La conscience désormais plus tranquille maintenant qu’il s’était assuré de pouvoir rejoindre les bancs de la fac à la rentrée prochaine, le jeune homme fit un rapide saut à la salle des professeurs pour partager la nouvelle et confirmer à l’un de ses professeurs qu’il pourrait continuer à l’assister comme il l’avait déjà fait auparavant avant de faire son service militaire. Si ce dernier lui proposa de commencer dès aujourd’hui en l’assistant au prochain cours magistral qu’il s’apprêtait de donner, Daeul ne put que décliner en prétextant une obligation ailleurs. Une obligation qui ne répondait qu’au seul nom de sa meilleure amie, Dayoung. Sourire aux lèvres, l’impatience et l’excitation du garçon étaient plus que palpables par les grandes foulées qu’il prenait pour se diriger vers le bâtiment où la sango se trouvait. Rien ne le pressait réellement, si ce n’est l’envie de pouvoir lui faire une surprise. S’il lui était difficile d’ignorer le planning de la jeune femme tant il le connaissait et que chaque semaine se ressemblait plus ou moins pour elle – elle, en revanche, ne connaissait pas ses plans tant il pouvait les décider du jour au lendemain. Techniquement, il était en vacances jusqu’à la rentrée prochaine.

Afin de ne pas attirer l’attention du professeur, par précaution, s’il avait rabattu la capuche de son sweat sur la tête, il attendit que celui-ci tourne dos aux étudiants pour pousser la porte de l’amphithéâtre et s’enfoncer dans l’obscurité ambiante. Ayant déjà repéré sa meilleure amie avant d’avoir poussé la porte, il s’installa à côté d’elle, mais au lieu de l’interpeler normalement, il mit son sac sur la table et y cacha son visage – l’exemple parfait de l’étudiant retardataire qui vient prolonger sa sieste. Pour autant, s’il ne lui faisait pas face, il tendit simplement la main en sa direction « je pourrais avoir du papier et un stylo, j’ai oublié mes affaires chez moi ». Un simple murmure, mais qui cachait une hilarité interne. Il se demandait comment elle allait réagir. Pour lui, c’était une évidence, elle ne pouvait pas l’avoir reconnue.

La tête reposant lourdement sur ta main, tu luttes du mieux que tu le peux pour ne pas t'endormir. Faut dire que ce cours est d'un ennui mortel... Tout comme ce prof remplaçant que l'on vous a collé, il y a maintenant quelques semaines. Et si l'on ajoute à cela le fait que tu n'as que très peu dormi cette nuit - voilà ce qu'il en coûte de passer des heures au téléphone avec ton meilleur ami - tu n'es clairement pas certaine de pouvoir tenir encore longtemps, quand bien même la sonnerie annonçant la fin de ton supplice devrait retentir dans un peu moins d'une demi-heure. Allez Da Young, reprends toi ! Te redressant légèrement, tu tapotes discrètement tes joues et attrapes un stylo, bien décidée à faire quelques efforts durant les trente dernières minutes. Toutefois, et alors que tu tentes tant bien que mal de te concentrer sur les dires de ton professeur, dont la voix aussi soporifique qu'une berceuse chantée par Rondoudou pourrait te faire replonger à tout moment, tu arques un sourcil lorsqu'une main sauvage se dresse presque au dessus de ta feuille. « Franchement... » Tu roules légèrement des yeux, quelque peu blasée, et reprends à l'attention de ton voisin que tu n'avais même pas entendu arriver (c'est pour dire à quel point t'étais totalement déconnectée) : « Y'a pas écrit "trousse" sur mon fr... » Cependant, t'es stoppée dans ton élan, quand tu reconnais enfin le dit voisin. « Da-Daeul ? Mais qu'est-ce que... ? » Tu te disais bien que cette voix tu la connaissais. Et pour cause... Il s'agit ni plus ni moins de ton meilleur ami. Celui là même pour lequel tu as sacrifié quelques heures de sommeil, la nuit dernière... « Quelque chose ne va pas, Mademoiselle Lee ? » Te redressant brusquement sur ta chaise, tu reportes ton attention sur le professeur, te rendant alors compte que celui-ci mais aussi grand nombre de tes camarades te regardent, une expression interrogatrice sur le visage. Te mordillant légèrement la lèvre inférieure, tu t'empresses donc de répondre : « Non, non, tout va bien ! Je... Ce n'est rien ! Je suis désolée de vous avoir interrompu. » Puis, lorsque ce dernier, après avoir haussé les épaules, reprend finalement son cours, tu te tournes de nouveau vers ton meilleur ami, lui administrant un coup de coude au passage avant de murmurer : « Yah, idiot ! Qu'est-ce que tu fais ici ? J'ai failli mourir d'une attaque, moi ! » Et, qui plus est, tu viens de passer pour une folle aux yeux de tout l’amphithéâtre...

Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait à devoir se faufiler à l’intérieur d’un amphithéâtre alors que le cours magistral était plus que bien avancé. Il devait ces diverses expériences qui s’étaient soldés soit par un échec, soit par une réussite, à ses quelques retards, mais aussi en allant voir sa meilleure amie. Le plan parfait pour ne pas avoir le nez dans le téléphone et chopper un torticoli, de ne pas avoir à attendre que le réseau revienne pour recevoir une réponse, de ne pas s’exaspérer des dix pour cents de batterie restant. Si pendant deux ans, il n’avait pas pu réitérer le méfait, il était présentement assis à côté d’elle, à contenir tant bien que mal son rire. Bien que l’idée de partager ses affaires avec un camarade venu assisté au cours tel un passager clandestin perdu dans le système de l’éducation ne le dérangeait pas, même si concrètement il lui était difficile de sortir du papier et des stylos quand lui-même prenait ses cours sur l’ordinateur portable qu’il trimballait, il savait que ce n’était pas la question à poser à sa meilleure amie. Non pas qu’elle ne soit pas généreuse, bien au contraire puisqu’il ne connaissait personne de plus adorable qu’elle, mais ne pas venir avec ses fournitures alors que l’année universitaire touchait à sa fin dans quelques mois, ça craignait et puis, il devait plaider coupable du nombre d’heure de sommeil qu’elle avait au compteur.

Sans bouger d’un iota, caché par un élève devant lui, Daeul se mord les lèvres inférieures pour ne pas s’esclaffer. Tout sourire, ses traits se déformèrent en l’espèce de quelques secondes en une grimace comique – aïe, même pas mal, enfin un peu, elle a de la force dans les bras, Da Young. « Shhhht, ne sois pas aussi bruyante ou il va encore te cramer » lui intime-t-il en plaquant son index contre ses lèvres bien moqueuses, avant de se redresser un peu pour mieux caler sa tête contre son sac-oreiller. « Et puis, tu as juste failli, c’est le plus important parce que je ne peux pas vivre sans toi ». Lui sans elle, il ne se l’imaginait pas un seul instant et l’idée même, le dévastait. Il se redresse pour se pencher vers elle, « je suis venu te chercher, et comme j’ne savais pas à quelle heure tu terminais… bah j’suis entrée » tout simplement.

