Ce n'est jamais évident de parler de soi... Disons que je suis pas assez narcissique pour me vanter donc j'utiliserai les mêmes mots qui figurent sur mon CV. Je rigole ! Je serais trop parfait pour être vrai. On dira que je suis quelqu'un de relativement confiant. Je connais mes aptitudes, je sais ce dont je suis capable, ce qui me donne assez de courage pour aller de l'avant. Je suis quelqu'un de facilement anxieux mais je ne le montre pas. L'art de paraître, je maîtrise. Je n'aime pas spécialement être au centre des attentions. J'essaye de rester humble et de ne pas trop attirer l'attention sur moi... Mais comment dire ? C'est rarement le cas. Peut-être parce que je suis trop grand, je ne sais pas ? Je n'ai pas un visage commun, ou un accent qui sort de l'ordinaire. On m'a déjà dis à plusieurs reprises que j'étais très charismatique. Bon bah voilà. Le charisme et la discrétion ne font pas bon ménage, mais je tâche d'être le moins voyant possible. Vous vous demandez sûrement pourquoi... C'est vrai que je ne suis pas particulièrement timide. A vrai dire, je n'en sais trop rien. C'est un peu contradictoire. C'est toujours plaisant de se savoir apprécié et considéré mais je n'aime me faire remarquer, c'est comme ça. Je préfère être celui qui prend les devants. Au moins j'aurai le sentiment de gérer la situation. Je ne supporte pas les imprévus. Je n'aime pas être en retard aussi. Un autre point qui me rend facilement anxieux. Mais dans le cadre du travail, c'est différent. Ça ne me dérange pas que l'on vienne à moi. Au contraire, j'y suis préparé. J'ai le goût du challenge et je n'attends qu'on me surprenne. Je suis quelqu'un de très taquin vous voyez. J'aime flirter avec les femmes. J'aime passer du temps avec mes amis et leur rendre la vie impossible! A bon entendeur, c'est souvent réciproque. Et c'est comme ça que va la vie. Pas de prise de tête, juste une bonne organisation. Je suis peut-être devenu comme ça parce que mon existence, avant d'être un Ahn, se résumait à pas grand chose, si ce n'est quémander comme un pauvre mendiant et fuir les autorités. Aujourd'hui c'est plutôt l'inverse. Je cherche personnellement les ennuis avec « mon autorité » mon père de surcroît. Je ne peux pas dire que je ne me prends pas la tête avec lui. Il est l'exception à la règle, mais ça a pratiquement toujours été comme ça. Ce n'est pas forcément méchant. Je l'aime au fond, et je sais qu'il m'aime, sinon il ne m'aurait pas adopté. Mais être le fils d'un flic implique de nombreux inconvénients, comme le fait de devoir être un modèle de perfection aux yeux de tous, surtout auprès du voisinage. Ça jase si facilement... D'où le paraître, comme je disais un peu plus tôt. Je ne suis pas un fils de bonne famille, ni un dit prince charismatique. Je ne suis un jeune comme un autre, à l'exception que j'ai commencé tout en bas de l'échelle et que j'aspire à monter au sommet. Pour en être arrivé là, je pense être plus chanceux que la moyenne.

Je ne saurai par où commencer... D'où je viens. Ce que je suis... Rien qui ne saurai vraiment vous emballer, je le sais bien. Lorsque j'ai le malheur de parler de mon passé, plusieurs émotions s'emparent alors de moi. De la tristesse, de la rage, de la déception... Je fous alors une grosse bombe atomique sur mon auditoire, récoltant plus de peine et compassion que je ne le voudrais. Les « ce n'est pas ta faute » ne stopperont jamais la culpabilité qui me hante depuis ces dix-sept longues années. Je n'étais qu'un gosse à cette époque, et ma famille aussi pauvre que démunie n'avait pas trouvé d'autres alternatives que l'exile pour le pays du matin calme. Un immigré. C'était ce que j'étais jusqu'à l'âge de mes cinq ans. Un pauvre gamin tout maigrichon qui faisait peine à voir et qui ne savait pas parler un traître mot en coréen. Je ne su jamais pour quelle raison précise nous avions quitté le Japon à ce moment là. Je pense que ma vie aurait été complètement différente si étions restés là-bas. Il n'y aurait pas pas eu cette poursuite effrénée avec les forces de l'ordre alors que nous étions tassés à l'intérieur d'un fourgon avec d'autres immigrés, tout comme nous. Il n'y aurait pas eu cet accident. Mes parents ne seraient pas morts et on ne m'aurait pas arraché ma sœur jumelle des bras. Ma jumelle, vous avez bien entendu. Je ne parle jamais d'elle mais je pense que vous comprendrez pourquoi.

