Les minutes passaient lentement alors que Juri et sa diététicienne passaient en revue ce qu’elle avait mangé dans la semaine. La plus jeune notait tout ce qu’elle prenait à chaque repas dans un carnet qu’elle amenait à chaque rendez-vous pour voir les progrès où les régressions. La seule chose que la jeune femme ne mettait pas était les crises de boulimie qu’elle faisait. Certes, elles n’étaient pas régulières mais il lui arrivait de sentir ce besoin urgent de se goinfrer au point d’exploser avant d’aller se faire vomir. Ce n’était pas bon pour son organisme de faire ça, pas plus que pour sa santé mentale. Seulement, c’était quelque chose qu’elle ne pouvait pas contrôler malheureusement. Ça lui prenait parfois sans prévenir. Certains avaient des crises d’angoisse, d’autres se scarifiaient, elle, elle mangeait jusqu’à plus faim et allait tout rendre dans des toilettes immaculées. Peut-être que Juri aurait du en parler, essayer de trouver une solution, mais elle avait honte de ne pas avoir réussi à se sortir de tous ses troubles alimentaires. Mais elle ne le fit pas et finit par sortir de la pièce une fois son rendez-vous terminé. La jeune femme poussa un soupir de soulagement et mit le plus de distance possible entre son cabinet et elle. Elle se rendit dans un couloir qu’elle connaissait bien pour aller prendre une boisson. Elle avait envie de quelque chose de sucré, quelque chose qui pourrait lui tenir au corps quelques heures encore avant qu’elle ne soit obligée de s’alimenter. Elle choisit un thé glacé et se retourna pour rencontrer le regard de Namkyung. Un léger sourire s’afficha sur ses lèvres. Le jeune homme était un ami. Du moins, de son côté, Juri pensait que c’était le cas. Ils s’étaient connus à l’hôpital et il l’avait vu avec son visage et son corps d’avant. Il n’avait jamais eu de jugement dans le regard et elle l’en avait toujours remercié et admiré pour ça. Il était bien un des seuls à ne pas avoir émis ne serait-ce qu’un jugement autant sur son ancienne apparence que sur la nouvelle. « Salut. » murmura-t-elle doucement. Elle ne lui demanda pas s’il allait bien. Ce n’était pas une question à poser dans ce genre d’endroit. « Je t’offre quelque chose ? » Elle pouvait bien faire ça pour toutes les fois où le jeune homme avait été gentil avec elle.

L'hôpital... Voilà un bon moment maintenant que tu côtoies cet endroit. Et, à vrai dire, t'y passes tellement de temps que l'on pourrait même croire que tu y as élu domicile. Ce qui n'est, bien évidemment, pas le cas... D'ailleurs, tu préférerais assurément mourir que de vivre dans un endroit pareil. Faut dire que malgré tes nombreux allers-retours en ce lieu pour rendre visite à ta pauvre maman malade, tu as toujours bien du mal à t'y faire. En même temps, existe-t-il vraiment des personnes sur cette planète qui aiment passer du temps dans un lieu comme celui là ? Franchement, t'en doutes. Et si de telles personnes existaient vraiment, tu ne pourrais t'empêcher de les penser un tantinet atteintes... Pourtant, t'es du genre tolérant comme gars. Du genre à ne pas juger les gens sans les connaitre. Mais là, quand même, ce serait de l'ordre du malsain que d'aimer errer dans ce genre d'endroit. D'ailleurs, errer, c'est justement ce que tu es en train de faire, après avoir été limite chassé de la chambre de ta mère par les deux infirmières venues pour l'aider à faire sa toilette. Et, tant mieux à vrai dire, car si t'aimes passer du temps avec ta maman, t'apprécies beaucoup moins de rester cloîtrer entre quatre murs blancs. Ainsi, te dégourdir un peu les jambes ne peut que te faire du bien et c'est donc, sans but précis, que tu arpentes les couloirs du bâtiment, saluant les quelques personnes que tu y croises, qu'elles soient de parfaites inconnues ou des personnes que tu as l'habitude de croiser ici. D'ailleurs, en parlant de ces personnes elles aussi habituées des lieux, voilà qu'au détour d'un couloir, tout prêt d'un distributeur de boissons, tu aperçois un visage familier et un sourire vient doucement étirer tes lèvres, tandis que tu t'approches. « Hey, Ju Ri ! » lances-tu ensuite, lorsque la jeune femme se tourne finalement vers toi. « Oh bah, puisque c'est si gentiment proposé, je ne vois pas pourquoi je refuserais... » Qui plus est, cela fait plusieurs heures que tu es ici et tu n'as pour l'instant rien avalé, alors boire quelque chose te fera le plus grand bien. « Je veux bien un cappuccino, s'il te plait ! » Glissant tes mains dans les poches de ton pantalon, tu souris à la jeune femme et, pendant que la machine s'emploie à te préparer ta petite boisson chaude, tu finis par demander : « Ton rendez-vous s'est bien passé ? » Parce que tu te doutes bien que, si elle est là, c'est pour son rendez-vous chez la diététicienne. Comme chaque semaine...