Alors que le professeur t'interpelle et que de nombreuses paires d'yeux te fixent, tel une bête de foire, tu ne peux t'empêcher de serrer les dents en entendant ton idiot de meilleur ami pouffer à tes côtés. C'est ça, marre toi... Mais rira bien qui rira le dernier. Car, oui... Tu ne comptes pas en rester là... Lui lançant d'ailleurs un regard noir – mais niveau crédibilité, on va dire que ça frôle facile le 0 – tu te dis que ce petit coup de coude dans les côtes, ce n'est vraiment rien à côté de ce qu'il aurait normalement dû recevoir pour la frayeur qu'il t'a faite. Sans compter qu'à cause de lui, la quasi-totalité, si ce n'est l'entièreté de l’amphithéâtre te prend maintenant pour une dinguo qui s'excite toute seule de son côté. Et, très honnêtement, de ce genre de réputation, tu t'en serais bien passée... Mais si seulement t'étais au bout de tes peines... Car voilà que Monsieur exige de toi un peu plus de discrétion, à présent. La bouche formant un "o" de stupéfaction, tu finis donc par lâcher, en chuchotant : « Non mais je rêve ?! Je te ferais dire que c'est de ta faute si je me suis faite cramer, idiot ! » Puis, une moue faussement boudeuse vient prendre possession de ton visage alors que tu croises les bras sur ta poitrine, le nez légèrement froncé. « Franchement, t'as de la chance que moi aussi je ne puisse pas vivre sans toi. » Plissant ensuite les yeux lorsqu'il se penche vers toi, tu le regardes, un tantinet suspicieuse, mais tes lèvres s'étirent finalement en un sourire amusé, à ses paroles. « Tss, l'excuse... Comme si tu ne pouvais pas m'attendre devant la salle... » Cela dit, est-ce que cela te dérange que ton meilleur ami ait préféré te rejoindre dans l’amphithéâtre ? Si on oublie la pseudo crise cardiaque que tu as faite, pas le moins du monde à vrai dire... Haussant les épaules, tu finis donc par t'exclamer : « M'enfin, c'est pas plus mal que tu sois là parce que je commençais sérieusement à piquer du nez... » Et autant dire que c'est assez rare venant de l'étudiante studieuse que tu es, d'ordinaire. « Mais dis moi... ?! Qu'est-ce que tu fous à la Yonsei ? J'veux dire, même si je sais que je suis merveilleuse et que, pour cette raison, tu ne peux plus te passer de moi, j'ai du mal à croire que tu sois venu jusqu'à l'université seulement pour me voir ! »

Devant la mine stupéfaite de sa meilleure amie, ses yeux se firent plus rieurs. Sa main gauche plongea dans sa poche, à la recherche de son sachet de petits ours gélatinés, mais le temps lui manquait – ou plutôt, impossible de faire taire Dayoung plus de cinq seconde – pour qu’il puisse lui en fourrer un dans la bouche. « En attendant, ce n’est pas moi qui me suis fait prendre ! » s’exclama-t-il en guise de défense à sa plus grande fierté, car le sourire qu’il abordait n’en était que plus victorieux. Tout ce qu’il avait fait, c’était de s’incruster parmi les étudiants déjà installés dans l’amphithéâtre, et s’assoir à côté de sa meilleure amie en lui demandant de prêter ses affaires. Rien de plus, ni de moins. La voyant croiser les bras, le jeune homme poussa vers elle son sachet de bonbon, en guise de réconciliation même s’il ne se sentait absolument pas désolé pour elle. Quelle idée de parler aussi fort ? « Je le sais, c’est pour ça que même si c’était de ma faute, tu ne m’en voudras pas », il hausse les épaules avec nonchalance avant de croiser les bras sur la table et y poser sa tête, et ce, sans la quitter du regard. Il ne voulait pas que le professeur remarque sa présence et qu’il justifie sa présence dans l’hypothèse où il ne le reconnaîtrait pas, mais en même temps, c’était plus simple pour lui de pouvoir parler à Dayoung ainsi.

