Profiter d’une soirée autour d’un bon plat de gimbap, claquant nos bières ensembles. Profiter, après une journée de dure labeur, d’une soirée autour d’un bon film. De ceux qui font peur, de ceux qui nous donne des frissons à ne plus vouloir en rester seule la nuit. Une idée quelque peu stupide, très certainement poussée par le manque de ne plus s’être retrouvées rien que toutes les trois. L’aîné absent, il est temps pour ces trois soeurs de se retrouver. Une soirée pyjama entre trois filles qui s’entendent à merveilles, toujours là les unes pour les autres. Des soeurs qui sont, au final, de vraies amies. Des haut et des bas, il y en a eu, mais nous n’avons jamais été plus proches que maintenant.

Quoi de mieux qu’une soirée pour se retrouver ? Bien-sûr, nous vivons ensembles, nous voyons nos visages chaque matin, à l’aube, et nous nous quittons quand le crépuscule se couche sur la ville. Nous nous saluons d’un sourire, d’un bref signe de la main, tartine de confiture dans entre les dents. Nous partageons un repas, chaque soir. Nous nous adressons quelques mots, et quelques fois, ça n’est pas le cas. On s’endort devant une émission, on partage un lit parce que nos conversations animées se sont terminées si tardivement. Là où le matin commence, là où le soleil se lève.
Finalement, cette soirée, c’est comme avoir un énième souvenir dans notre mémoire. En préparant notre petit coin dédié à nos longues heures de films et de nourriture, je pense qu’elles grandissent sans que je puisse profiter de leurs visages d’enfants qui deviennent ceux de deux magnifiques jeunes femmes. Mélancolique du temps où nous n’étions que des enfants, je souris à l’idée de les voir si bien grandir. Mon rôle de grande soeur poule les étouffent-elles ? Je m’en fiche un peu, je désire les protéger quoi qu’il m’en coûte.

Bières sur la table, et films d’horreur en attente sur la télévision, j’enfile une tenue légère afin de profiter de la soirée. Ce soir, les masques seront posés sur nos visages : avoir peur mais garder une peau de pêche est essentiel. Comme elles le savent, elles n’y échapperont pas. Je m’installe dans le canapé, avachis en soufflant la fatigue de ma journée alors que je m’autorise l’ouverture de notre petite beuverie. Il est temps pour nous, les soeurs Yeon, de profiter d’une soirée spécialement dédiées aux femmes, sans notre aîné.

-   Risae, Rin, dépêchez-vous sinon je vous mets au lit maintenant, dis-je en s'exclamant, puis en laissant un rire glisser entre mes lèvres.  

Devant l'objectif de Risae, nombreux sont ceux qui pensent que la jeune femme est superficielle, attirée par un univers rempli de paillettes et de diamants. Pourtant, Risae a quelque chose de nettement plus précieux dans sa vie: sa famille. Se réunir avec ses deux soeurs remonte à plusieurs semaines voire mois. Pour sa défense, la jeune femme commence à percer peu à peu dans le milieu du mannequinat. Il était temps, diraient ses détracteurs mais faudrait-il également qu'ils soulignent sa persévérance. Les Yeo ont du caractère. La demoiselle le sait pertinemment. Ainsi, la simplicité de la soirée ne risque pas de devenir le synonyme de l'ennui. Elle regretterait presque l'absence de son frère aîné. Elle aurait passé son temps à le charrier et il se serait défendu avec des armes d'un niveau inférieur. Seul homme contre trois soeurs tyranniques, c'est à se demander comment Raon a pu tenir le coup toutes ces années. Peut-être que c'est à l'origine de ces rides qui commencent à perler sur son front ? Risae devrait lui conseiller quelques crèmes mais en attendant, l'étudiante se munit de son stock de make-up, composé principalement de se vernis à ongles. Elle se doute bien qu'il n'était pas question de sortir après cette séance de cinéma à low budget. Il serait impardonnable pour Risae de gaspiller ses produits de maquillage.

