Le dos courbé au-dessus d’un cahier, les sourcils froncés et un crayon en main, il évoluait sur sa feuille au gré de ses idées, de ses envies. Dessiner lui permettait une certaine forme de liberté dans ce qu’il désirait vraiment. Il arrivait à faire fi de tout le reste afin de s’enfermer dans sa bulle, ce petit cocon qui le protégeait. Un trait après l’autre, il ajoutait des détails, grisait ou laissait tel quel, s’attaquer à un autre sujet. Il devait faire de son mieux pour que cela soit parfait. Il détestait quand ses sketchs n’étaient pas exacts au millimètre près et il était capable de tout jeter pour recommencer. Le jeune homme finit par se redresser, crayon à papier coincé entre ses lèvres maquillées en rouge, pour glisser une main dans sa chevelure. Ses pupilles jugeaient ce qu’il venait de faire et il haussa simplement les épaules ; ce n’était pas si mal que ça. Il rangea ses affaires dans sa trousse, dans son sac puis quitta la bibliothèque où régnait un silence important. Chaque étudiant qui travaillait ici jouait à peu de chose près leur vie entière. Et qu’en était-il de lui ? Il abandonna un soupir en arrivant à l’extérieur. Il sortit une cigarette de sa poche et la fuma debout, là, durant quelques minutes. Il devait attendre la fin du cours de son amie qui ne tarderait plus à présent. Il avait un projet à faire et l’unique personne avec qui il se voyait travailler c’était Kelea. Elle avait toujours de bonnes idées contrairement à certaines personnes qui étaient dans son cursus.
Ayant terminé sa cigarette, Kô se dirigea donc vers le bâtiment où il était sûr de trouver la demoiselle. Cela faisait à présent près de quatre ans qu’il était arrivé en Corée et les couloirs de cette université n’avaient plus de secrets pour lui. Il avait fait le choix de tout quitter, une fois de plus dans sa vie, pour venir dans ce pays où tout lui était inconnu. Heureusement qu’il avait des facilités à apprendre, et cette personnalité extravertie qui lui permettait bien souvent de se tirer d’affaires. Mais il préférait bien plus se débrouiller dans cette ville plutôt que d’être rester un instant de plus au Japon. Il n’avait plus foi en sa mère, la haïssant même au plus fort de son âme. Enfin, là n’était pas la question en cet instant.
Kô s’appuya contre le mur en face de la salle où Kelea devait étudier. Il s’attendait à la voir sortir d’un moment à l’autre et cela ne tarda pas. En l’apercevant parmi le flot d’étudiants, Kô esquissa un sourire et se hâta de lui sauter à moitié dessus.
« Lea ! J’ai quelque chose à te demander. »
Il se recula doucement, face à elle, marchant à l’envers et les mains derrière son dos. Il lui sourit plus fort avant de reprendre la parole.
« C’est un projet spécial et il n’y a qu’en toi que j’ai assez confiance pour obtenir une note excellente. »
Juché sur ses chaussures noires compensées, il revint se positionner près d’elle pour marcher dans ses pas. Il aimait bien jouer de la sorte, même s’il se doutait que son amie ne pourrait pas refuser une telle collaboration entre eux. Ils étaient deux étudiants doués et quand leurs esprits se rencontraient, cela donnait lieu à de véritables surprises. Les émotions étaient sans cesse au rendez-vous.