 Loin du cabinet de sa diététicienne, Juri respirait un peu mieux. Elle se sentait plus libre et moins oppressée. Ça la mettait mal à l’aise parce qu’elle ne pouvait pas parler de tout ce qu’elle voulait. Elle gardait secret cette boulimie qui la prenait parfois. Etait-ce bien ? Pas vraiment, mais elle ne voulait pas que la honte s’abatte encore sur elle et sa famille. Déjà quand Jinri avait découvert son secret, elle avait eu tellement honte qu’elle s’en était rendue malade. Alors, il était hors de question qu’elle revive ça. La jeune femme préférait garder tout pour elle pour ne pas avoir à subir encore plus cette impression de mourir de l’intérieur. Heureusement, ses pensées noires furent chassées par l’arrivée de Namkyung dans son champ de vision. Elle lui proposa de lui offrir quelque chose et un sourire s’afficha sur ses lèvres quand il accepta. Elle s’occupa de lui commander un cappuccino à la machine à café détournant le regard quand il demanda si son rendez-vous s’était bien passé. Juri serra doucement les dents. Elle savait que ce genre de questions arriveraient parce que s’ils étaient là tous les deux dans l’hôpital ce n’était pas pour rien. Elle soupira et prit une grande inspiration avant de lui répondre. « Il s’est passé… » Elle ne voulait pas en parler mais savait que ce n’était pas sympathique de sa part de donner ce genre de réponses à Namkyung. « Ça aurait pu être pire disons. Elle m’a pas trop emmerdé avec mes repas. » Parce qu’elle devait noter tout ce qu’elle mangeait dans un carnet pour être sûr de ne pas retomber dans ses travers. Bien entendu, elle oubliait intentionnellement de parler de ses crises de boulimie. Elle n’avait pas besoin de savoir. Le cappuccino finit la sortit de ses pensées et elle le récupéra pour le tendre à Namkyung. « Tiens pour toi. » Elle lui sourit doucement avant de reprendre la parole. « Et toi ? » Elle n’osait pas directement demander des nouvelles de sa mère parce qu’elle avait peur de tomber les pieds dans le plat. Peut-être qu’il n’était pas là pour elle d’ailleurs. Juri préférait donc y aller doucement et ne pas le forcer à parler d’elle si ce n’était pas le sujet de sa visite. Elle lui montra des chaises un peu plus loin en les pointant de la tête. « On va s’asseoir là-bas ? »

Cela fait plusieurs mois que tu croises systématiquement la jeune femme, ici. Chaque semaine, à vrai dire... Et si, au début, vos conversations se résumaient à quelques sujets tout ce qu'il y a de plus banal, comme les études que vous faites ou vos passions, avec le temps vos langues ont peu à peu commencé à se délier et c'est comme ça que tu as alors appris pourquoi la jeune femme avait décidé de changer aussi drastiquement d'apparence ou pourquoi, depuis quelques temps, elle se voyait contrainte de venir dans cet hôpital, semaine après semaine. Mais le plus étonnant dans l'histoire avait été que, de ton côté, tu avais également fini par te confier à la jeune femme, lui parlant ainsi de ta mère, de sa maladie et surtout de la façon dont tu le vivais. Car, qu'on se le dise, tu as toujours été très mal à l'aise lorsqu'il était question de parler de toi ou de ta vie, et ce, même avec tes amis les plus proches. Pourtant, pour une raison que tu ne saurais expliquer, avec Ju Ri la tâche s'était bizarrement avérée plutôt facile... Peut-être