Dix-huit ans, à l'âge des rêves et de la liberté, Zenko est installé dans les tranchés. Un vieux casque recyclé sur la tête, un uniforme trop grand, les pieds dans des chaussures boueuses, il tient son arme comme si sa vie en dépendait. Oh ! non, il n'attaque pas encore. Il s'entraîne Zenko, à l'image de tous ses camarades qui en prennent pour vingt mois de service militaire. Sauf que les autres n'y resteront pas vingt ans. Alors il pleure, Zenko. Au fond de lui, tout s'envole et seule sa rage demeure.
« Tu serviras ta patrie comme ton père, et ne t'avise pas de tout foutre en l'air. »
Pendant les premières années suivant son service militaire, Zenko a beaucoup de rage en lui. Il est récompensé de ses efforts, pourtant, il aimerait en finir une bonne fois pour toute. Ce n'est pas de ça dont il rêvait, assis sur son lit à gratter les cordes usées d'une vieille guitare élimée. Mais il n'a pas eu d'autres choix que d'obéir à l'autorité de sa famille. Namgung est un vieux nom dont il faut redorer le blason.
Alors Zenko finit par partir en mission à l'étranger, et cela l'aide à faire son deuil de ses propres désirs. Il sait que viendra un jour où il aura l'occasion d'y revenir, de renouer avec la musique. Les missions lui permettent donc de quitter sa famille en Corée, de rencontrer différentes personnes et de devenir un homme sûr de lui. Les balles, les bombes, les chars, les tranchées et les blessés deviennent son quotidien. Chaque jour il se relève, croyant être un peu plus faible, mais plus fort à l'intérieur. Il ne dira jamais qu'il aime son travail, il le déteste, mais il se sent vivant et il sert sa patrie malgré tout.
Il encaisse, les échos résonnent, la violence s'enchaîne.
A vingt-six ans, il rencontre celle qui devient la femme de sa vie. Une relation peu banale, débutée sur des champs de ruines. Elle était une infirmière militaire américaine et s'occupait des soldats malades ou blessés. Allongé sur son lit de camp, délirant de fièvre à cause d'une balle dans l'épaule, le charme a opéré. Ils se marient deux ans plus tard et Zenko devient père à l'approche de la trentaine. Ils s'installent donc aux Etats-Unis, sa femme stoppe son activité pour se consacrer à leur petite fille tandis que Zenko poursuit ses devoirs en demandant de plus nombreuses permissions.
Cette nouvelle étape dans sa vie lui redonne goût en l'humanité. Voir sa fille grandir est un bonheur sans nom pour lui. Partager des instants en famille en tout simplicité lui offre des perspectives nouvelles. Son coeur s'emplit de douceur et il est à chaque fois plus difficile de repartir en laissant ses deux amours derrière lui. Pourtant, ce n'est pas la guerre qui a été la plus meurtrière pour Zenko.
« Tout est de ta faute ! Tu n'es qu'un connard ! Je te déteste ! Pourquoi... pourquoi ça n'a pas été toi ?! »
Il se pose encore la question aujourd'hui, chaque jour.
Pourquoi est-ce que ce camion a perdu le contrôle et a emporté la vie de sa fille et non la sienne ? Pire encore, ce camion a tout dévasté. L'enterrement le plus atroce qu'il n'ait jamais eu l'occasion de vivre, puis les papiers du divorce. Plus rien n'a de sens après ça.
Zenko s'est retourné vers son travail. Plus performant que jamais, autoritaire, impulsif, guerrier. Il devient officier colonel en peu de temps et son nom fait trembler les nouvelles recrues. Son histoire est malheureusement connue tant qu'il en devient aveugle. Nuit et jour, il n'y a plus que l'entraînement et la guerre qui comptent pour lui. A trente-quatre ans, Zenko est un homme détruit qui ne renaîtra partiellement que trois années plus tard.
De retour en Corée, il reçoit l'ordre pour une mission gouvernementale classée top secret. Sa récompense est sa retraite. Il l'accepte bien sûr sans se douter une seule seconde qu'il aurait à faire des choix d'une importance capitale. Au cours de cette dernière mission, il fait des rencontres fantastiques dans des contrées qui lui étaient inconnues jusque-là. Des gens de tribus si simples, si généreux, que ses douleurs lui ont semblé s'estomper. Il a été à la recherche de lui-même à travers les ordres du gouvernement, reprenant possession tout doucement de l'âme qui s'est tapie dans son esprit. Il doit apprendre à vivre avec ses expériences, avec son histoire, et, sûrement, retrouver  cet homme pourtant si agréable qu'il a toujours été.
Aujourd'hui, ayant gagné sa retraite, il rouvre les yeux avec une perception nouvelle. A l'approche de la quarantaine, Zenko est moins en colère contre l'Humain. Des valeurs différentes s'étendent autour de lui et il a ce besoin insatiable de trouver une véritable paix intérieure. Zenko est marqué au fer blanc, mais une page se tourne.