La boîte sous le coude, elle s'apprête à rejoindre ses soeurs qui doivent potentiellement commencer à s'activer en bas. Elles ont tout leur temps mais l'excitation de ce futur moment passé ensemble doit être source d'impatience. Risae ne pourrait pas leur reprocher. Elle aussi se sent d'humeur joyeuse. Elle avait tant perdu dans sa vie, y compris l'un de ses meilleurs amis, il y a seulement quelques mois. La demoiselle va finir par penser qu'elle est un chat noir. Serait-ce le totem de la famille ? En plus, ils sont quatre enfants. Non, vraiment. Une divinité, là-haut, a dû leur jeter un mauvais sort. En attendant, la belle compte profiter de cette douce et tendre soirée.

Finalement, elle entend la voix de Rian. Sa grimace simulée tend à retenir son rire. " Tu aurais le courage de regarder un film d'horreur sans nous ? " Elle sourcille légèrement avant de prendre place. De façon nonchalante, elle se tourne vers Rin en remontant ses jambes sur le canapé. " Qu'est-ce qu'on choisit comme film d'ailleurs ? Des suggestions ? " Risae préfère le gore à l'épouvante. Grâce à cela, elle connaît les meilleures sauces tomates du monde.

Rin est allongée sur son lit, le téléphone dans sa main en train de contempler, encore, des photos de son idol. Il est beau, il est talentueux. Elle voudrait tant pouvoir se sentir à son niveau dans ses dessins, se sentir si confiante. Elle soupire doucement avant de regarder l'heure quand Rian les appelle. Ce soir, c'est soirée film d'horreur et elle ne sait pas trop si elle a envie d'être collée à ses sœurs pour regarder un truc qui fait peur. Tant pis, si elle est traumatisée, elle ira dormir avec l'une d'elle. Soupirant doucement à nouveau, elle roule sur le côté pour s'extirper de son lit. C'est un bruit sourd qui fait résonner les murs de la maison alors qu'elle s'étale sur le sol comme une vieille chose.  Un gémissement s'échappe de ses lèvres avant qu'elle ne se redresse. C'est vêtue d'un short et d'un t-shirt qu'elle débarque dans la cuisine pour attraper de quoi manger. Rien de healthy, faut pas rêver non plus. Elle fourre un beignet entre ses lèvres pour le manger en entier. Et c'est les joues gonflées de nourriture qu'elle mastique qu'elle débarque dans le salon. Risae et Rian sont déjà là. Ses sœurs. Ses amours. L'une qui la couve trop, elle le sait. L'autre qui la couvre trop, elle le sait. Rin, c'est le bébé de cette famille, la petite dernière. Celle qui n'aurait pas du être là, qui n'aurait pas du voir le jour pour ne pas priver trois enfants d'une mère sûrement très attentionnée, affectueuse. Comment elle était ? Elle posait la question autrefois mais plus maintenant. Maintenant, elle n'en parle plus, elle n'observe plus les portraits au mur. Elle pousse les deux filles pour poser ses fesses sur le canapé, vidant ses bras chargés sur la table basse. Elle vide sa bouche. « Vraiment Rian, nous menacer de nous mettre au lit, on a plus cinq ans. » Sa langue passe sur ses lèvres pour les humecter légèrement. Elle hausse les épaules. « Je ne sais pas, j'y connais pas grand chose. Par contre, je vous préviens, si j'ai trop peur, je débarque dans le lit d'une de vous deux cette nuit ! Et vous n'avez pas intérêt à me mettre dehors ! » Qu'elle lâche, presque sérieuse. Elle sait qu'aucune d'elle ne la mettra dehors si elle vient squatter leur lit. Elles ne sont pas si cruelles après tout. Elle étend ses jambes pour les poser sur la table basse. « Pas de gore, j'ai pas envie de vomir... » Qu'elle lance nonchalamment en envoyant un sms à ses amis avant de poser son téléphone. Elle pose sa tête sur l'épaule d'une de ses sœurs, attendant patiemment qu'elle se décide.