qu'après avoir tout gardé pour toi, pendant toutes ces années, tu ressentais finalement le besoin de te livrer à quelqu'un et Ju Ri se trouvait alors au bon endroit au bon moment ? Un peu comme maintenant, en fait... Car si tu sais que la présence de la jeune femme en ces lieux n'est en rien très plaisante pour elle, tu es quand même content de la voir. Toutefois, le sourire que tu affichais jusqu'alors finit par s'estomper légèrement à la réponse qu'elle te donne et tu te contentes alors d'un simple « Je vois... » pour toute réponse, comprenant que pour l'instant elle ne souhaite pas en dire plus. Récupérant ensuite le cappuccino qu'elle te tend, tu la remercies et hausses légèrement les épaules à sa question. « Oh bah, les infirmières viennent de me mettre à la porte pour les 30 prochaines minutes, du coup, je traîne un peu ici et là, avant de retourner voir ma mère ! » Esquissant ensuite un léger sourire, tu hoches doucement de la tête quand Ju Ri te propose d'aller t'asseoir puis, une fois installé, tu reprends : « Mais sinon, ça va... Elle va bien. Enfin, aussi bien que son état le lui permet... » En d'autres mots, son état ne s'est pas aggravé depuis la dernière fois que tu as parlé avec la jeune femme, mais il ne s'est pas amélioré non plus... « Bon, et sinon, à part ça... Qu'est-ce que tu racontes ? »

Juri avait mentionné à Namkyung, une ou deux fois les raisons de sa présence dans l’hôpital. Elle avait des troubles alimentaires et elle avait besoin de suivi. Si son anorexie avait été soigné, sa boulimie, elle, restait encore et elle n’avait pas réussi à découvrir le secret pour la faire partir. Alors, même si elle n’en parlait pas à sa psychologue, de peur d’être hospitalisée à nouveau, elle essayait de faire en sorte de ne pas avoir de crise. Cependant, c’était plus facile à dire qu’à faire et parfois, elle n’arrivait pas à se retenir malheureusement. Mais cela faisait quelques temps qu’elle n’en avait pas eu et ça l’arrangeait un peu. Elle n’avait au moins pas eu mal au ventre et la gorge à cause de ses vomissements et n’avait pas ressenti de la honte pendant son rendez-vous. Heureusement, elle avait vu Namkyung après parce qu’elle aurait pu repartir chez elle et à cause du stress du rendez-vous, avoir une crise. Ce n’était donc pas plus mal qu’elle soit tombée sur lui. Elle mentionna sa mère, essayant de ne pas tomber les deux pieds dans le plat parce qu’elle ne voulait pas faire de mal à Namkyung en parlant d’elle et que son état se soit dégradé. « Oh trente minutes ça va passer vite… » Juri était sûre qu’il ne les verrait pas passer. Elle sourit un peu plus en proposant d’aller s’asseoir et il reprit la parole donnant des détails sur la condition de sa mère sans en révéler trop. Son état ne s’était pas aggravé et elle allait bien dans un sens. « Oh d’accord. » ne put-elle que dire alors qu’il lui posa une autre question. « Hmm pas grand-chose. Mes cours me prennent mon temps… Puis je passe du temps avec ma nièce donc j’ai pas vraiment de temps pour moi en fait. » Elle rit légèrement, repensant à cette pile d’énergie et à l’amour qu’elle lui portait. Un jour peut-être, Juri serait maman aussi. Mais pour le moment ce n’était pas le cas. « Et toi ? » Elle continua de lui sourire attendant sa réponse en buvant une gorgée de sa boisson.