« Tu m’aurais fait attendre tout seul, dans le froid qui plus est ? », cette fois, son sourire le quitta pour laisser place à une mine plus pathétique, cherchant la sympathie de sa « tortionnaire », mais ce fut de courte durée, « sauf qu’après réflexion » chose qui résumait un court arrêt d’une demi-seconde au moment où il allait se faufiler dans l’amphithéâtre, « je me suis dit que tu ne m’aurais jamais laissé tout seul dans le froid à t’attendre, et me voilà ! Surprise ? Cache surtout pas ta joie. ». Daeul n’avait pas besoin de l’entendre pour le savoir, il le savait et cela suffisait. Il lui dérobe le stylo qu’elle tenait entre les mains pour dessiner en haut de sa prise de note, un smiley tout sourire. « Parce que je ne peux justement plus me passer de toi, que je suis venu à l’université pour me réinscrire. Je ne pourrais pas passer une troisième année sans toi… ! Loin des yeux près du cœur, c’est devenu insupportable. » Tragique. Théâtralement tragique, mais surtout pas crédible quand il aborde à la fin de son petit monologue, un sourire narquois. Il sourit pour résumer ses deux années, il sourit pour ne pas repenser à ce qu’il l’avait poussé à « tout quitter », pour s’engager alors même qu’il n’avait pas encore obtenu son diplôme de licence. « Tu finis à quelle heure d’ailleurs ? »

On va pas se mentir, quand il s'agit de Da Eul, t'as tendance à laisser passer un peu trop de choses. Après tout, à sa place, un autre aurait certainement subi les foudres de Lee Da Young. Mais, c'est un fait... A ce jour, ton meilleur ami est peut-être la seule personne sur cette planète qui soit capable de te rendre à ce point docile et patiente. Un vrai petit agneau... Quoique, pas trop non plus car si, sur le moment, tu te contentes seulement de bouder, il y a de très fortes chances que tu sois déjà en train de penser à la façon dont tu pourrais te venger. Oh, bien sûr, tu n'as pas non plus l'intention de lui faire du mal mais il se pourrait bien que le jeune homme en fasse quand même quelques cauchemars par la suite. Parce que même si tu ne lui en veux pas et ne lui en voudras certainement jamais pour quoique ce soit - chose que le jeune homme se targue d'ailleurs de te rappeler - tu ne peux cependant pas le laisser s'en tirer à si bon compte. Par principe... Piochant d'ailleurs dans le paquet de bonbons que te tend le jeune homme, tu plisses légèrement les yeux, un fin sourire un brin malicieux accroché au visage, et hoches simplement les épaules à ses paroles, avant de finalement t'exclamer : « Je trouve que tu es un peu trop sûr de toi... » Mais, encore une fois, rira bien qui rira le dernier. En attendant, tu te contentes de gober rapidement ton bonbon et une expression des plus amusée vient doucement étirer les traits de ton visage alors que tu lèves les yeux au ciel, devant le jeu de ton meilleur ami. « Pauvre petit chou... Il fait pas si froid que ça... » que tu lâches alors, dans un murmure. Mais, bien vite, l'expression amusée que tu arbores s'efface pour laisser sa place à de la surprise, lorsque Da Eul t'annonce l'objet de sa présence à l'université. Et, de nouveau, la côte de ton meilleur ami est prise pour cible par ton coude, alors que tu reprends, toujours en murmurant – c'est que t'as compris la leçon, à présent - : « Yah ! Et c'est seulement maintenant que tu me préviens que tu comptais t'inscrire aujourd'hui ?! » Pourtant, c'est pas comme s'il n'en avait pas eu l'occasion. Après tout, encore hier soir, vous étiez au téléphone jusqu'à pas d'heure. « T'es vraiment irrécupérable... » En même temps, à quoi t'attendais-tu de la part de la tête en l'air qui te sert de meilleur ami ? « Mais attend ! Du coup, ça veut dire que je vais devoir te supporter ici aussi ? » A ton tour, maintenant, de te la jouer dramaqueen... « Seigneur, Jésus, Marie, Joseph... Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu pour mériter ça ?! » La moue taquine, tu récupères ton stylo des mains de ton meilleur ami, mais lorsque tu jettes rapidement un regard vers le tableau sur lequel défilent nombreuses diapositives, tu abandonnes finalement l'idée de te reconcentrer sur le cours, celui-ci ayant pas mal avancé en 5 minutes – perdue pour perdue, après tout – et tu reportes ton attention sur le jeune homme. « Je finis dans une vingtaine de minutes... » Et oui... Encore vingt minutes de supplice. « Et j'espère que t'as prévu quelque chose de cool pour la suite parce qu'à cause de toi je vais certainement devoir aller faire les yeux doux à l'un de ces gens, dans l'espoir qu'ils me prêtent leur cours pour que je rattrape les quelques minutes que j'ai raté à cause de toi, et rien que d'y penser... » Laissant ta phrase en suspend, tu lâches un soupir faussement contrariée, pas sérieuse le moins du monde. Parce que tu ne pouvais pas espérer mieux que l'intrusion de ton meilleur ami pour t'arracher à ce cours soporifique. Pour autant, t'espères bel et bien que le garçon a prévu quelque chose pour la suite. Faut dire que, mine de rien, ça fait un bail que vous n'avez pas passer un peu de temps ensemble, si on oublie vos conversations téléphoniques sans fin. Et puis, faut bien fêter sa seconde admission à la Yonsei, non ?