((tenue )) La jeune femme avait décidé de porter sa perruque blonde en tie and dye rose aujourd’hui. Elle ne la sortait qu’à l’approche du beau temps. Les chaleurs qui s’abattait sur la ville était annonciateur d’un été chaud et bien que la jeune femme ait l’habitude, elle peinait à supporter l’humidité de son pays. Les températures trop fortes l’assommaient et fatiguait son corps plus qu’elle ne pouvait le supporter. Elle restait le plus souvent enfermée dans des salles climatisées mais faisait au mieux pour s’éviter de tomber plus malade encore, un simple rhume pouvait engendrer sa fin. Littéralement. Elle se montrait toujours aussi bien apprêter Kelea et avait fini par s’habituer au regard posé sur elle. Ces interrogations de la voir brune, puis blonde, puis rousse d’un jour à l’autre. La plupart des gens la prenait pour une extravagante, mais ceux qui connaissaient sa condition la fuyait comme la peste. Elle avait fini par s’habituer à devoir manger seule, à voir les gens se lever d’une table lorsqu’elle s’y asseyait ou qu’on lui demande de s’éloigner quand elle prenait place à une table de la bibliothèque. Evidemment que la jeune femme avait pu se sentir blessée par l’attitude égoïste des gens, mais elle n’avait jamais montré rien de plus qu’un visage fermé et un dédain évident. Elle refusait de laisser l’ignorance et la peur des autres diriger sa vie. Elle avait repris ses cours en stylisme et se plongeait dedans pour oublier l’absence de Caden. Le garçon faisait des miracles ces derniers temps et elle appréciait qu’il puisse être aussi prévenant avec elle. Ils avaient, en changeait l’agence du garçon, réussit à trouver un équilibre. Caden ne voulait en rien d’une agence qui l’empêcherait d’aimer la femme qu’il aimait, et il voulait l’assumer, dès le début. Tant pis si les fans le détesteraient pour n’être qu’un être humain. Il voulait vivre sa passion et être soutenu par des personnes vraies.  Kelea serait de toute évidence la femme de sa vie, alors il était hors de question qu’il la perde. Ils voulaient faire les choses bien maintenant et même si cette relation, une fois éclatée au grand jour, avait amené des complications pour Kelea elle ne regrettait rien. Même s’il fallait admettre que Kelea était fatiguée de la fausseté de certaine fille de son école qui ne l’approchait que pour pouvoir rencontrer Caden. Une situation bien ridicule aux yeux de la jeune femme. Elle rassemblait enfin ses affaires de cours et sortie rapidement de son amphithéâtre avec la seule idée de se prendre un café et une part de gâteau dans le petit café non loin de leur école. Pourtant se fut avec un sourire radieux qu’elle accueilli Kô. « Ouh ! Vous m’intéressez monsieur ! » lance-t-elle avec un sourire amusé. Kô était un garçon spécial à ses yeux, au-delà de son style et de la façon dont il se définissait, il était comme un souffle neuf dans sa vie. Il était différent et cette différence lui apparaissait être une force. La jeune femme appréciait passer du temps avec lui et qu’importe les regards sur eux chaque fois qu’ils marchaient côte à côte. Pour les autres ils étaient le plus souvent, la fille malade qui sortait avec une idole qui débutait et lui n’était qu’un garçon bizarre au style excentrique. Mais qu’importe, le monde se sent obligé de coller des étiquettes pour continuer de tourner. Kelea s’en moquait bien, elle connaissait la valeur de leur relation et du garçon. C’était tout ce qui lui fallait et au moins il était vrai. Elle attrape son bras et lance « Laisse-moi d’abord t’emmener à ce café, je meurs de faim et j’ai rêvé de mon caramel machiatto pendant 1h » rit-elle. Mais sa curiosité la poussa à lui demander pendant qu’ils marchaient « Tu me rends curieuse, qu’est-ce que le professeur Kim vous a demandé ! » parce qu’il était évident que c’était leur professeur commun, pour leur matière commune, qui leur avait lancé ce projet.

Kô ne pouvait être que ravi quand il rendit son sourire à la jeune femme. Il appréciait vraiment passer du temps en sa compagnie, se moquant bien des regards qui pouvaient leurs être jetés. Est-ce qu'ils dérangeaient ? Est-ce qu'ils étaient déplaisants ? Et bien, ces ignorants n'avaient qu'à détourner le visage. Toutes ces personnes ne méritaient même pas de respirer le même air qu'eux. Kô était persuadé qu'un jour ou l'autre, Kelea et lui parviendraient à atteindre leurs rêves et à surprendre tous ceux qui s'étaient retournés sur eux. Dans un sens, ils auraient eu raison de le faire.
Il offrit son bras avec bonheur à son amie et acquiesça fermement d'un mouvement du visage, un large sourire toujours peint sur ses lèvres rouges.

« Je ne peux pas résister à l'appel de la nourriture, tu le sais bien. »

Ce qu'il prit plus ou moins comme une invitation était acceptée et plus qu'acceptée. Ils quittèrent donc les devants de l'amphithéâtre pour se diriger vers le fameux café en question. Kô était du genre à manger tout et n'importe quoi, ce à n'importe quelle heure de la journée, sans pour autant prendre un gramme. C'était une véritable chance, surtout quand il fallait qu'il porte les vêtements de la marque pour laquelle il était mannequin. Il détesterait se voir trop enveloppé dans certaines pièces de grande valeur.

