Sa voix claque, plus fort que les autres fois. Aurait-il finit par la brusquer ? Il en souriait presque, victorieux de créer chez elle une émotion. Quelque chose qui sort de ses tripes pour une fois. Car il en a marre de voir son ombre. Il recule, lui jette un regard mauvais tandis que ses paroles se fraient un chemin jusqu’à son cœur. Elle n’en a pas… des excuses. Elle ne lui en fera pas, mais il s’en fout. Ça fait bien longtemps qu’il ne les veut plus. Pourtant, ses révélations le glace, ses mots, le brise alors qu’il garde la tête froide. Il la hait, encore plus lorsqu’elle ose évoquer leur fils, cet abandon. Son enfant à lui. Celui qu’il a chéri, qu’il a aimé plus que tout. Et sans elle ! Comment ose-t-elle ? Son sang boue, alors qu’il serre les poings. Subitement agacé, il perd la raison, le contrôle qu’il pourrait avoir « Je t’interdis de prononcer son nom ! Tu m’entends ? Plus jamais tu parles de mon fils comme ça ! » Et il est en colère. Comme un père qui voudrait protéger sa progéniture. Jed pourrait tuer pour Ewen. Il le sait, se fait peur à lui-même d’aimer un être autant qu’il l’aime. « Comment tu peux me dire des choses pareilles ? Que je me batte ? Mais putain, ça fait cinq ans que je me bats. Cinq années, que je dois tout faire tout seul parce-que t’as décidé de te barrer. » Qu’est-ce qu’elle croit ? Qu’elle puisse se permette de lui donner des conseils ? De le trouver courageux ? Il n’a pas besoin d’elle. Ni de ses mots. Il s’approche d’elle, devient menaçant. Son regard si noir, qu’il pourrait la transpercer sur place. Il n’y a plus une once d’amour dans ses yeux. Que de la haine, du méprit alors qu’il continue « Mais bien sûr que ça a été facile pour toi Wen. Parce-que t’étais loin de tout. T’étais dans ta petite vie bien tranquille. Me dis pas que t’as souffert dans ta baraque. Avec tout ton pognon qui te coulait entre les mains. Tu veux que je parle des nuits où j’ai trimé comme un taré juste pour offrir un jouet à mon fils ? Est-ce que tu veux qu’on parle de la fois où j’ai failli dormir dans la rue avec lui, parce-que je n’avais pas assez d’argent pour payer le loyer ? » Sa respiration est forte. Ses gestes nerveux. « Me parle pas de ta vie putain. J’en ai rien à foutre de ce que tu faisais. La seule chose que je sais c’est que t’étais pas là !!! T’étais pas là merde ! » Et c’est bien la première fois qu’il lui prononce ces mots. Comme les rendant plus vrais. Plus réel. Parce qu’ils sont pour elle. Parce qu’elle est là en face de lui. Et ça le rend faible. Ça l’anéanti alors qu’il souffre… « Que… que tu m’aimais plus c’était une chose. Mais que tu sois partie alors qu’il était là !!!! Ça je te le pardonnerai jamais. Tu m’entends jamais !! » Et il hausse la voix. Hurle presque, tant la rage le consume. Il n’a jamais dit ces choses-là à Wen. Il les a pensés, si souvent. En a parlé avec d’autres… mais c’est elle. La responsable de tous ses malheurs. « Tu l’as laissé. Tu l’as privé d’une mère ! » et si elle savait, les premiers mois ont été si difficile. « T’étais pas là quand il pleurait toute la journée. Qu’il te réclamait. T’étais pas là non plus quand il souffrait de malnutrition… parce-que je me laissais crever en attendant que tu reviennes. » et il serre les dents, la rage lui fend le cœur. Il se retient, la mâchoire crispée « Et t’ose me dire que t’as pas d’excuses ? »

Ne pas pleurer. Ne pas craquer. Pas devant lui. Supporter sa colère. Ses paroles. Elle mérite de les entendre. Evidemment qu’elle lui doit toutes les excuses du monde. Elle aimerait tant lui dire la vérité. Ça ne pourrait jamais effacer les 5 années d’absences mais peut-être que ça pourrait … rien qu’un peu, soulager un peu leur colère. Mais peut-être qu’elle a été trop égoïste dans cette histoire et que les coups reçus lui ont toujours donné l’excuse de ne pas assumer qu’elle les avait abandonnés. Comment aurait-elle pu faire autrement ? Si elle lui avait tout dit il aurait cherché un moyen de la revoir, de la recontacter. Elle savait, avec certitude qu’elle avait fait le bon choix. Parce qu’il se serait battu pour elle. Quand elle le voit si furieux, si blessé, quand elle entend sa voix qui flanche et son visage déformé par la colère … elle sait qu’il l’a aimé si fort qu’aujourd’hui cet amour s’est transformé en haine … il aurait tué son mari, elle en était certaine. Il aurait fait la pire des folies pour la retrouver … Il aurait gâché sa vie pour elle, c’était certain … Elle a envie de lui caresser la joue, de lui dire que tout ira bien. Qu’elle a conscience de