Le peu de talent qu’il dispose en manipulation, il le déploie brillamment que pour se jouer de sa meilleure amie qu’elle me maudisse et le pardonne dans le même soupire. Plus cela l’amuse et plus il en abuse, car il sait que les moments où il a le dessus ne durent jamais longtemps, qu’à trop en rire, il se prendra ce que d’autres appellent le « karma » et que lui appelle « Dayoung ». Tant qu’ils sont dans cette pièce, il est protégé par le maître des lieux – alors il continue à se jouer d’elle, à profiter de la surprise et du fait qu’elle ne s’attendait pas à le voir là. « Et pourquoi je ne le serai pas ? » lui demanda-t-il tout sourire, piochant à son tour dans le sachet de bonbon avec précaution. Sourire qui laissa place à une grimace de dégoût à l’entente de la voix (faussement) compatissante de sa voisine, « c’est vrai qu’à côté d’un cœur de glace, j’ai l’impression qu’il fait soudainement plus froid de ce côté-là » ajoute-t-il en la pointant du menton, retrouvant le sourire. Même s’il enquiquinait sa meilleure amie, Daeul faisait attention à l’endroit où portait la voix du professeur de sorte à pouvoir ajuster sa position et rester en dehors de son champ de vision. S’il veillait à chuchoter, il ne pouvait pas retenir une quinte de toux quand il manqua de s’étouffer avec son ourson de gélatine à cause d’un cou bien placé au niveau de ses cotes. Davantage recroquevillé sur son siège, pour éviter tout contact visuel avec le professeur, il se frappe le torse à plusieurs reprises pour tenter de ne pas s’étouffer avec le bonbon. S’il réussit à déglutir avec difficulté, il ne manque pas de noter, que Dayoung se moquait de finir avec un cadavre dans les bras à la fin du cours. À quoi bon de se réinscrire à la faculté, si c’était pour déjà crever maintenant ? Il se racle la gorge avant de lui offrir, malgré tout, un sourire victorieux (pas d’avoir réussi à ne pas mourir étouffer, bien sûr), « c’est la définition même de la surprise que d’omettre les détails les plus importants pour créer un sentiment de trahison court mais positif » - selon son propre Larousse – « tu m’as jamais posé la question aussi… » rétorque-t-il en haussant les épaules, « ou alors j’ai oublié… mais maintenant tu sais ! ».

Par réflexe, ses bras entourent ses cotes pour se protéger de toute éventuelle attaque sournoise, après avoir pris le soin de décaler le paquet de bonbon vers elle, manifestant de son intention de ne plus s’en resservir pour écarter toute hypothèse de mort par étouffement. « Fais pas genre, si je n’étais pas revenu, tu aurais accouru à la prochaine messe pour demander que je me ramène… J’ai évité que tu fasses saigner les oreilles à qui veut bien t’écouter parler plus de trois secondes ». Il tente de récupérer le stylo qu’elle lui dérobe, mais ne pouvant pas réellement chahuter avec elle, il profite pour lui chiper simplement sa trousse – il avait encore 20 minutes à devoir défendre ce bien qui ne lui appartenait pas, pour ça il n’hésitait pas à taper sur toute main intrusive. « Ma présence, c’est l’évènement en lui-même… ! Pourquoi est-ce que je dois prévoir autre chose encore ? » argua-t-il, faussement blessé par l’insensibilité de Dayoung, avant d’ajouter plus sérieusement – ou théâtralement , « en même temps, si tu arrêtais de me regarder pour te concentrer sur ton prof, ce serait plus simple pour toi de suivre le cours ». À vrai dire, il disait cela mais réfléchissait à l’instant à ce qu’ils pourraient faire à la fin du cours car il n’avait strictement rien prévu. Son plan de la journée se résumait à s’inscrire pour la rentrée prochaine à la fac, et puis faire la surprise à la meilleure amie en envahissant son amphithéâtre. Rien d’autre. Il scrute la brune, pour tenter de dépecer ses pensées… « on pourrait manger… un truc ? »

