Les journées se suivaient et se ressemblaient toutes, et à la fin de celles ci se posait encore et toujours le même problème : que faire ? Loin de rentrer dans le moule si parfait d’une société qui était loin de l’être, je m’évertuais à chercher ce Graal par le biais duquel j’aurais pu renouer avec mon indépendance… mais il tardait à venir, et comme chaque soir, je me laissais tomber dans l’assise moelleuse du canapé. Kelea était occupée, et je ne pouvais l’en blâmer, après tout, j’évoluais mieux dans la solitude.

J’expirais, appuyant ma tête contre l’assise du dossier et mirant le plafond sans réellement le voir. Si j’aimais être seul, ce soir là faisait exception, et je ressentais avec plus d’intensité l’absence de ma sœur. Me redressant, je tendais la main vers mon téléphone et l’attrapais du bout des doigts, je faisais glisser la liste réduite des noms qui figuraient dans mon répertoire, en quête d’une âme sans doute aussi esseulée que la mienne avec qui passer la soirée. Son nom y figurait, et sans réfléchir davantage, j’y pressais mon pouce.  Salut, une bière ça te dit ? Succinct, bref, concis, je ne m’étalais pas sur ce sentiment qui appuyait sur mes épaules et je n’eus pas longtemps à attendre avant de recevoir la réponse positive. J’affichais un sourire timide, heureux de pouvoir discuter avec une amie, juste discuter. Je n’ignorais pas les quelques dérapages, mais je les consignais dans un coin de ma tête en me promettant de ne pas réitérer cette erreur. Nous n’étions pas ensemble, et je ne nourrissais pour elle qu’une tendresse amicale, et en dépit de ces instants volés, je me refusais à me servir d’elle.

Dans des gestes lents mais sûrs, je rassemblais les quelques affaires qui traînaient et m’attelais à faire un peu d’ordre là où j’avais semé le chaos. Priant qu’un jour prochain, je cesse d’imposer ma présence. Puis quelques coups me firent relever la tête pour que je n’aille finalement accueillir mon invitée. « Mok. Tu vas bien ? » demandais-je en lui ouvrant le passage.

Mok referma son bouquin de Chimie avec un soupir satisfait. Elle s’étire et ne rêve que d’une douche chaude pour la détendre. Elle se saisie de ses affaires de toilettes et remonte le couloir en faisant craquer sa nuque. Elle se déshabille lentement, observe son corps dans le miroir et grimace à la vue de ses côtes abimées. Elle regrettait chaque fois ces folies, mais ne pouvait s’en dissocier, comme si elle était devenu accroc. Elle ne sait pas pourquoi elle fait ça. Non, elle ment, elle sait pourquoi elle fait ça. Mais y faire face lui donnait l’impression d’être folle et de sombrer. De sombrer dans un abysse qu’elle ne maitrise pas … Pas du tout. Elle s’approche du miroir, supporte à peine la vision qu’il lui renvoie. Seul les mots c’est ta faute lui renvoie son reflet. Elle serre les dents. Elle se sent en colère, tout le temps, mais ne sait pas comment s’en débarrasser. Elle entend son téléphone sonner. Elle fixe l’écran, affiche un sourire. Comme une pause qu’on lui accordait. Une bière pour se changer les idées. Elle se demandait parfois comment lui dire la vérité. Il ne méritait pas qu’elle lui mente. Mais elle n’avait pas l’âge requis pour l’inscription à cette proposition qu’elle avait trouvé sur un journal. Correspondre avec des prisonniers. C’était presque trop fou, trop dangereux. Elle n’avait d’ailleurs répondu qu’à un seul d’entre eux … car sa plume et sa parole était plus douce, plus poétique. Les autres détenus lui avaient presque fait peur et elle avait jeté leur lettre le plus souvent à mi lecture … Mais celle de Kalei étaient différentes. Agréable à lire. Et son écriture, bien que parfois brouillon était plaisante à lire. Elle s’était amusée dans cette relation épistolaire. Elle avait créé un lien fort, elle n’en doutait pas. Ils avaient parlé de beaucoup de choses et c’était presque irréel. Alors le jour où elle l’a rencontré elle a réalisé que toutes ces lettres, tous ces mots échangés avait construit beaucoup plus qu’elle ne l’aurait cru. Elle était heureuse de leur amitié, quand bien même leur écart d’âge était important. Mais Kalei ne la voyait pas comme une enfant, il la voyait comme une femme intelligente à qui il était agréable de parler, d’échanger. Il n’était ni paternaliste avec elle, ni arrogant. Non il n’était qu’un homme et ça la changeait. Elle se prépara alors rapidement et le rejoins chez lui par habitude. Enfin chez Kelea, qu’elle a d’ailleurs fui en quittant la fraternité pas très à l’aise avec l’idée d’aller chez elle sans lui dire. Mais la jeune femme était trop contente de retrouver Kalei. « Bien et toi ?! » dit-elle enjouée avec un sourire doux en embrassant sa joue. « J’ai amené des bières ! » dit-elle, bon elle les avait piqué dans le frigo Pyo mais …. Elle n’en dirait rien.