sa douleur, qu’elle est fière de lui quand bien même il s’en moquerait bien. Elle voudrait lui dire qu’il s’est battu si bien depuis le début. Qu’il a toujours fait ce qu’il fallait. Qu’elle était là maintenant, qu’il pouvait se reposer sur elle, rien qu’un peu … mais cette douce utopie volait en éclat à chaque éclat de voix du garçon. Elle encaissait ses mots douloureux, savait déjà qu’elle pleurerait les larmes de son corps ce soir mais … mais elle avait décidé d’être forte. Elle ne pleurait plus. Elle ne pleurerait pas devant lui, surtout parce qu’elle savait qu’elle n’avait pas le droit de se montrer blessée et triste. Parce qu’il ne méritait pas qu’elle soit faible devant lui … Non, il méritait mieux. Mais il la brisait, tapait là où ça faisait mal. Mon dieu qu’elle avait envie de s’effondrer, de s’excuser … pardonne moi. Avait-elle envie de crier. Mais la seule chose qu’elle réussit péniblement à lui dire c’est « Mais j’n’ai jamais cessé de t’aimer … » non jamais, pas même aujourd’hui. Elle recule le souffle court, le corps moite et fatigué bien qu’elle tienne avec l’adrénaline de leur dispute. C’était même la première fois qu’ils se parlaient autant … C’était horrible de l’entendre lui dire toutes les peurs qu’elle avait eu se concrétiser. Son bébé l’avait réclamé et elle n’avait pas été là … son bébé … ne pas pleurer. Non, ne pas pleurer. « Je suis désolée ! » crie-t-elle alors pour couvrir le son de sa voix et le faire taire. « Je suis désolée de vous avoir fait autant de mal ! » elle frappe son torse faiblement, premier contact, « mais si c’était à refaire je le referais ! » dit-elle la voix cassée. « Je suis désolée Jed … je suis désolée tellement désolée … » et parce que c’était trop pour elle lui lâche sans tenir compte de ses menaces « Mais c’est mon fils aussi ! mon fils … et Ewen me manque … il me manque à en crever et elle est là ma punition ! Je vous ai perdu tous les deux ! »

« Mais je n’ai jamais cessé de t’aimer… » Phrase qu’il le percute, dans cette longue nuit sans fin dont il ne sortait plus. Mots prononcés à la volé, comme si de rien n’était… Jed est chaos. Pourtant debout, face à elle. Incompréhension dans son regard, colère qui le consume alors qu’il reste sans bouger. Wen vient de l’achever sans le savoir peut-être. De ses lèvres pulpeuses, de sa voix pourtant si douce… il avait longtemps attendu qu’elle le lui dise. Il avait souvent rêvé de cette fois-là. De simples petits mots qui changeraient sa vie. Son avis aussi sur elle. Il s’en foutait ! Qu’importe le mal qu’elle lui avait fait. Si elle l’aimait ça lui suffisait. Mais aujourd’hui ? A quoi ça rime ? Est-ce encore vrai ? Aimer, ce n’est pas forcément être amoureux, n’est-ce pas ? Il l’a compris. Au fil des années, Jed a été amoureux, fou passionné de Wen Yi. C’était sa vie, sa raison d’être… et pour elle ? Qu’était-il finalement, à part un être qu’on aime et qu’on rejette ? Il s’en veut, d’être aussi faible. D’être autant perturbé alors qu’elle s’approche. Trop près de lui, il voudrait reculer, mais se sent piéger. Ce contact, il voudrait la repousser. Pourtant il déteste l’entendre. Elle le referait ? Sans aucun regret ? Il fronce les sourcils, sort de cette torpeur quand elle évoque Ewen. Son fils ? Il rit, désabusé. D’un rire fou presque, alors qu’il devient insolent « T’as perdu tous les droits sur lui au moment où tu es partie. » sa voix est sombre, monotone. « Tu le referais ? T’oses me dire ça, sans flancher en plus ? Pourquoi est-ce que tu le referais hein ? S’il te manque tant ? Si tu… » Il ne le dira pas. Il n’y croit pas. Elle ne l’aimait pas assez pour rester avec lui. Un mariage arrangé ? Il n’y croit pas non plus. C’est faux ! Parce-que si elle le voulait vraiment elle aurait fui. Elle l’aurait retrouvé lui. Il serre les dents, esquisse un geste de recule « Tais-toi ! Arrête de dire des mensonges. Ça me fatigue. » Il en a marre. De devoir faire semblant, de toujours garder le sourire et faire croire aux autres qu’il s’en sort. Il a envie de craquer lui aussi. « Ça m’insupporte de t’entendre dire des conneries pareilles. T’as même pas la décence de me trouver une bonne excuse. » Lui il trouve ça drôle finalement. Mais ce qui l’agace le plus, c’est l’entendre parler d’Ewen. Et ça Wen, ne sait pas dans quoi elle met les pieds. Nouvelle vague de colère qui le gagne alors qu’il pose sur elle un regard plein de dégout. « Arrête de me provoquer ! Ewen c’est pas ton fils ! » et cette bagarre ne prendra certainement jamais fin. Mais Jed ne supporte pas l’idée. « Si il te manquait autant, pourquoi t’es jamais revenue hein ? Pourquoi t’as même pas donné un signe de vie ? Putain, je savais pas quoi lui dire moi quand il me demandait pourquoi il avait pas de maman lui ! T’y as pensé à ça ? Non parce-que t’étais trop égoïste. Je te crois pas ! » il s’en persuade. Jed n’a pas envie de la croire. Tout ce qu’elle dit c’est pour lui faire du mal. Il en est certain, alors dans un geste qu’il ne mesure pas il la repousse brusquement « Dégage putain ! J’en peux plus de tes mensonges. » 