C'est vrai que tu te traînes un sacré caractère. Et c'est également aussi un peu vrai que t'es plutôt du genre "je me fais passer avant les autres et si j'ai encore un peu d'énergie ensuite, peut-être que je pourrais leur accorder un peu d'importance à eux aussi". Mais de là à te qualifier de cœur de glace... Surtout que ce n'est pas de n'importe quelle bouche que ces mots proviennent et si, sur cette planète, il y a bien une personne qui ne peut pas "t'accuser" d'être à ce point insensible, c'est clairement Daeul... Parce qu'il sait très bien tout au fond de lui que le savoir mourir de froid, là, dehors, t'aurais certainement fait plus de mal qu'à lui. Et parce que, finalement, ce petit coup de coude que tu lui administres, ce n'est rien du tout ! Alors, certes, pendant quelques secondes, ton meilleur ami manque de s'étouffer et, hormis jeter quelques regards vers le professeur pour t'assurer qu'il ne vous remarque pas, tu ne fais pas grand chose pour l'aider. Mais, très franchement, coeur de glace... N'est-ce pas un brin trop exagéré ? D'ailleurs, en parlant de cœur, tu sens que le tien est à deux doigts de se briser en mille morceaux face aux paroles de celui qui se dit pourtant être ton meilleur ami et une moue boudeuse vient alors prendre possession de ton visage, tandis que tu te retiens de lui envoyer un autre coup dans les côtes. « Tsss... »  C'est alors la seule chose que tu parviens à articuler quand le jeune homme te fout en quelque sorte le nez dans ton caca. Parce que c'est vrai que tu aurais pu lui poser la question... Et c'est aussi vrai que tu fais preuve d'une mauvaise foi terrible quand tu affirmes que devoir à nouveau croiser ton meilleur ami dans les couloirs de la Yonsei t'ennuie. A vrai dire, t'es même déjà en train de réfléchir à tous ces petits moments pendant lesquels vous pourrez vous retrouver – et, toi, l'embêter – mais, tu le sais, ce serait lui faire trop plaisir que de l'avouer alors, cette expression exagérément hautaine accrochée au visage, tu préfères t'enfoncer un peu plus dans ta mauvaise foi. « Ne prends pas trop tes rêves pour la réalité ! Tu n'es pas si indispensable à ma vie que tu le penses... » Pourtant, n'est-ce pas toi, il y a de cela quelques minutes, qui disais que tu ne pouvais pas vivre sans lui ? Petit trou de mémoire, faut croire... Cela dit, t'as pas tellement le temps de t'attarder sur ce détail, à présent bien trop occupée à tenter de récupérer la trousse que Daeul t'a shippé. Heureusement que t'as définitivement abandonné l'idée de suivre ce cours... « Comment veux-tu que je me concentre avec un idiot qui n'arrête pas de gesticuler à côté de moi ?! » Laissant échapper un soupir, tu te résous à abandonner – chose très inhabituelle chez toi – lui laissant finalement ta trousse. Parce que vos petites chamailleries, c'est cool deux secondes mais si, de ton côté, tu risques une petite réprimande tout au plus, il serait quand même assez fâcheux que ton meilleur ami se fasse déjà remarquer alors qu'il vient tout juste de se réinscrire. D'ailleurs, tu comptes bien fêter cette réinscription, alors quand le jeune homme te propose d'aller manger un bout à la fin du cours, tu as comme une illumination. « Oh ! J'ai entendu parler d'un nouveau restaurant pas loin d'ici ! Ça pourrait être sympa ?! » Un restaurant servant des plats, tout ce qu'il y a de plus traditionnels. Toutefois, de ce que tu as entendu, la Ajumma qui en est propriétaire a, parait-il, un vrai don et sa cuisine serait, si tu en crois certaines personnes, exceptionnelle. Alors, pourquoi pas ? « Après ça, on n'a qu'à aller traîner en ville ? » Un petit après-midi chill, en perspective. Quoique, ça dépend pour qui... « Comme ça, tu pourras te faire pardonner d'avoir omis de me prévenir que tu comptais te réinscrire à la Yonsei en portant mes sacs ?! J'ai absolument besoin de nouveaux vêtements ! » Parce que, oui... Pour toi, traîner en ville, ça veut souvent dire arpenter toutes les petites friperies du coin... Pauvre Daeul...