« Ahah, c'est une surprise, mais je suis sûr que tu vas adorer ! répondit-il en s'amusant, mettant un doigt devant sa bouche comme pour signaler qu'il s'agissait d'un secret. Ce projet est vraiment extraordinaire. On va pouvoir exploiter tellement de choses ensemble... Enfin, si tu acceptes, bien sûr. »

Il haussa doucement les épaules tandis qu'ils traversaient la cour de l'université. Il avait déjà eu quelques idées pour ce fameux projet, ayant eu le temps d'y cogiter le temps qu'il avait passé à la bibliothèque un instant plus tôt. Il imaginait déjà des tonnes de tenues, peut-être sans doute toutes plus décousues les unes que les autres, cherchant sans cesse des liens entre tout ce qu'il avait en tête. Des couleurs, ou bien juste la pureté du blanc ? Cela continuait d'affluer dans tous les sens et il n'avait désormais plus qu'une seule hâte : qu'ils soient installés autour d'une excellente boisson pour en discuter.
Cela ne tarda pas à arriver. Kô commanda un thé matcha bien chaud avec un lemon pie. Ces saveurs étaient toutes aussi étonnantes que détonantes. Les deux étudiants parvinrent à dénicher une table assez vite et ils purent s'asseoir face à face. Le jeune homme extirpa plusieurs feuilles de son sac qu'il déposa sur la table de sorte que Kelea puisse les voir également avant de manger un morceau de son gâteau.

« Donc, dit-il après avoir terminé sa bouchée, comme tu le vois je devais trouver un partenaire pour ce projet. Le but est d'imaginer un total de six tenues qui seraient exposées et proposées pour un défilé de mode. Le professeur ne nous a pas donné de contexte particulier, on peut choisir le thème qu'on veut, le tout étant d'être en accord bien sûr ! »

Il fit glisser d'autres feuilles explicatives à sa camarade avant de siroter quelques minutes sa boisson pour lui laisser le temps de s'imprégner des directives un peu plus en détails. Les pupilles du jeune homme étaient fixées sur son amie, attendant sa réponse par rapport à tout cela. Il espérait qu'elle accepte ce projet car il se doutait bien qu'elle avait aussi du travail de son côté, d'autant plus qu'elle avait dépassé la quatrième année d'études. De toute façon, même si elle hésitait, Kô avait toujours son arme secrète : sa moue boudeuse fonctionnait à merveille.

Le garçon savait pertinemment qu’à l’instant où il lui avait proposé le projet la jeune femme aurait dit oui. Parce qu’elle aimait beaucoup trop mélanger leur univers, travailler avec lui et passer du temps avec Kô. Cela aurait été étonnant qu’elle refuse, peut-être par manque de temps ? Mais certainement pas par manque de motivation ou d’envie. Elle adorait créer des vêtements avec le jeune homme. Elle resta bien sage et le suivis jusqu’au café où il passa commande. Elle l’imita et choisi elle aussi un petit gâteau, un cheesecake à la pistache. Elle ne dirait pas que c’était son préféré, mais elle l’adorait. Elle remontait ses coudières en tissu qu’elle s’était fabriqué sur le creux de son coude afin que personne ne remarque les traces que laissait les piqûres de la chimiothérapie. Elle préférait qu’on la juge sur son style peut être excentrique, plutôt que pour la peau abimée de son bras. La maladie était déjà assez difficile à combattre ainsi elle préférait se préserver du regard des autres, quand bien même la majorité de l’université connaissait sa situation. Mais Kelea préférait ne pas s’y attarder et continuait de mener sa petite vie d’étudiante aux horaires aménagés. Elle se laissa tomber sur la banquette et croisa les jambes comme à son habitude. Elle sortit son cahier par reflexe et disposa sa commande devant elle avant de prendre une photo. « Je vais l’envoyer à Kaeden ! » dit-elle avec un sourire lumineux dès qu’elle parlait de son petit ami. Ce n’était plus un secret maintenant, elle pouvait avouer à ses amis et ses proches l’identité de son petit ami, et même si c’était un rappeur en devenir qui avait débuté et qui commençait à voir sa cote de popularité augmenter, elle ne craignait pas que cela puisse ruiner leur relation. Ils avaient traversé trop de choses pour ça. Elle prit sa photo et cadra les mains de Kô pour les faire apparaitre avant de lancer avec malice « Je suis sûre qu’il va savoir que c’est avec toi que je suis ! » rit-elle malicieusement avant d’attaquer son gâteau tout en envoyant la photo. « Je suis à toi ! » dit-elle alors qu’il se mettait à lui expliquer le projet, elle se saisit des feuilles qu’il lui tendit pour bien tout saisir des consignes. C’était aussi vaste que précis. Mais c’était ce qu’il fallait pour lancer leur imagination. La jeune femme afficha un sourire ravie qui trahissait déjà son envie de participer. Cela serait de la folie à ne pas en douter. Elle manquait déjà de temps entre les cours, ses devoirs, l’hôpital et surtout le retour de son grand frère … mais le projet lui plaisait tant qu’elle savait pouvoir trouver du temps pour le faire. « Alors honnêtement, Kalei est … revenu en ville, alors je passe beaucoup de temps avec mon frère, mais … j’adore l’idée de ce projet ! Je sais qu’on pourrait faire de grand-chose toi et moi ! » dit-elle de sa moue boudeuse et ravie. Elle tapote sa joue avant de souffler « Si on arrive à se trouver une organisation pour notre travail alors je suis sûre que je pourrais le faire avec toi avec plaisir ! » dit-elle enjouée et motivée. « J’ai déjà un million d’idée ! » assure-t-elle. Elle avait envie de revisiter le Hanbok, et autre tenue traditionnelle pour les moderniser et en faire quelques choses que des jeunes pourraient porter aujourd’hui. Et jamais elle n’avait trouvé Kô plus beau que lorsqu’il portait une tenue traditionnelle japonaise. Mais elle laisserait son ami lui exposer ses idées avant et avec lui chercherait un compromis. Ils détonaient toujours tous les deux, mais c’est ce qui faisait leur force, à ne pas en douter.