Elle a conscience que leur discussion est animée par bien trop de rancœur et de douleur. Des mots ont été dit, balancé, des vérités avouées … alors il leur faudrait du temps … assez pour comprendre, assez pour pardonner, assez pour assimiler aussi … Il ne cessait de répéter qu’Ewen n’était pas son fils, et ses mots étaient plus que douloureux pour Wen Yi … si douloureux oui. Elle aurait pu tout supporter pour lui et supporterait tout ce qu’il faudra pour lui mais entendre ces mots-là de la bouche de l’homme qu’elle aimait encore c’était certains, la tuait. Plus que les coups de son mari. Dès l’instant où elle l’avait vu son ventre s’était noué et son cœur affolé. Elle l’avait trouvé si beau, si grisant. Elle avait eu peur aussi, peur que sa simple présence le détruise et elle avait raison … regardez cet homme qui peinait à tenir debout … dieu qu’elle aurait aimé faire plus pour lui … mais si elle s’avançait un peu trop près de cette lumière IL finirait par le découvrir et lui en ferait payer le prix. Et Wen Yi savait qu’il ne parlait pas de coups, ni de mort, tout du moins pas la sienne … car le pire qu’il puisse faire c’était de tuer son fils, tuer son amant, rendre son fils orphelin, le laisser aux mains de la justice. En faire un enfant meurtri. Un adulte blessé qui n’aurait fait que sombrer … Non elle voulait mieux pour son fils … Mais Wen Yi n’avait pas conscience des travers dans lequel Jed avait replongé … ce Jed qu’elle avait connu et sortie de son enfer. Ce Jed qui s’autodétruisait pour oubliait qu’il souffrait. Alors Wen Yi cherche à le faire taire, tente de parler mais il est brusque dans ses paroles, lui ôte les mots de la bouche et refuse de l’entendre. Elle se presse contre lui, cherche à lui faire comprendre qu’elle ne lui voulait que du bien et qu’elle a conscience du mal qu’elle leur a fait, Wen Yi était même prête à le supplier de lui laisser une occasion de parler calmement. Comme si poser les choses à plat pouvait faire la différence. Sa simple présence ici suffisait à faire tomber l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Mais en apprenant toutes les horreurs qu’ils avaient subies tous les deux elle était mortifiée et peinait à garder sa distance. Peut-être que c’était trop d’un coup ? Jed dans un mouvement qu’elle reconnaissait être un réflexe, la repoussa. Elle savait qu’il n’avait pas cherché à lui faire de mal, que c’était un trop plein et qu’il n’aurait jamais, jamais, levé la main sur elle. Mais Wen Yi est fatiguée, faible, elle perd l’équilibre et trébuche. Son corps tombe lourdement contre la sono et ses côtes déjà fragilisée tape avec force contre le tranchant du meuble. Elle pousse un cri de douleur en tombant au sol. Le souffle court elle se laisse tomber au sol pour tenir de son avant-bras la partie déjà bien douloureuse de son corps. Elle l’aurait sentie (l’aurait reconnu) si ses côtes se seraient brisés. Là il n’en est rien, mais la douleur d’avoir frappé si fort sur son hématome la terrasse. Puis soudain elle réalise, se souvient, son enfer à elle. Que son mari est là, toujours quelques parts. Prise de panique à l’idée que Jed puisse découvrir qu’elle est réellement une poupée battue elle lève brusquement sa main pour l’empêcher d’avancer et s’écrit « T’approche pas ! T’approche pas Jed ! » mon dieu que non elle ne lui en veut et évidemment que non elle ne le craint pas … mais dans l’action Wen Yi ne réfléchit pas à l’interprétation possible qu’il pourrait se faire de ce rejet. Elle ne cherche qu’à protéger son lourd secret. Elle se relève difficilement en grimaçant et peine à croiser son regard avant de s’enfuir de la salle en gémissant « Reste loin de moi … » parce qu’elle savait … si tu es là, il le saura et s’il l’apprend … il s’en prendra à notre bébé. Protège-le. Protège-le pour moi Jed … « J’suis désolée … » qu’elle souffle le visage ravagé par la peur (peur d’être démasquée) en quittant la salle laissant derrière elle la moitié de ses affaires qu’elle n’a pas su prendre dans son pas de course.