L'accident ? Je ne m'en souviens pas. Ou peut-être que je ne veux tout simplement pas m'en souvenir. Je n'avais que cinq ans, et cette nuit là j'ai vu ma famille mourir sous mes yeux. D'après ce qu'on m'a expliqué bien plus tard, le fourgon aurait manqué sa trajectoire et fait plusieurs tonneaux avant de se retrouver propulsé au-dessus de la rive. Par chance, ma sœur et moi étions parvenus à nous extirper du fourgon avant qu'il n'atteigne la rivière Han. Mais ce fut à ce moment que l'on fut séparé. Je m'étais blessé durant la chute et à chaque fois que j'y repense, j'ai toujours cette impression d'avoir à nouveau mal à cet endroit. Je me souviens que beaucoup de sang s'échappait de cette entaille, derrière ma tête. Ma sœur me serrait fort dans ses bras pour me rassurer, mais un autre immigré s'était alors emparé d'elle pendant que mes dernières forces m'abandonnaient. Il paraît que l'on m'a retrouvé comme ça, contre le sol, et que l'on m'a cru mort. Lorsque je me réveillai un beau jour dans un lit d'hôpital, un policier qui parlait japonais m'avait alors apprit que j'étais resté pendant près de cinq semaines dans le coma. C'est ce même jour qu'il me révéla que mes parents étaient morts, comme la plupart des immigrés qu'ils avaient repêché dans l'eau. Une petite poignée leur avait échappé mais ceux qui avaient survécu avaient été renvoyé là où ils venaient. Puisque j'avais été tout ce temps dans cet état, mon verdict n'avait pas été prononcé. En temps normal on m'aurait renvoyé chez moi. Mais au vu des circonstances et de mon traumatique, mon dossier fut mit en suspend et on m'envoya pendant un temps indéterminé dans un centre spécialisé.

Il se passa beaucoup de choses sans que je sache exactement comment ni pourquoi. Mais ce policier qui savait parler ma langue était devenu au bout de plusieurs longs mois de combats et d'attentes administratifs, mon père adoptif. Le lieutenant Ahn Tae Kyung. Je lui devrais le respect le plus solennel qui soit et au lieu de ça, on se prend constamment la tête. Comme... un vrai père en fait. J'oublie parfois tout ce qu'il a fait pour moi, mais j'en ai bien conscience, même si je le montre pas forcément. Les choses n'ont pas toujours été faciles pour nous. J'ai longtemps pensé qu'il m'avait recueilli un peu comme l'on recueillait un chiot abandonné dans son carton, par pitié ou par envie subite. Sa femme venait de mourir à cette époque et il vivait seul, presque en perdition. Le fait que je perde mes parents de cette façon, dans de pareilles circonstances ont peut-être poussé son choix à m'adopter. Je lui ai déjà demandé un jour s'il s'était senti responsable de ce qu'il s'était passé. Après tout, il était celui qui poursuivait le fourgon. Il pouvait avoir sa part de responsabilité là-dedans, mais non, il me disait seulement que cela n'avait été qu'un regrettable accident. Pour tout vous dire, le dialogue n'a jamais été simple entre nous. Malgré qu'il parlait japonais, mon père n'était pas quelqu'un de sociable dans le genre. Il ne vivait que pour le travail. Il n'avait jamais eu d'enfant non plus. Apparemment, sa femme et lui avaient longtemps essayé, sans succès. J'étais apparu dans sa vie comme un cheveu sur la soupe, mais d'après mes tantes – ses sœurs donc – j'étais la meilleure chose qui lui soit arrivé dans la vie.

Ma sœur jumelle ? Je ne sais pas ce qu'elle est devenu. Je ne sais même pas si elle est encore en vie. Je me plais à croire que oui. Qu'elle s'en est sortie aussi bien que moi... J'évite de trop penser. Ça serait comme perdre une moitié de ce que je suis, à jamais, que d'accepter le fait qu'elle n'est peut-être plus de ce monde. Comme je disais, je n'en parle pratiquement pas. La plupart de mes amis ne savent même rien de tout cela. Pour eux, je ne suis qu'un mec calme et sympa, un peu rebelle sur les bords et qui se plaît à énerver son vieux père, principalement parce qu'il est flic ! Il paraît que je suis la voix de la sagesse mais que je suis un vrai playboy avec ces dames, sous prétexte que j'aime draguer... Oui, je suis un peu tout et rien à la fois. Je suis comme n'importe qui. Ni bon, ni mauvais. Il est encore trop tôt pour dire ce que je suis, et ce que je veux faire de ma vie. J'ai tout le temps pour ça. Et jusqu'à présent ma bonne étoile continue de briller là haut dans le ciel. Mes parents biologiques, qui sait.