Il y avait tellement de chose que Srey aurait voulu partager avec Il Kwon aujourd’hui. Pourtant elle s’en était tenue au stricte minimum, en plus de quelques sourires doux. Mais le travail était la seule carte qu’elle pouvait utiliser pour aller le trouver. Dans ce trio, c’était sa relation avec Il Kwon qu’elle avait sacrifiée pour que les deux frères se retrouvent. Maintenant qu’ils semblaient se pardonner elle pouvait peut-être espérer pouvoir retrouver son frère à elle. Pourtant l’enfant peinait à oser espérer qu’il soit toujours ainsi. Elle savait l’amour que se portait les garçons et elle détestait l’idée qu’elle ne soit qu’une fille de plus qui ait tout gâché entre eux. Elle ne voulait pas perdre Il Kwon mais elle ne savait plus comment l’aborder, l’approcher. Ils avaient changé tous les deux, elle le savait mais elle craignait le pire … craignait qu’il ne souffre si elle se montrait douce avec lui pire encore … que Yohan puisse leur en vouloir ? Il Kwon lui manquait, cruellement, plus qu’elle ne laissait paraitre, mais elle était incapable de trouver les mots justes pour le retrouver. Elle était incapable de faire un pas vers lui et lui … bien, ils étaient maladroits tous les deux. Lui manquait-elle ? Avait-il envie de la retrouver comme ils le faisaient avant ? Des soirées à s’allonger sur le toit du club pour discuter, pour rire, pour laisser le temps passer et ne plus se sentir seule sous cette étendu d’étoile invisible. Le noir du ciel les engloutissait et les lumières de la ville ne les sauvait pas. Ils n’ont toujours été qu’une bande de gamins qui affrontaient la vie comme on affronterait un monstre géant avec une épée en bois. Leur innocence s’était fanée avec le temps mais Srey voulait croire qu’un jour elle retrouvera son ami comme avant. Elle l’aimait tant que son absence la faisait souffrir, mais à qui pouvait-elle s’en plaindre ? Yohan ? Il ne comprendrait pas, n’y verrait là qu’une raison de plus de douter, de nourrir ses peurs. Srey n’avait pas d’amis à proprement parlé, après tout elle n’avait jamais eu qu’eux deux dans sa vie et cela lui avait toujours suffit. Elle attrape alors la tasse de café et avisant l’heure, monte à l’étage. Ils avaient chacun leur bureau, chacun leur espace, et elle connaissait par cœur le chemin qui menait aux deux autres. Elle toqua à la porte d’Il Kwon, jouant à nouveau la carte du boulot pour entrer. Elle s’approcha de lui avec un sourire doux, comme toujours et déposa la tasse devant lui. « Je pensais que ça te ferait du bien. » souffle-t-elle tout en déposant un dossier à côté de lui. « Les chiffres des recettes du mois dernier, je pensais que ça t’intéresserait d’y jeter un coup d’œil. On a une recette de 2,2% supérieur au moins dernier, ce n’est pas trop mal. » Mais tous les deux savaient que ce n’était pas suffisant. Il faudrait que leur croissance soit de minimum 3% pour satisfaire l’oncle. Elle passe une main dans ses cheveux qu’elle venait de teindre en gris, pour changer de son blond dont elle avait fini par se lasser.

Les journées avaient cessé de se ressembler, depuis que Skyla était revenue dans sa vie. Depuis cette nuit là, ces confidences qu’ils s’étaient fait. Ca changeait la donne, ça laissait d’autres questions prendre place dans son esprits. De nouvelles interrogations, sur ce qu’il pourrait désormais faire, pour la sortir de ce monde là. Cet univers qui l’avait vu grandir, qui l’avait forgé, blessé, fait s’endurcir aussi. Mais qui était-il pour jouer ce rôle là ? Quelles étaient ses forces, celles qui pourraient l’aider à parvenir à ce but ? Aucune de ces questions n’avait de réponse concrète. Aucune solution « facile » ne parvenait à lui. Il était bloqué dans ce bar, ces bureaux, à faire tourner un business qui ne lui ressemblait plus tant que ça. Il se fourvoyait encore sur le sens de sa vie, se disant qu’il allait finir ainsi. Parce qu’il n’était voué qu’à ça. On l’avait éduqué seulement pour ça. Et ce, malgré les espoirs qui pouvaient naître d’une seule nuit avec celle que son coeur continuait de réclamer. La tête plongée dans les comptes de la Fleur Blanche, il endossait encore cette cape, celle de l’homme de gang, précis, méticuleux dans tout ce qu’il faisait. Il y passait ses nuits entières, pour éviter de penser au désastre de sa propre vie. A toutes ces relations à reprendre à zéro, à tous ces gens auxquels il fallait prouver qu’il était toujours là, malgré ses erreurs, malgré ces mois de cage. Un soupire las s’échappait d’entre ses lèvres, alors qu’il retombait sur le dossier de son fauteuil, ses mains passant dans ses cheveux. Il Kwon était épuisé de cette vie qu’il n’avait pas forcément choisi, mais qu’il connaissait par coeur. Fatigué de tout ce qu'il avait encore à faire pour récupérer la confiance, l’amitié, l’amour parfois, de ces quelques personnes qui faisaient sa vie. Un regard vers la fenêtre, et il reprenait ses comptes, grognait parfois de voir qu’ils n’arrivaient pas totalement à leurs objectifs. Il fallait penser à ce qui serait envisageable pour satisfaire d’avantage l’homme qui lui permettait encore de vivre décemment. Perdu dans ce qu’il faisait, il n’avait pas entendu la porte s’ouvrir, encore moins quelqu’un entrer. Toujours concentré, il ne se focalisait que sur les dossiers face à lui. Une voix, pour le sortir de cet état, lui faire redresser la tête pour voir une tasse de café devant lui. « Merci. » avait-il simplement soufflé, avant d’observer la jeune femme lui faisant face. Se redressant un peu, il ouvrait ce nouveau dossier pour parcourir rapidement les chiffres annoncés, cet air si sérieux restant bien ancré sur ses traits. « C’est quand même pas assez. » avait-il ajouté, tout en prenant une position un peu plus confortable. C’était encore étrange pour lui, de faire face à Srey. Même un an après sa sortie de prison, il ne savait toujours pas comment agir devant elle. Quoi dire, quoi faire. Ce qui lui était encore autorisé ou non. « Les chiffres sont déjà remontés à ton oncle ? » demandait-il, gardant éternellement cette allure presque professionnelle. Et ce, qu’importe cette culpabilité qui l’avait rongé pendant longtemps, qu’il tentait de mettre de côté. Mais qui reprenait de plus en plus de place, depuis que Skyla était revenue. Depuis qu’il avait vu, de ses propres yeux, ce que ce monde était capable de faire aux autres. Sans même qu’il ne puisse faire quoi que ce soit pour le changer.