Retrouver Dayoung, la provoquer, s’attirer ses foudres pour certainement en pâtir plus tard, lui avait manqué plus qu’il ne le pensait. Aujourd’hui ne marquait pas leur première retrouvaille après ses deux années de service à l’armée, cela aurait pu être le cas mais ils ne se sont jamais réellement perdus de vue – et elle y avait personnellement veillé. Lui qui pensait tout laisser derrière lui, prendre le large pour noyer sa peine, ou tout simplement la fuir, n’avait jamais réussi à lever l’ancre bien longtemps. Peu importe les excuses trouvées, les moyens déployées, face à la ténacité (et les menaces) de sa meilleure amie, il lui était impossible de décliner ses visites. Elle avait décliné toutes les occasions qu’il lui avait donné pour l’abandonner. Maintenant, elle devait prendre ses responsabilités à son égard jusqu’à sa mort, et même au-delà: il lui était impossible de vivre sans elle, aujourd’hui plus qu’hier. Peu importe ses mots, il comptait toujours revenir. « Ce n’est pas ce que tu as dit plus tôt… Mais ne t’en fais pas, même dans la maladie, démence ou autre, je veillerai à te rappeler à quel point tu m’aimes et ne peux vivre sans moi, même quand tu seras toute petite et toute ridée » déclara-t-il dramatiquement en la regardant avec compassion, donnant de petites tapes amicales sur l’épaule de sa meilleure amie et retirant sa main au moindre geste brusque de cette dernière. Même s’il était dans l’exagération, il se devait de noyer sa sincérité en faisant le crétin. La trousse en main, prête à la défendre, son regard est viré sur les mains de la demoiselle mais face à sa non-résistance, il parvient à déduire qu’elle avait renoncé à prendre de quelconques notes. « Dans ce cas, t’es aussi idiote que l’idiot qui gesticule à côté de quoi car si tu ne l’étais pas, tu ne te laisserai pas déconcentrée » rétorqua-t-il en haussant les épaules. Et bim, fasse à cette logique im-pla-ca-ble que pouvait-elle faire ? Rien, rien, et cela suffisait à le faire rire silencieusement tout seul. Il acquiesce à la suggestion – lui qui pensait simplement aller au réfectoire de l’université ne pouvait qu’approuver l’idée. « Cela pourrait être sympa effectivement… ! », en plus de bien manger, il réalisait que cela lui permettrait de faire un petit repérage des lieux. Après deux années d’absences, il se doutait que la ville n’allait pas retenir son souffle le temps qu’il revienne. Mais plus il écoute Dayoung, prise dans son élan, plus il plisse des yeux. Il réalise le danger dissimulé derrière ces suggestions. Son instinct lui murmurait de fuir. « Traîner en ville » sonnait comme une « prise d’otage », ou encore « esclavage des temps modernes » soudainement. Il renifle, avant d’attraper la trousse et la rendre à sa propriétaire. Il l’ouvre et met le stylo dans les mains de meilleure amie après l’avoir agité, décrivant de petits cercles avec d’un mouvement de poignée : « Oubliette ». Il rabat sa capuche, croise les bras sur la table et y plonge sa tête. Il reste ainsi quelques secondes avant de tourner la tête vers sa voisine, relevant légèrement sa capuche, « Tu me dis quand on part manger, j’ai tellement faim que je pourrais passer même vider un frigo o-la-la-la », sous-entendu, y rester jusqu’à la fermeture s’il faut.