« Je passe au studio. J’y vais en transports. » Quelle idée bizarre j’avais là. Je ne sais pas ce qui m’a pris ce matin, de décider d’aller à l’agence en métro. Mais en voyant le ciel bleu, la température agréable dehors, j’avais pensé que c’était la meilleure idée du monde. J’avais envie de marcher un peu, de profiter de la foule ambiante. Trouver l’inspiration peut-être, en observant le monde qui m’entourait. Depuis que je suivais ma cure, au moins j’avais le mérite d’ouvrir un peu plus les yeux. Je prenais beaucoup de temps pour moi, pour ma musique. Je renouais avec ce que je savais faire le mieux je crois. Et c’est aussi une des raisons qui me poussait à ne pas jouer aux individualistes aujourd’hui. Lunette de soleil sur le nez, guitare dans le dos et téléphone à la main. J’étais prêt pour affronter cette journée qui me paraissait banale au possible. Et pour être franc… j’aimais cette idée. Aussi déprimante soit-elle, il n’y avait pour une fois aucun nuage à l’horizon. Moi qui avais vécu des mois dans ma torpeur et dans les problèmes. Pour une fois, je peux lâcher prise. C’est du moins ce que je pense encore, en déambulant les escaliers, sourire accroché aux lèvres pour envoyer des messages à mon meilleur ami. Observant brièvement l’endroit, je me poste derrière une fille près des machines pour recharger les cartes. Même si j’avais ma voiture, il m’arrivait souvent de faire des courts trajets en transports. Un geste écolo bidon avec lequel je me persuadais d’être un type bien surement. D’ordinaire, ça ne prend pas beaucoup de temps. On pose la carte, on choisit son forfait, on paye et c’est fini. Seulement, j’ai la brusque impression que ça ne fonctionne pas comme d’habitude. Relevant la tête, j’observe brièvement en face de moi la jeune femme en train de pianoter partout sur l’écran. Hum… est-ce que c’est une touriste ? Je fronce les sourcils, me décidant quand même à l’approcher pour l’aborder « Euh, vous avez besoin d’aide ? » juste un pas de plus, afin de voir apparaitre son visage et je me fige en voyant cette fille-là devant moi. La même que la veille, celle pour qui je m’étais démené vainement pour l’aider avec sa voiture. Quelle plaie ! Miss qui vit dans son petit monde, ici. « Toi ?! » je ne sais pas si je suis agréablement surpris, ou si elle m’irrite déjà. En réalité, je ne veux pas la juger trop vite. Mais ses remarques de la veille m’avaient un peu excéder. J’avais tout fait pour trouver une solution, j’avais essayé de l’aider, mais je n’étais jamais assez rapide pour elle. Je m’y prenais mal et tout le tralala. Il ne fallait pas être devin pour savoir qu’elle venait d’un autre monde que le mien. Enfin, je le pensais car la voir dans le métro, c’est un peu une hérésie. « Tu prends le métro ? T’as pas de chauffeur ? » Petite pique que je lui lance avec un sourire aux lèvres. 

Je souriais, un peu narquois avant de la dévisager. Ça me faisait rire de l’imaginer ici. Et même si sa remarque était méritée, elle me faisait grimacer. Oui, je sais qu’elle n’a pas de chauffeur, mais j’imagine que dans son monde c’est facile d’en avoir un. Dans mon esprit, il ne fallait qu’un coup de fil à ses parents pour arranger la situation. Alors la voir ici, aussi perdu. C’était risible, une vaine tentative pour être normale ou comme les autres. Mais à quoi bon ? Quand on est né dans un milieu aisé… Doivent-ils en avoir honte ? Je me suis toujours posé la question, comment aurait été les choses si ma famille avait de l’argent. Deux options, soit ils m’accordaient le droit de faire de la musique et me payaient tout ce que je voulais, même une très grande école dont j’aurais peut-être voulu. Soit, au contraire ils me forçaient à abandonner ce rêve pour vivre la vie qu’ils m’imposaient. Au final, ça n’avait pas que des avantages à part avoir les moyens. Je suis partagé entre l’idée de la laisser là, juste pour voir comment elle se débrouille ou l’aider. Mais elle a l’air vraiment paumée… à tel point, que j’abdique bien trop vite. Soupirant, je lui fais signe de se pousser sur le côté, avant de lui lancer un regard. Désespéré peut-être, je ne sais pas pourquoi je fais ça. Elle n’est pas si méchante ou agaçante. Elle a juste une vie différente de la mienne. Et aujourd’hui, elle est plongée dans mon monde. Je pourrais bien la laisser tomber, mais je ne suis pas comme ça. Alors malgré toute ma volonté, je suis déjà en train de pianoter sur le clavier pour l’aider. « C’est pas compliqué tu sais. » une remarque qui n’avait rien à faire là, mais je n’avais pas envie de lui montrer de la compassion. Hors de question, qu’elle se dise que je suis un type gentil qui l’aide tout le temps. Pourtant c’est exactement ce que je suis en train de faire. « Je te prends une carte pour les sept douze ans ? Ça devrait passer. » Je relève la tête, un petit sourire presque arrogant sur mes lèvres avant de rire bêtement de ma blague. Ça n’avait rien de méchant, je faisais juste un peu d’humour. Gardant mon air amusé, je continue mon geste, avant de lui lancer « T’as juste à cliquer là. Puis là, et juste là. » Je ne sais pas si elle avait suivi. Mais j’avais quand même essayé de lui montrer. Histoire, qu’elle sache le refaire si un jour elle venait à reprendre le métro. Me mettant sur le côté, je lui laisse la place de passer pour payer et récupérer sa commande. Me redressant, je passe à mon tour, pour recharger ma carte sans trop lui prêter de l’attention. Mais pendant que je prends mes affaires, je relève la tête vers elle. « T’as encore besoin de moi ? Oh laisse moi deviner. Tu sais pas comment prendre le métro ? » Je ris un peu. Plus taquin, pas vraiment moqueur. Me reculant, je lâche un soupir avant d’aller jusqu’aux portes automatiques. Je l’observe brièvement, amusé par la situation. Puis quand elle passe à son tour « Tu veux que je tienne la main pour aller sur le quai ? » bon ok, mes blagues ne sont pas drôles. Mais j’avais envie de la faire suer. Replaçant mes cheveux, je soupire à nouveau. « J’arrête ! Dis-moi tu dois aller où ? » au final, je me retrouve encore à l’aider.