujours les points faibles. Personne ne s'intéressent à personne, chacun fait sa vie dans son coin.

La seule qui s'inquiètent de tout le monde, c'est la mère. Elle qui se fait constamment rabaisser ou renvoyer à ses occupations ménagères. Elle dont personne ne se préoccupe jamais. Na Ri non plus de la portait pas dans son cœur, au début. Mais son opinion changea avec Jae.

Jae? Il était une tête de mule qui ne craignait rien ni personne. Un idiot fini, qui avait réussi par on-ne-sait quel miracle à entrer dans le cœur de Na Ri. Elle qui l'avait renvoyé dans sa caisse un bon nombre de fois, l'avait observé revenir à la charge avec un amusement dissimulé. Il avait percé à jour la rébellion qui grondait en elle, et lui avait fait pousser des ailes.

Elle l'avait sincèrement aimé, Jae, plus qu'elle ne le lui avait jamais avoué. Lui avec qui elle avait fugué le soir pour taguer les murs et regarder les étoiles. Lui qui l'avait toujours faite rire dans les pires moments. Lui qui s'était entêté à l'appeler princesse pour l'emmerder. Lui que les Ryu n'avaient jamais accepté. Lui qui avait poussé Na Ri à prendre confiance en ses idées et en son talent. Lui pour qui elle a créé sa propre entreprise des années après. Lui qu'une voiture lui avait fauché pour toujours.

La seule qui ne l'avait jamais critiqué, c'était sa mère. La seule qui avait assisté à l'enterrement avec elle, c'était sa mère. La seule qui était venue la voir quand elle pleurait, c'était sa mère. La seule qui avait toujours été là, c'était sa mère.

Na Ri avait mis du temps à comprendre. Et depuis cet événement fatidique, elle se fit la promesse de toujours veiller sur elle, et de la soutenir comme elle ne l'avait jamais fait jusque là.

Elle  s'était tellement rapprochée de sa mère, que le jour où le père Ryu leur présenta ce fils sorti de nulle part, autour de cette même foutue table, la première chose que Na Ri fit, ce fut de regarder sa mère, et de sentir sa douleur. Mais elle avait souri malgré tout, et cette vison avait donné naissance à une rage sourde dans le cœur de sa fille. Une rage qui n'était pas dirigée vers ce pauvre garçon qui se retrouvait plongé dans une famille dont il ignorait tout. Non. Elle était tournée contre ce père qui s'extasiait sur ce nouveau venu, sans voir la peine et la douleur qu'il causait autour de lui.

Si voir sa sœur aînée craindre pour son trône est des plus divertissants, le spectacle du paternel qui cherche tellement à se rapprocher de ce fils prodigue la rend malade. Mais ce qui l'intrigue au plus haut point, c'est ce même fils prodigue. Lui qui les évite tous le plus possible, et qui semble refuser ce lien avec ce père après lequel ils courent tous.

Peut-être ont-ils tous deux, Na Ri et lui, plus de points communs qu'ils ne le pensent?

Et peut-être qu'une fois encore, cette table qui trône au centre de cette maison étrange, aura encore de quoi raconter des histoires à n'en plus finir.

Si seulement elle pouvait parler...