Le temps défile, imperturbable. Rapide et houleux comme des vagues insensées. Des mois et des semaines que les heures ne lui appartiennent plus, non, elles sont toutes à son grand-frère qui en fait ce que bon lui semble. Neo étouffe parfois, il aimerait vivre ailleurs que dans son ombre. Seulement, il n’a pas le courage de donner voix à ses pensées. Et puis, l’ainé avait raison, il fallait bien que quelqu’un se venge pour la perte de leurs parents et Neo détesterait que sa cadette devienne la cible des manigances du plus vieux. Au moins, en étant obéissant à ses directives, arrivait-il à faire vivre Mok dans l’insouciance – du moins, c’est ce dont il se persuadait au plus profond de lui.

Neo avait passé une partie de la soirée aux côtés d’Isas, les rires et les regards discrets ponctuant leurs conversations. Les yeux d’Isas soutenaient les siens avec plus d’ardeur, quelques baisers ont été échangés mais rien de plus, Neo a l’impression de stagner. Certes, Isas l’avait emmené avec lui une fois alors qu’il s’occupait du sale travail de son père, un gage de confiance mais ce n’était pas encore suffisant. Il ne savait pas encore comment lui soutirer plus d’informations sur la mort des Wang. Isas l’avait finalement déposé chez lui, la maison trop grande et trop vide à présent qu’ils n’étaient plus que deux à y habiter. Mok ne passait plus non plus et Neo aime à penser qu’elle devait profiter allègrement de la vie en fraternité. Lui aussi avait apprécié ses années chez les panthères et il n’a qu’une seule hâte, que tout se termine et qu’il y retourne. Ses pensées envers les pyo suffisent pour qu’il remarque un message d’un de ses hoobaes de l’université. Le sourcil s’arque quand il lit les quelques mots affirmant l’inquiétude de l’élève d’avoir trouvé sa petite-sœur endormie dans la salle commune. Ce n’était pas la première fois de ce qu’il comprenait.

Il prend à peine le temps de glisser de nouveau sa veste en cuir sur ses épaules et sort précipitamment de la demeure, espérant faire le moins de bruit pour ne pas alerter le plus âgé. Le trajet est rapide, tout est connu par cœur bien qu’il n’ait pas fait sa rentrée cette année et il se glisse avec familiarité dans le campus jusqu’à la salle où la silhouette familière de sa sœur lui apparait, allongée sur le canapé. Il s’agenouille face à elle et ses doigts viennent tendrement caresser ses longues mèches brunes afin de l’éveiller sans la brusquer. « Momo. » surnom doux qui s’échappe de ses lèvres. « Tu vas attraper froid ici. » Les mots rassurants d’abord, avant que les questions ne s’imposent.

La jeune femme s’était comme tous les soirs assis dans l’alcôve de la fenêtre. C’était devenu un rituel. De ceux qu’elle ne pouvait manquer. Elle l’avait vu partir avec elle. Elle avait traversé le couloir, lui avait souhaité une bonne soirée avec un sourire doux puis s’était réfugié ici. Si elle en était encore capable sûrement que Mok aurait pleuré. Dès l’instant où elle s’était retrouvé face à la vitre qui surplombait la rue, elle avait arrêté de sourire. Ce froid en elle avait grandi et ce vide l’avait englouti. Elle s’était réfugié dans sa bulle de silence, elle avait attendu. Peut-être qu’il rentre ? Ou bien que Jun Ho la rejoigne. Ce soir elle n’avait pas eu envie d’être seule, mais elle s’y était forcé. Les seules personnes qu’elle voulait voire n’étaient plus là. Elle était prostrée devant la fenêtre, l’esprit vide, le cœur triste. Elle peinait à faire semblant ce soir. Elle avait glissé sa musique sur ses oreilles, avait pris son carnet à dessin et avait tracer quelques aquarelles, tout était confus dans son esprit. Elle utilisait la musique comme excuse pour ignorer les gens. Elle ne le regardait pas et pourtant, l’idée d’être seule dans sa chambre l’effrayait. Elle respirait calmement. Forçait son esprit à se concentrer sur les pages qu’elle remplissait de couleur. Elle mélangeait tout comme ses pensées et doucement, elle plongea dans un monde où elle ne ressentait plus rien. Plus personne ne viendrait pour elle aujourd’hui, elle pouvait éteindre ses émotions. Comme toujours. Elle arrêta de forcer, de faire semblant. Basculant la tête en arrière elle sombra. Fit taire ses émotions avec un soupir de soulagement. Elle déglutit, épuisée par tant d’efforts que lui demandaient son esprit. A bout de souffle sans savoir pourquoi elle l’avait retenu, elle laisse tomber son pinceau, repousse son carnet et serre ses jambes contre elle. Elle pose sa joue sur ses genoux en serrant ses jambes contre elle et fixe la rue. Elle déglutit et observe la nuit, la laisse la cueillir en son sein. Elle ne dormira pas beaucoup ce soir non plus. Mais elle pourrait se laisser aller, rien qu’un peu, capturer une heure de sommeil pour la soulager, soulager son corps qui n’en peut plus d’être à ce point malmené. Elle frémit et sombre alors dans ses songes noirs et destructeur. Elle n’est réveillée que par une voix familière qu’elle n’aurait jamais cru entendre. Cela faisait combien de temps qu’ils ne s’étaient vu ? N’échangeant que des sms et quelques appels pendant lesquels elle faisait semblant à la perfection. Que faisait-il là ? Elle crut pendant une seconde rêver mais Neo était accroupi devant elle, s’inquiétant pour elle. Oh non, grand frère que fais-tu là ? Je ne pourrais pas faire semblant ce soir. Ne m’en demande pas autant. Elle frotte ses yeux, avise l’heure, soupire, car elle sait qu’elle ne pourra plus dormir ce soir. Elle pose son regard sur lui et frotte ses yeux comme l’enfant qu’elle était. « Neo ? » sa voix est lointaine, surprise, elle se cache derrière une fatigue évidente mais sur jouée pour se donner contenance. « Qu’est-ce que tu fais ici aussi tard ? » murmure-t-elle déglutissant avant de détourner le regard pour rassembler ses affaires. Etrange sentiments qui lui tord le ventre. Heureuse de le voir et dévastée qu’il la voit. Finalement c’était peut-être mieux par sms, pas vrai ?