« Tiantian, Tiantian réveille-toi ! » Ce moment précis dans la vie de Qin Tian, avait été un basculement complet. Et étrangement, il ne se souvenait pas de grand-chose, si ce n’était la confusion, la peur et surtout la paranoïa qui avaient suivi. C’était le moment où on l’avait sorti de son sommeil en pleine nuit, et où, encore groggy, on l’avait arraché à son lit, à sa chambre, à sa maison, à sa vie. C’était le moment où, en plein milieu de la nuit, ses parents avaient décidé de fuir la Chine pour ne plus jamais y revenir. Qin Tian ignorait encore pourquoi et comment ils en étaient arrivés là. Il avait tenté de savoir, de demander à ses parents pourquoi ils étaient qualifiés d’opposants au Parti, mais aujourd’hui encore, ils refusaient de le lui dire, probablement par envie de le protéger. « Est-ce que tu avais senti ce qui allait se passer ? Est-ce que les cartes l’avaient montré Mama ? » C’était plus simple de ne pas vraiment répondre.

Les mois qui avaient suivi le hantaient encore parfois. Il se souvenait si clairement de l’incertitude, de la prudence constante alors qu’il suivait ses parents d’un pays à un autre. Sa mère avait essayé de lui faire croire qu’ils jouaient à un jeu, mais du haut de ses dix ans, il se souvenait de la peur dans le regard de ses parents et de leurs pleurs lorsqu’ils pensaient qu’il dormait. Qin Tian s’est toujours demandé si tout ça était du fait qu’ils ne croyaient pas dans les mêmes choses que les autres, ou si c’était aussi dû à leurs capacités spirituelles.

Après des mois de fuite, la Corée du Sud était arrivée ainsi que la clandestinité. De cette période, Qin Tian ne se souvenait que d’une chose « ne te fais pas remarquer ». Passer inaperçu, ne pas sortir de cet appartement minuscule qu’ils louaient à des connaissances et toujours être prudent à chaque seconde. C’est lors de cette période que le garçon a appris la chiromancie et la cartomancie, pratiques qu’il ne fait que parfaire depuis. Pendant cette période, il s’est ouvert à la spiritualité. Il baignait depuis l’enfance dedans, mais ignorait de quoi cela retournait réellement. Avec ses parents, ils avaient parlé d’énergies, d’esprits, de médiumnité, et loin d’être dubitatif ou effrayé, Qin Tian avait été fasciné et flatté. Dans la situation dans laquelle ils étaient, se dire qu’il était un être rare l’avait réconforté et aidé. On pouvait bien le traiter de fou, il s'en fichait.  

Lorsque les cartes avaient promis un changement au jeune garçon, il ne s’attendait pas à ce que soit son retour à l’école. Il l’avait espéré fût un temps, mais il n’y croyait plus. Ils avaient obtenu le statut de réfugiés politiques plus d’un an après leur arrivée en Corée, de-là, Qin Tian avait appris le coréen dans un institut spécialisé mais bizarrement il ne s’était plus projeté dans une vie scolaire normale. Continuer à apprendre le coréen et traîner au milieu de la boutique ésotérique de ses parents, ça lui allait bien au final. Il savait à quoi servait quelles herbes et quelles essences, il pouvait même créer quelques concoctions lui-même. Celle de chance ou de bonne fortune était (et reste) sa préférée. Il adorait voir les gens serrer ce petit sac en tissu plein de la magie qu’il avait mis dedans et sortir plein d'une confiance en eux qu’ils n’avaient pas en entrant dans la boutique.

À treize ans, Qin Tian reprend un cursus de collégien lambda, toujours dans un institut où il parfait son coréen et ses connaissances de la culture coréenne. Ce n’est qu’au lycée qu’il pourra entrer dans un établissement traditionnel. Bien qu’un peu plus âgé que la moyenne, il goûte enfin à la vie comme les autres, si tenté qu’il parvienne à se considérer comme les autres. Les parents du jeune chinois ont été appelé à plusieurs reprises par le proviseur du lycée, n’appréciant pas les séances clandestines de chiromancie et de cartomancie que faisait l’adolescent à ses amis. Était-ce sa faute si on lui demandait « est-ce que machin.e m’aime ? » ou encore « est-ce que je vais réussir mon test cette semaine ? » avait-il forcément des réponses exactes ? Non, bien évidemment. Mais les 5000 wons valaient bien les quelques mensonges ou enjolivements qu'il pouvait faire. Il oscillait régulièrement entre fascination et moquerie de la part de ses camarades, mais il était assez sûr de lui et assez désinvolte pour s’en moquer. Qin Tian aimait trop découvrir ce que le monde de l’ésotérique et de l’occulte avait en poche pour lui, comme s’il avait la capacité de jouer avec les mondes et les dimensions.

D’ailleurs, c’est bien pour cette raison qu’après sa sortie du lycée à 19 ans, il prit deux années pour lui, pour se découvrir (c’est lors de cette période qu’il prend conscience de sa sexualité particulière), se parfaire, s’ouvrir l’esprit et juste vivre. Profondément marqué par la période de fuite et de clandestinité qu’il a vécu étant enfant, Qin Tian se rassure régulièrement en se tirant les cartes. Il ne demande rien, juste s'il peut continuer d’apprendre et de découvrir. Et c’est comme ça qu’à 22 ans, on se retrouve sur les bancs de l’université.