Peut-être suis-je une sœur un peu trop protective, peut-être suis-je une grande sœur qui dépasse les limites, parfois offrant trop d’affection à ces deux jeunes femmes qui ne sont plus des enfants, malgré mon refus de l’accepter, de le voir ainsi. Deux jeunes femmes qui partagent ma vie avec un éclat de sourire, un éclat de rire, les deux plus beaux trésors qui m’ont été donnés dans cette vie semée de malheurs et de tragédies. Le malheur est un malin démon qui semble s’être amusé avec nous, poupées brisées de la famille Yeo. Cependant, rien n’a été plus bénéfique de protéger les cadettes de la famille, rien n’a été plus significatif pour nous, trois sœurs blessées par le temps, d’être si liées.

Un doux sourire étire mes lèvres : oui, vous n’avez plus cinq ans, Rin, mais vous êtes toujours ces petites filles un peu boudeuses d’autrefois, toujours ces petites filles au sourire qui ferait sourire le monde entier. A la remarque cette dernière, un rire passe la barrière de mes lèvres alors que la plus vieille de mes cadettes ne s’installe à côté de moi. Où sont donc passés le courage et les tripes tenaces de la famille Yeo ? L’épouvante et le gore ne seront donc pas au rendez-vous, rien à s’en retourner l’estomac, rien à s’en cacher derrière les coussins tant le sang est dégoûtant.

-   Un film avec des esprits, là où le moindre petit bruit dans la maison nous fera sursauter, là où la nuit sera longue, dis-je en me tournant vers la plus jeune de nous trois, là où tes cauchemars deviendront réalité, puis je me tourne vers la deuxième sœur, là où à même ta peau la couverture te fera une caresse, la peur que l’on vienne prendre ton âme te fera crier.

Suis-je une si bonne sœur ? J’aime taquiner ces demoiselles, surtout la plus jeune qui ira se faufiler dans nos bras une fois que le film sera terminé et où la nuit dévoilera ses plus grands mystères. Je passe mon bras autour de l’épaule de notre cadette, un léger sourire aux lèvres.

-   N’aie pas peur, je te taquine, quoi que…

Je tire la langue avant de me tourner vers Risae, haussant les sourcils plusieurs fois. Mes chères sœurs, mes très chers enfants, ce soir ne sera guère une nuit comme les autres, là où les sorcières se réveillent, là où les loups hurlent, là où les esprits dansent et valsent pour notre plus effrayant désir, nous n’allons guère fermer l'œil de la nuit.   

Elle repose sa boîte aux mille merveilles sur la table basse, qui risque de ne pas supporter le poids qui commence à s'accumuler sur elle. Entre les friandises et les boissons en tout genre, celle-ci pourrait s'écrouler à tout moment. Le plus amusant serait de la voir céder dans un moment stressant à l'écran, histoire de donner encore plus de réalisme à l'histoire. Pour cela, encore faudrait-il que les trois soeurs puissent se mettre d'accord. La sélection des films est toujours une grande épreuve pour les grandes familles. Heureusement, ce soir, elle n'était que trois mais Risae doute que cela soit suffisant pour accélérer la procédure, surtout à l'entente de la remarque de sa cadette. Elle lève rapidement les yeux au ciel quand le gore se fait exclure directement. Risae n'est pas vraiment étonnée. Elle connaissait les goûts de sa soeur depuis le temps mais de son côté, la belle n'était plus capable de proposer un nom de film. Son soupir est interrompu par l'intervention de la grande soeur, qui apparemment, semble prendre son rôle à coeur. La jeune femme la regarde en sourcillant, se demande où elle veut en venir avant d'apercevoir l'expression sur le visage de Rin. C'est désormais un sourire en coin qui prend possession de ses lèvres, tout de même impressionnée par le talent de narratrice de Rian. Elle aurait presque senti une âme errante frôler son épaule pour la surprendre. Heureusement, elle reprend vite contenance. " Vous savez... Il y a beaucoup de légendes urbaines dans le quartier. Je suis encore étonnée qu'on n'ait rien eu pour le moment... Qui sait. " Elle n'a clairement pas le talent de Rian. Elle hausse les épaules d'un air désolé et se lève avant de se tourner vers ses deux soeurs. " Pourquoi pas le premier conjuring ? C'est pas original ... Sinon on en choisit un avec un ou deux beaux gosses, histoire d'avoir une belle vision avant de mourir. "