Les idées de Kô se connectaient à toute vitesse dans son esprit. A vrai dire, il avait déjà eu un peu de temps devant lui afin de réfléchir à tout ce projet qu'il proposait aujourd'hui à Kelea. Non sans esquisser un large sourire, il l'écoutait lui répondre qu'elle serait partante et qu'elle réussirait à trouver un peu de temps pour travailler avec lui.

« Merci beaucoup, lui dit-il. Je savais que tu serais d'accord, tu ne pouvais pas refuser un tel projet ! »

Il lui fit un clin d’œil, relisant quelques secondes les consignes histoire de bien se mettre dans le bain. Saisissant un carnet et un crayon, Kô se mit à songer à ce qu'ils pourraient faire ensemble. Six tenues, donc cela signifiait donc qu'ils devaient se répartir le travail de sorte à en faire trois chacun. Ce n'était pas sorcier. Il suffisait juste d'avoir un thème accordé et que les propositions soient intéressantes. Il fallait que ça tape tout de suite dans l'oeil des examinateurs. Kô savait qu'il ne pourrait pas se tromper grâce aux conseils avisés de la demoiselle à ses côtés. En effet, elle était un peu plus avancée que lui dans les études, ce qui lui conférait une légère avance non négligeable. Kelea était un allié de confiance qu'il valait mieux avoir avec soi que contre soi.
Le japonais reprit un morceau de son gâteau et but une longue gorgée bien chaude de son thé matcha. En voyant ces deux couleurs, verte et jaune, ainsi que l'ensemble du cheesecake à la pistache de sa nouvelle partenaire pour ce projet, une idée lui vint à l'esprit. Aussitôt, il la présenta à Kelea :

« J'aimerais partir sur quelque chose de coloré, de vivant. Je veux en mettre plein les yeux des professeurs. Je veux qu'ils se souviennent de notre collection ! » s'exclama-t-il.

Alors, il griffonna sur son carnet. Des couleurs... Du vivant. Pourquoi ne pas partir sur une sorte de tour du monde ? Kelea avait des origines coréennes tandis que Kô était japonais. Cela leur donnait des pistes.

« Si on essayait des tenues du monde entier ? Du moins, Corée, Japon... J'aime aussi beaucoup les tissus venant d'Afrique, comme le wax. Qu'est-ce que tu en penses ? »

Il pencha la tête sur le côté, songeur, tout en mâchonnant légèrement son crayon à papier. Mais est-ce qu'ils partiraient sur des tenues complètes ? Ou seulement une robe ? Tout était possible finalement, rien ne les empêchait de créer un ensemble trois pièces, par exemple. Cela serait certes davantage de travail, mais c'était envisageable.
Kô sortit alors son téléphone portable de sa poche afin de faire quelques recherches. Le jeune homme était plus à l'aise en ce qui concernait les modèles masculins, tandis qu'il savait que Kelea avait déjà dessiné pour des femmes. Peut-être seraient-ils encore une fois complémentaire là-dessus. Il finit par relever le visage pour sonder les expressions de réflexions peintes sur le visage de la jeune femme. Avait-elle d'autres idées ? Kô avait hâte qu'elle lui expose ses millions d'idées.